L'obsession conservatrice de Bock-Côté

Bock-Côté - Fin de cycle /Aux origines du malaise politique québécois


Fin de cycle
_ Aux origines du malaise politique québécois
_ Mathieu Bock-Côté
_ Boréal
_ Montréal, 2012, 184 pages
Énergique commentateur de la scène politique québécoise, le sociologue Mathieu Bock-Côté est un indépendantiste déprimé. Dans Fin de cycle. Aux origines du malaise politique québécois, il constate, avec une certaine tristesse, l'échec du souverainisme tel qu'il a été pensé depuis 1960 et le désarroi que cet inachèvement engendre dans la société québécoise. La souveraineté n'est pas advenue, mais les fédéralistes d'ici, qui souhaitaient un arrangement satisfaisant pour le Québec dans la fédération, n'ont pas gagné non plus. D'où le malaise.
Bock-Côté, contrairement à d'autres, n'en tire pas la conclusion que cette question est dépassée et qu'il faudrait maintenant passer à autre chose. «Le jour, écrit-il, où le peuple québécois renoncera définitivement à l'idée d'indépendance, ou qu'il la considérera comme totalement impraticable [...], un ressort identitaire profond se brisera chez lui, qui enclenchera une dynamique de folklorisation le conduisant à une agonie politique lente donnant un nouveau visage à ce que Hubert Aquin avait appelé la fatigue culturelle du Canada français.»
Afin d'éviter toute ambiguïté quant à ses convictions profondes, Bock-Côté réaffirme son credo fondamental. «Le Québec est notre seul pays, écrit-il. Nous n'en avons pas d'autres. C'est le seul endroit dans le monde où nous pouvons exister comme un peuple normal. Avoir un pays n'est pas un gadget identitaire parmi d'autres. C'est la condition même de notre participation au monde en notre propre nom.» Voilà qui a le mérite d'être clair et juste.
Or le problème, selon Bock-Côté, c'est que cet «appel de la patrie» n'est plus entendu. La question nationale lasse les Québécois qui, désemparés, se cherchent, en refusant les étiquettes idéologiques. Ce pragmatisme, écrit pourtant le sociologue, «ne propose rien de mieux qu'une gestion raisonnable et responsable de notre déclin».
Sur la base de ce douloureux constat, Bock-Côté avance sa proposition principale selon laquelle un ressaisissement du Québec passe par «une révolte du sens commun contre la déconstruction de l'identité nationale», par une réappropriation du «vieux fond bleu de la société québécoise», par «la reconstitution d'un conservatisme moderne, reconnaissant l'héritage de la Révolution tranquille mais qui s'attacherait à le débarrasser de son utopisme technocratique».
Le cycle évoqué dans le titre de cet ouvrage et qui s'achève, c'est celui qui a commencé avec la Révolution tranquille et qui liait libération nationale et libération sociale. Le «mythe de la Grande Noirceur», créé notamment par les intellectuels de Cité libre et repris par les nationalistes progressistes, impose alors de mettre tout le passé canadien-français en procès. Dans cette logique, il faut non seulement se déprendre du Canada anglais, mais aussi du Canada français pour faire advenir un Québec libre et moderne. «Nous comprenons maintenant les effets pervers de cette émancipation sans tradition, de cette société qui confond la confiance en l'avenir avec la détestation du passé», affirme Bock-Côté.
Le souverainisme, selon le sociologue, se serait donc égaré en ne devenant «que la poursuite du progressisme par d'autres moyens». Alors qu'il trouvait sa légitimité dans une expérience historique et un substrat identitaire, ceux de «la majorité historique francophone», il se serait dénaturé, surtout après 1995, en se dénationalisant pour se fonder sur une affirmation des valeurs du Québec. Ces dernières, disait-on, étaient plutôt de gauche, alors que celles du Canada étaient plutôt de droite, raison pour laquelle la souveraineté s'imposait. Non plus tant, donc, pour affirmer une identité historiquement fondée que pour réaliser un projet de société différent.
Or, quand ce projet social-démocrate commence à connaître des ratés, il est inévitable que le projet de souveraineté, qui lui est désormais directement associé, perde des plumes, explique Bock-Côté. De plus, l'abandon par les élites souverainistes du discours identitaire aurait achevé de discréditer leur projet. Au moment de la crise des accommodements raisonnables, alors qu'un vieux fond conservateur renaît, ces élites s'en dissocient et refusent d'y reconnaître un élan national porteur.
Cette thèse selon laquelle le «virus idéologique» du progressisme serait la cause de l'échec du souverainisme est très contestable. Bock-Côté affirme, par exemple, que les élites souverainistes auraient fait fausse route en abandonnant «une définition substantielle de l'identité collective engendrée par l'expérience historique majoritaire» pour lui substituer des valeurs communes universalistes, comme le français, langue officielle, la démocratie, les droits fondamentaux, la laïcité, le pluralisme, la solidarité, etc.
Le sociologue évo-que même à quelques reprises «la désoccidentalisation de l'identité québécoise». Les valeurs précédemment mentionnées sont pourtant l'honneur de la civilisation occidentale et sont enracinées dans l'histoire du Québec. Associées à la défense du français — «tout le reste est accroché à cet élément essentiel, en découle ou nous y ramène infailliblement», écrivait René Lévesque dans Option Québec —, elles sont aussi l'honneur de l'évolution du Québec et du mouvement souverainiste.
À quoi Bock-Côté fait-il donc référence quand il répète que le souverainisme néglige le discours identitaire et se désoccidentalise? À l'effacement de l'héritage catholique? Ce processus concerne tout l'Occident, justement, et n'explique certes pas l'échec du projet de souveraineté. À l'adhésion au multiculturalisme? Le PQ est contre. Au mépris de ce qu'il appelle le «sens commun»? Cette formule est un mantra qui ne signifie rien. De même, quand Bock-Côté conclut à la relative faillite de la social-démocratie québécoise, il relaie bêtement une opinion qu'un ouvrage de Jean-François Lisée vient de détruire.
Bock-Côté a raison de rappeler que la souveraineté, en soi, n'est ni de gauche ni de droite (ce que Québec solidaire refuse d'accepter), mais il a tort de croire que le progressisme est son talon d'Achille et qu'un virage conservateur s'impose pour la sauver. L'expérience historique du Québec, à laquelle il est si attaché, a mené à ça: sauf exception, ce ne sont pas les conservateurs qui croient à sa nécessité, mais les sociaux-démocrates.
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louisco@sympatico.ca


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