Notre rapport à la France

Livres - revues - arts - 2012


J'aime la France et les Français. La France, pays de mes origines, n'est plus ma nation, mais elle demeure pour moi une référence obligée et nourrissante. Sa langue est la mienne, ma langue est la sienne, je partage avec elle un grand bout d'histoire et son actualité culturelle et politique continue de me fasciner et de m'inspirer. Je suis québécois et ma fidélité première va à mon propre peuple et à sa culture, mais la France habite mon univers mental.
Depuis des années, je me couche tard tous les samedis soirs pour écouter les Français parler, échanger, s'amuser et débattre sur le plateau de l'émission On n'est pas couché, diffusée à TV5. J'aime leur éloquence, leur art du débat, le plaisir qu'ils prennent à argumenter de front. La France, on l'aura compris, n'est pas mon pays, mais, sur le plan culturel, elle ne m'est pas étrangère. Je l'aime comme on aime la lointaine la plus intime qui soit.
J'ai donc lu avec grand intérêt le plus récent numéro de la revue littéraire L'Inconvénient, dont le dossier principal s'intitule «La France et nous». Partisan de l'idée que le Québec a tout à gagner en développant des rapports soutenus et profonds avec la France, j'étais curieux de découvrir ce qu'avaient à dire à ce sujet les intellectuels souvent grincheux et parfois hautains de ce stimulant périodique. Je craignais, je dois l'avouer, d'y lire une fois de plus les clichés d'intellos québécois sur la grande littérature française tellement plus riche que la nôtre, et patati, et patata.
En déplorant «l'oubli de la France» qui règne au Québec, le professeur de littérature Patrick Moreau évite ces poncifs. Les Québécois, écrit Moreau avec raison, semblent avoir renoncé à la part française de leur identité. «La France et les Français, constate-t-il, restent à leurs yeux quelque chose d'extérieur qu'ils ne parviennent pas bien à situer dans leur histoire et encore moins dans leur identité.» Quand ils veulent s'ouvrir sur le monde, les jeunes Québécois ne rêvent que d'être bilingues, c'est-à-dire de parler anglais.
«On peut se demander, écrit Moreau, si ce reniement de leur héritage français par une partie des Québécois contemporains ne résulte pas d'un besoin inconscient de se fondre dans une uniformité nord-américaine perçue comme rassurante.» Ne peut-on pas croire, en effet, comme le suggère Moreau, que, pour de jeunes Nord-Américains déjà plongés dans un univers commercialo-culturel anglo-saxon, «le contact avec la France et sa culture [constituerait] pour eux une expérience sans doute plus enrichissante» en matière d'ouverture sur le monde?
Professeur de littérature au cégep, Moreau plaide pour un enseignement qui fait une place à la littérature française, ne serait-ce que pour tenir compte de l'influence qu'a eue cette dernière sur la littérature québécoise. Cette proposition, en soi, ne fait pas l'objet de débats. Tout, ici, est affaire de proportions. La littérature française doit bien sûr avoir une place dans l'enseignement de la littérature au collégial (et même au secondaire), mais ce ne doit pas être, comme c'est encore trop souvent le cas à l'heure actuelle, la première, qui revient à notre littérature nationale. Il ne s'agit pas d'opposer, en un stérile débat, une littérature à l'autre, mais de reconnaître qu'il revient au Québec d'enseigner d'abord sa littérature, tout en faisant une place à la littérature française qui, même si elle n'est plus la nôtre, reste celle de nos origines et de notre univers linguistique.
L'oubli de la France que déplore Moreau a des causes. Les adversaires de l'émancipation du Québec, d'hier à aujourd'hui, ont contribué à cet éloignement entre la France et le Québec parce que cela les servait. Présenter les Québécois tels des Nord-Américains comme les autres, notamment en relativisant leur différence linguistique, c'est-à-dire la part française de leur identité, revient à saper la légitimité de leur désir d'indépendance. Un autre groupe, inconsciemment peut-être, a aussi contribué à cette rupture. En se servant de la culture française pour mépriser les balbutiements québécois, les intellectuels d'ici amants de l'Hexagone ont créé un certain ressentiment dans les classes populaires envers l'objet fantasmé de leur désir.
Dans ce numéro, l'essayiste Yannick Roy adopte la posture de ces intellos qui font détester la France en l'aimant. Il affirme, par exemple, que les étudiants français auxquels il enseigne sont nettement plus lettrés et plus cultivés que leurs semblables québécois. Deux récents ouvrages viennent pourtant contredire ce mythe de la supériorité culturelle de l'école française. Sophie Coignard, dans Le pacte immoral (J'ai lu, 2011), et Natacha Polony, dans Le pire est de plus en plus sûr (Mille et une nuits, 2011), montrent que l'école française a exactement les mêmes problèmes que l'école québécoise!
Pour montrer que les jeunes Français sont plus cultivés que les Québécois, Roy mentionne que les premiers ont lu Hugo, Sartre et Balzac, alors que les seconds «n'ont lu que des oeuvres québécoises». Mais quoi? Ce qui vaut pour les Français (lire la littérature nationale) ne vaut pas pour les Québécois? Dans un souci d'équilibre, Roy lance ensuite que si le niveau culturel des Québécois ne s'est pas élevé depuis 1960, celui des Français, lui, a baissé. Il en veut pour preuve l'absence de personnages d'envergure sur la scène politique française. Connaît-il seulement l'éblouissant chef du Front de gauche, Jean-Luc Mélenchon?
Monique La Rue se réjouit, pour sa part, de la présence de plus en plus marquée de Français au Québec. Le rapport décomplexé qu'ils entretiennent avec leur langue — ils ne se demandent pas s'ils ont raison de parler français — devrait, dit-elle, nous servir d'exemple. Sur ce plan, elle a raison. Elle s'égare, toutefois, en suggérant que la menace qui pèse sur le français au Québec vient d'abord de notre laisser-aller linguistique.
Une langue, répétons-le, n'est pas menacée parce qu'on la parle mal. On la parle mal ou on la néglige quand son statut social, culturel et économique est dévalué, quand le prestige appartient à une autre langue. À cet égard, on peut toutefois conclure que renouer vraiment avec la France donnerait peut-être aux Québécois le sentiment de la noblesse de leur langue et de leur culture.
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louisco@sympatico.ca
L'Inconvénient
«La France et nous»
Numéro 48, février 2012, 186 pages


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