Cette question est légitime, car nous sommes encore nombreux au Québec à avoir vécu sous la gouverne de politiciens doués qui savaient gouverner.
Jean Lesage, Robert Bourassa, René Lévesque, Jacques Parizeau, Lucien Bouchard, Bernard Landry, Jean Charest étaient des premiers ministres habités par la politique. Ils proposaient des visions du Québec, différentes certes, mais tous avaient le sens de l’État. Tous inscrivaient leur action dans le nationalisme, qui a permis au Québec de se définir comme société distincte.
Fédéralistes ou souverainistes, ils ont travaillé avec sincérité pour le Québec qu’ils portaient dans leur cœur. Dans des moments de crise, d’affrontements avec Ottawa, chacun avait en tête l’intérêt supérieur de la nation.
Continuité
Seuls les Québécois aveuglés par leur partisanerie refusent de reconnaître une forme de continuité dans le parcours, parfois cahoteux, souvent dramatique, exaltant pour tous, de ces premiers ministres dont aucun n’était par ailleurs parfait.
Tous les premiers ministres cités plus haut ont cependant partagé une qualité commune. Ils aimaient les Québécois.
Notre peuple est difficile à gouverner, certes, mais il est attachant, trouble-fête, ambivalent, émotif. Personne n’est en droit de le considérer avec dédain et de l’accuser de tous les mots en « phobe ». Les Québécois ne méritent surtout pas un premier ministre qui les traite avec hauteur, qui s’exclut de la tradition nationaliste et donne l’impression qu’il leur est supérieur. Hélas ! c’est la perception que l’on a de Philippe Couillard.
L’homme a bien sûr des qualités personnelles appréciées par ses proches. Mais il rompt avec la tradition politique québécoise. On a le sentiment qu’il éprouve un malaise devant ce qu’il faut encore définir comme les « de souche », c’est-à-dire le peuple qui a historiquement et sociologiquement développé cette colonie française. Le peuple qui s’est développé aussi grâce à tous ces immigrants qui depuis la fin du XIXe siècle se sont greffés à lui non sans difficulté, mais surtout avec courage et une volonté de s’intégrer à la majorité francophone.
Bourassa
Le premier ministre Couillard — est-ce parce qu’il est trop doué ? — donne à penser qu’il est toujours au-dessus de la mêlée. Et lorsqu’il tente de parler « peuple » en déconstruisant parfois sa langue et la truffant de quelques jurons, cela sonne faux. Robert Bourassa, qui n’était pas un homme extroverti dont on sentait aussi la timidité et une difficulté à exprimer les émotions, était habité par une passion dévorante. Le Québec lui tenait à cœur et les Québécois l’émouvaient. Il était un bâtisseur de ces cathédrales que sont nos grands barrages. Il n’a pas géré le Québec — il l’a gouverné, et pour l’avenir.
Philippe Couillard ne semble pas avoir saisi la dimension symbolique de sa fonction. Le premier ministre se révèle tel qu’en lui-même sur la question identitaire en culpabilisant la majorité francophone et en refusant d’entendre ses inquiétudes. Et pire, les défenseurs de la langue semblent l’agacer avec leur combat qui serait dépassé.
Un peuple ne se résume pas à un budget bien géré. Le progrès économique n’annule pas les malaises sociaux. Et la culture n’est pas qu’affaire de chiffres.