Non à l’exportation de l’eau du Québec

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L'eau, fragile richesse québécoise

Dans les pages du Devoir du 26 juillet dernier, le professeur à la retraite Marcel Boyer relançait, avec « Partager l’eau, pour l’éthique et le commerce », un débat que je croyais clos depuis les années 1990. Revenons-y. Il y a tellement d’eau en notre pays. Pouvons-nous la partager, devenir de richissimes « princes de l’eau » comme on dit « princes du pétrole », et appliquer des règles de précaution environnementale pour assurer notre survie ?


L’ONU nous apprend qu’une trentaine de pays manquent d’eau dans le monde. Ce sont des pays où l’eau est exploitée à plus de 50 % de ses réserves. Parmi ceux-ci, les onze suivants utilisent leurs réserves presque à 100 % : Arabie saoudite, Bahreïn, Égypte, Émirats arabes unis, Gaza, Israël, Jordanie, Koweït, Libye, Malte et Qatar. Aucun de ces pays ne demande au Canada de lui vendre ou donner son eau. Bien sûr, les États-Unis d’Amérique, eux, en demandent. Devrions-nous ouvrir les vannes de la compassion et permettre que l’eau exportée arrose des terrains de golf surgis du désert entourant Las Vegas, ou qu’elle soutienne l’expansion de la ville de Phoenix, construite en plein désert et qui consomme des quantités phénoménales d’eau, ou encourager les industriels de l’agroalimentaire installés dans les déserts de l’Arizona qui s’affairent à vider leur plus grande nappe phréatique, l’Ogallala, par de la culture intensive ? Et tout cela en sachant que les États-Unis font partie, avec le Brésil, la Colombie, l’ex-Zaïre, l’Inde, etc., des neuf pays les mieux nantis quant à l’eau sur leur territoire…


La trentaine de pays manque d’eau à cause de précipitations peu abondantes et de pratiques hygiéniques déficitaires qui engendrent la pollution et réduisent la disponibilité de l’eau de qualité. Souvent, ce n’est pas le manque d’eau, mais la façon de l’utiliser et l’insuffisance d’équipements collectifs pour la distribuer qui posent problème. De plus, devrions-nous partager avec des pays qui laissent les industries multinationales drainer impunément les nappes phréatiques ou qui refusent de taxer leurs riches afin de doter leur pays des infrastructures nécessaires au partage de l’eau avec l’ensemble de leur population ?


Au Canada, toutes les possibilités commerciales ont été étudiées. Mahmoudd Abou-Zeïd, ministre égyptien de l’époque, en réponse à l’offre de promoteurs canadiens, soulignait que les coûts de transport de l’eau par bateau seraient prohibitifs en comparaison des coûts de désalinisation de l’eau de mer, soit deux à trois fois plus cher. Notre ministère de l’Industrie et du Commerce croit que le seul avantage pour le Québec résiderait en des retombées économiques associées à la construction ou à la réfection de bateaux. Même aux États-Unis, où l’on retrouve environ la moitié des 11 000 usines de désalinisation du monde, la solution du transport de l’eau en vrac est de moins en moins concurrentielle.


Notre enrichissement passerait-il par l’exportation de l’eau embouteillée ? Tiens ! Il faudrait le demander à Naya, entreprise québécoise, mise en faillite technique entre autres par les pratiques commerciales états-uniennes de Coca-Cola. Plusieurs multinationales développent maintenant le marché de l’eau d’aqueduc mise en bouteille et enrichie de minéraux, ce qui évite l’importation de l’eau du Canada, économisant ainsi des coûts de transport énormes. Nous pourrions tenter de percer le marché de l’eau embouteillée dite « haut de gamme ». […]


Au mieux pourrait-on accueillir et subventionner des multinationales étrangères qui créeraient ici quelques emplois, comme on l’a fait pour la compagnie Parmalat, installée à Saint-Mathieu-d’Harricana en Abitibi et qui a changé souvent de propriétaire, et qui, avec ses compétiteurs, a payé à peine 150 000 $ de redevances annuelles au Québec, ce qui ne couvre même pas le coût de la facturation. Il s’agit ici d’une presque gratuité pour extraire de l’eau de notre territoire. Avant de nous enrichir, voyons à ne pas nous appauvrir. Pour ce faire, évitons la prise de contrôle de l’eau québécoise par des sociétés étrangères.


À première vue, il semble que seule l’exportation de l’eau par canalisation à partir des Grands Lacs vers les États-Unis jouisse d’un seuil de rentabilité potentiel. Il y aurait certainement création d’emplois temporaires en Ontario et au Michigan pour la construction des canalisations. Cependant, la demande états-unienne dépasse annuellement le débit du fleuve Saint-Laurent ; pouvons-nous nous priver de cette masse d’eau ? Non, explique la Commission mixte internationale (Canada–États-Unis), c’est trop dangereux, car il n’y a jamais de « surplus » d’eau dans le réseau des Grands Lacs. Avec les changements climatiques en cours, le niveau des eaux baisse, et cela doit nous inciter à faire preuve de prudence dans la gestion de l’eau, afin de préserver cette ressource pour les générations futures.


> La suite sur Le Devoir.



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