Nunavik: reconquérir sa propre culture

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Retour au traditionnalisme pour les Inuits : l'enracinement dans sa culture pour se projeter dans le monde

Dans la toundra arctique, à quelque 150 mètres du village d’Inukjuak, deux petites buttes dans la neige signalent la présence d’un igloo. Avec son toit bien rond formé de blocs de neige étroitement imbriqués les uns dans les autres et son enfilade de pièces intérieures souterraines, c’est une véritable oeuvre d’art. En cette semaine de relâche, des enfants s’y rejoignent pour jouer, avant de partir courir à la suite d’un grand lièvre arctique, qui passe tout près.


Cet igloo, c’est Charlie Nowkawalk et Lucassie Echalook qui l’ont construit. Charlie Nowkawalk est l’un de ceux qui ont fondé Unaaq, l’association d’hommes d’Inukjuak qui se donne pour mission de transmettre le savoir inuit traditionnel aux jeunes.


L’association Unaaq a vu le jour en 2001, après une vague de suicides: trois jeunes hommes de la communauté d’Inukjuak s’étaient donné la mort en l’espace de quelques mois.


« Au moment de ces événements, nous avons eu une réunion dans la communauté pour réfléchir à ce qu’on pouvait faire, raconte Charlie Nowkawalk, l’un des fondateurs d’Unaaq. Plusieurs jeunes gens de la communauté n’avaient pas de compétences en matière de chasse et ne connaissaient pas la culture traditionnelle. Nous croyions que c’était la principale raison pour laquelle ils étaient perdus et se suicidaient. Alors les femmes du village ont convoqué les hommes à ce sujet et leur ont dit : “Que font les hommes ? Qu’est-ce que vous faites au sujet de ces jeunes qui se suicident ? Pourquoi vous n’emmenez pas vos fils à la chasse et à la pêche ?” » se souvient Charlie Nowkawalk.


Selon Charlie Nowkawalk, les femmes avaient gardé un certain pouvoir dans la communauté, à travers les cercles de guérison ou les groupes religieux.


« Mais chez les hommes, c’était différent. J’ai vu des aînés dont les fils et les filles avaient été enlevés pour être envoyés au pensionnat. Leurs frères et leurs soeurs avaient été déplacés. Leurs chiens avaient été massacrés. Ils ont perdu leurs leaders spirituels depuis longtemps, quand les missionnaires sont arrivés. Il y a eu l’introduction de l’alcool. Les hommes ont perdu beaucoup à travers tout cela. Ils étaient très en colère. Et ils étaient isolés .»


Après quelques rencontres, les hommes décident de fonder une association dont les membres emmèneraient régulièrement les jeunes Inuits à la chasse et à la pêche. Les aînés voulaient apprendre aux jeunes comment faire des igloos, les rudiments de la culture traditionnelle.


« Les jeunes, ils n’ont pas besoin qu’on leur enseigne tout au mot à mot, poursuit Charlie Nowkawalk. Soit on leur enseigne comment survivre, comment faire un igloo, comment pêcher quand il fait très froid, ils vont retrouver leur confiance et leur fierté », croit-il.


Emmanuel Cyr, un artiste du Cirque du Soleil qui enseigne depuis plusieurs années au Nunavik, confirme que les Inuits apprennent davantage par l’exemple qu’à travers des explications.


L’association Unaaq, des hommes d’Inukjuak, aurait d’ailleurs souhaité obtenir un véritable statut d’école auprès du gouvernement du Québec.


« Mais cela a été refusé. Nous sommes devenus une organisation à but non lucratif », relate Charlie Nowkawalk. L’association compte cependant sur le soutien de Makivik, de l’administration régionale de Kativik, et de la municipalité.



Une bourse de 500 000 $


En janvier dernier, Unaaq a reçu un prix au gala Inspiration arctique pour son travail. Le prix était accompagné d’une bourse de 500 000 $. Et depuis quelques années, le taux de suicide a baissé à Inukjuak, sans pourtant disparaître. En 2016, le documentaire Chez les géants, d’Aude Leroux-Lévesque et Sébastien Rist, racontait encore l’histoire de Paulusie Kasudluak, un jeune Inuit qui se suicide au cours du film. Et en 2015, dans l’ensemble du Nunavik, le taux de suicide était la deuxième cause de mortalité après le cancer. On comptait 11,5 suicides par 10 000 habitants, contre 1,1 suicide par 10 000 habitants pour le reste du Québec.


La violence n’a d’ailleurs pas disparu de la communauté d’Inukjuak. Au cours des derniers mois, deux femmes, une mère de famille et une adolescente, ont été assassinées dans le village.


Au refuge pour femmes d’Inukjuak, on estime que ce sont davantage les femmes de 40 ou 50 ans qui demandent de l’aide. « Elles viennent ici se réfugier, puis, souvent, elles repartent chez elle, et elles ne nous racontent pas toujours ce qui se passe », raconte une employée du refuge qui ne veut pas être identifiée. « Il y a des cas d’abus et l’alcool n’est pas toujours en cause, poursuit-elle. Mais les hommes ont aussi besoin d’aide. Ils ont les groupes anonymes, ils ont Unaaq, mais ils ont besoin d’aide. »


Charlie Nowkawalk dit pour sa part que les hommes d’Unaaq ont préféré agir, en emmenant des jeunes sur le territoire, plutôt que de s’engager dans des rencontres thérapeutiques. « On ne veut pas parler des problèmes sociaux. On veut parler de l’identité culturelle et du rôle des hommes dans la communauté. Si on récupère ce rôle, le reste va suivre », croit-il.


Depuis quelques mois, Charlie Mowkawalk a construit une dizaine d’igloos pour la communauté.


« Tout le monde me demande des igloos, dit-il. La garderie m’en demande. L’école m’en demande. »


> La suite sur Le Devoir.



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