Non au «laïcisme à tout crin»!

Par Jacques Grand´maison

Laïcité — débat québécois

L'auteur est sociologue et théologien. Nous vous présentons dans cette page deux extraits de son nouvel ouvrage, Pour un nouvel humanisme, Fides, 2007, qui sera en librairie la semaine prochaine.


Ailleurs dans les pays occidentaux, on se donne des processus de transactions entre laïcité et religion, entre esprits laïques et esprits religieux.

Ce serait bien bête de passer, au Québec, d'un confessionnalisme à tout crin à un laïcisme à tout crin, alors qu'ailleurs dans les pays occidentaux on se donne des processus de transactions entre laïcité et religion, entre esprits laïques et esprits religieux. Transactions et aussi critiques et procès mutuels. Des débats démocratiques, quoi! De toute façon, ces tensions dans la réalité sociétaire sont là pour longtemps. Elles sont même un lieu d'intelligence de notre évolution historique et de phénomènes sociaux sous-estimés.
Les avancées de l'État de droit et du pluralisme permettent à tous les groupes, y compris religieux, de coexister dans l'espace public.
L'atomisation et l'anomie sociale activent les requêtes de sens, d'identité et de communauté surtout si la laïcité se définit par une neutralité abstraite sans contenu humaniste. L'être humain est beaucoup plus qu'un citoyen.
La déculturation religieuse empêche les générations montantes de comprendre les oeuvres majeures d'inspiration chrétienne de la civilisation occidentale. La culture religieuse est aussi une des voies d'accès aux divers humanismes d'hier. Les athées Jean-Paul Sartre et André Comte-Sponville nous le rappellent.
Redisons aussi ce constat ironique du grand écrivain Umberto Eco! Beaucoup de gens d'aujourd'hui qui se vantent de ne croire en rien sont prêts à croire en n'importe quoi.
La non-reconnaissance des religions dans l'espace public pave le chemin du sectarisme religieux ou de l'intégrisme politico-religieux. Il en va de même du refus de la religion comme institution et son refoulement dans la sphère privée et individuelle. J'aurai à y revenir.
Chez nous particulièrement, la non-prise en compte de la religion dans les rationalités psychologiques, sociologiques ou politiques laisse en veilleuse un des lieux d'intelligence des comportements individuels et collectifs. Même les ruptures religieuses ont des impacts de tous ordres dans les consciences et la société. On devrait en savoir quelque chose, ici au Québec, dans son histoire récente, et encore aujourd'hui. L'effondrement des cadres de la mémoire collective et des structures de transmission de celle-ci est un phénomène très répandu dans les nouvelles générations. Il ne retentit pas seulement dans l'éclatement de l'expérience religieuse et une crédulité primaire sans tradition éprouvée, mais aussi sur le terrain profane des médiations symboliques et institutionnelles dont je vais faire état dans la réflexion qui suit. (...)
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AU-DELA DE NOS CERTITUDES...
Jacques Grand'maison
(...) Disons d'abord qu'accorder une sorte de transcendance à la condition citoyenne, c'est méconnaître l'ampleur et la profondeur de la condition humaine autrement plus riche et complexe. Le XXe siècle a connu des régimes totalitaires qui ont imposé cette fausse transcendance. Même la sacralisation du républicanisme français, tout démocratique soit-il, est en train de susciter des révoltes identitaires. Révoltes qui ne sont pas étrangères à la mise à l'écart de l'anthropologie religieuse qui traverse la longue histoire de l'humanité, comme je le disais plus haut. Ce sont là autant d'apories (fermetures), quand la laïcité devient un laïcisme qui lamine les autres dimensions de la condition humaine et qui, par exemple, refuse l'inscription de la religion dans la société comme telle, et appauvrit l'humanisme dont cette laïcité étroite se réclame.
C'est reculer au positivisme du XIXe siècle, dont on devrait mieux savoir les apories sur la condition humaine, fût-ce son idéalisation paradoxale du désenchantement du monde qui est à la source de profonds désenchantements d'aujourd'hui. Je m'étonne toujours du refus de reconnaître un quelconque lien entre ces deux phénomènes.
La prétendue neutralité de ce type de laïcité met aussi à plat la symbolique culturelle et spirituelle. Elle finit par ne garder que le fait brut comme seule norme, ou bien, que l'intérêt immédiat comme seul moteur, ou encore, que le matérialisme comme seule idéologie. On n'a qu'à voir l'incapacité de se donner des normes autres que des règles instrumentales; des dictats d'experts; des jugements de la Cour qui sont purs décalques de l'état des moeurs; des finalités de l'éducation qui tiennent uniquement de logiques procédurales et dites pédagogiques. Bref, la difficulté même de nommer le «bien».
Comme di-sait Chesterton: «Nous ne savons plus ce qu'est le bien, mais nous voulons le transmettre à nos enfants.» Cette démarche critique fait aussi partie du nouvel humanisme à construire et d'une laïcité plus pertinente. Dans la seconde partie de cet ouvrage, je fais le pari que la pensée chrétienne peut y jouer un rôle précieux. Dans son origine et dans ses fondements, la pensée chrétienne réclame la laïcité, sans pour cela s'y enfermer, tout comme la religion ne doit pas enfermer la laïcité. Tout au long de l'histoire biblique et du christianisme, il a fallu beaucoup de temps pour se déprendre d'une religion de domination et d'aliénation de la conscience et de la cité qui relève tout entière de la responsabilité humaine. S'agit-il de la foi chrétienne comme telle, le Dieu autre offre gratuitement une alliance à notre liberté. Elle appelle un sujet humain de plain-pied, debout en lui-même et dans sa cité.
La modernité d'aujourd'hui nous a fait découvrir à nous, les chrétiens, qu'on ne peut plus penser notre foi comme un humanisme englobant. Nous avons plutôt à inscrire notre apport original dans un nouvel humanisme construit avec les autres croyants et les esprits laïques (sans religion). On ne possède pas la vérité, on a besoin de la vérité des autres. Peut-être faudrait-il plutôt parler de rencontre de différentes plausibilités ouvertes au dialogue et inévitablement à des confrontations. Avec l'acceptation, chez tous, de devenir autres au bout de ce chemin. [...]
Esprit ouvert
La plupart des gens se disent d'esprit ouvert, «progressiste», sans préjugé et en constante évolution. Cette posture peut s'accompagner de quête de sens, de questionnements chez plusieurs. Mais quelle ne fut pas notre surprise de constater certains enfermements plus ou moins souterrains inavoués, sinon impensés. Comme si on s'était fabriqué un petit noyau dur de certitudes qui ne souffrait aucune remise en cause, aucune distance critique. Qu'il s'agisse de politique, de morale ou de religion. Ce noyau dur de certitudes est implicitement constitutif d'un moi souverain qui marginalise toute véritable altérité.
L'impératif quasi absolu de n'agréer que «ce qui me ressemble», pour employer l'expression la plus répandue, en est la figure manifeste. D'où une perpétuelle insatisfaction de l'autre et des autres, même en amour. Insatisfaction aussi de tout ce qui est hors de soi et qui ne «me ressemble pas». Et l'on se retrouve coincé entre deux contraintes (double bind). Ce que Simone Weil appelle «l'égarement des contraires»: la certitude à soi qui s'impose comme un absolu, et l'autre qui l'empêche de l'atteindre. Ce cercle vicieux se boucle dans la conviction de ne plus chercher, parce qu'on a trouvé. Comme cet homme qui me disait: «Vous, vous croyez, moi, je sais.» Il y a bien des formes d'intégrisme, y compris laïques. (p. 193-194)
» Un autre extrait du livre de Jacques Grand'Maison (format PDF)


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