Ottawa dépense 6 milliards $ sans plan

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Appels d'offres truqués dans l'informatique : le Canada est une machine corrompue

 Le fédéral dépense chaque année plus de 6 milliards en projets informatiques de toutes sortes sans savoir exactement où va son argent, une situation inacceptable à laquelle veut remédier l’homme responsable de nettoyer le bordel informatique à Ottawa.


« Quand je suis arrivé en poste, j’ai demandé où on dépensait notre argent. Personne ne pouvait me produire un rapport, déplore le patron de l’informatique au fédéral, Alex Benay. C’est comme si on dépensait 6 milliards par année sur une maison, sans aucun design. »


M. Benay, un Québécois de 37 ans, pilote depuis un an le virage numérique du fédéral. Une lourde tâche puisque le Canada a accumulé un grand retard. Depuis son arrivée, le fédéral a une meilleure idée de la façon dont il dépense son argent, mais le portrait n’est toujours pas complet.


« On doit être à environ 80 % », dit-il, enthousiaste.


Briser le cycle


L’historien de formation a commencé sa carrière dans la fonction publique, pour ensuite passer au privé au sein de la plus grosse boîte informatique canadienne, OpenText. De retour au fédéral, il veut « briser » le cycle des décisions qui ont mené à des fiascos. Il cite la mise en œuvre du système de paie Phénix, un gâchis qui risque de coûter plus d’un milliard aux contribuables.


Le fédéral doit, selon M. Benay, mieux recruter ses informaticiens, changer la façon dont il octroie ses contrats, moderniser ses lois et innover.


M. Benay a rencontré Le Journal pour dresser le bilan de sa première année en poste.


Des façons de faire désuètes


Le Canada accuse un sérieux retard sur le plan des technologies par rapport à certains pays. L’Estonie, par exemple, a entrepris il y a maintenant plus de 20 ans la numérisation de ses services publics. Hier, le gouvernement Trudeau a d’ailleurs annoncé que le Canada et ce petit pays européen allaient accroître leur coopération en matière d’économie numérique.


« On a des lois qui ont été écrites dans le temps des chariots et des chevaux, dit-il. Depuis 10 ans, le monde a complètement changé et on commence à le réaliser. » Selon M. Benay, pendant que des pays comme l’Estonie embrassent les nouvelles technologies, ici, au Canada, les décideurs sont davantage occupés à « se trouver des excuses » pour ne pas agir. Mais il se réjouit du changement de mentalité dans l’appareil fédéral. « On a mis en œuvre une demi-douzaine de projets pilotes pour démontrer qu’on peut faire les choses différemment », souligne-t-il.


Plaidoyer pour Services partagés Canada


Malgré des « débuts raboteux », Alex Benay voit d’un bon œil la création de Services partagés Canada, le ministère responsable de gérer l’informatique au fédéral. Cette agence fondée en 2011 accumule les ratés, mais, selon lui, « on commence à voir la lumière au bout du tunnel ». M. Benay n’est pas à la tête de cette organisation. Son rôle consiste plutôt à offrir une vision d’ensemble au gouvernement fédéral.


Il assure toutefois que, grâce à Services partagés, le coût pour le matériel informatique et les logiciels a diminué.


« La clé pour Services partagés sera de bien livrer les 2,2 milliards qu’ils viennent de recevoir dans le dernier budget », dit-il.


Qui veut encore travailler au fédéral ?


Malgré des besoins criants de personnel, Ottawa est incapable de garnir ses rangs.


« Notre modèle de recrutement n’a juste pas de sens, lance M. Benay. Quand le processus prend un an, c’est vraiment dur de recruter du nouveau talent. »


Il rappelle qu’au privé, « on peut te donner une offre d’emploi sur-le-champ ».


En plus de la lourdeur administrative du processus d’embauche, le fédéral est moins attirant pour les jeunes, selon lui.


« Nous, on attire les gens en leur offrant une carrière stable de 35 ans, mais la plupart des jeunes d’aujourd’hui s’en fichent pas mal [de cet aspect], dit-il. On paye mal nos gens. »


Des contrats qui manquent de transparence


Le fédéral dépense chaque année des centaines de millions en projets informatiques, une manne qui profite surtout à quelques géants du domaine numérique.


L’un des problèmes, selon M. Benay, c’est que les appels d’offres d’Ottawa sont souvent rédigés sur mesure pour certaines entreprises. Il dénonce aussi la lourdeur de la bureaucratie.


« On passe trois ans à essayer de définir nos besoins. Après, on passe deux ans en appel d’offres. Et quand on regarde les appels d’offres, on voit que certains critères sont là exprès pour Oracle, Microsoft, OpenText. Alors est-ce que c’est réellement transparent ? » se questionne-t-il.