Noël politique ?

Noël et Jour de l'An - 2010- 2011


Mathieu Bock-Côté, Échos Montréal, vol 17, no 11, p. 11
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J’ai toujours eu de l’affection pour les chants de Noël. Surtout pour Minuit Chrétien, un chant profondément populaire, mais remarquablement achevé sur le plan esthétique. Ou encore pour l’Ave Maria. Je ne sais pas trop ce que j’y devine, mais je suis chaque fois ému. Profondément ému. À certains moments, qui ne durent jamais, j’en viens même à m’imaginer que j’ai trouvé la foi.
L’ambiance de Noël devrait naturellement me tenir éloigné de la chose politique. Mais depuis quelques années, je me surprends à siffloter mes chants préférés en ayant l’étrange impression de poser un geste politique. La raison ? On la devine : j’ai été conscrit malgré moi dans ce que les Américains nomment la Christmas War. Malgré moi, parce que jamais nous n’aurions dû transformer cette période de l’année en champ de bataille identitaire.
Chaque année, la gauche multiculturaliste profite de la période des fêtes de Noël pour s’en prendre aux symboles chrétiens qui sont incorporés à l’identité québécoise. Son prétexte ? Ils seraient discriminatoires pour les « minorités non chrétiennes ». Une année, on censure le sapin de Noël. Une autre, les cantiques de Noël. Et chaque fois, on remplace le Joyeux Noël par un insipide Joyeuses Fêtes. Sur le Plateau Mont-Royal, on en est même rendus à se donner du Joyeux Décembre !
Évidemment, les « grands esprits » revenus de tout ne comprennent pas pourquoi les Québécois se braquent ainsi lorsqu’ils assistent à la déconstruction de leurs symboles culturels. Pourquoi parler d’identité lorsqu’on peut se soucier d’environnement, de croissance économique ou de lutte à la pauvreté ? Pourquoi se soucier de l’identité québécoise quand on peut faire sérieux en se spécialisant dans les « vraies affaires »
Réponse : parce que la vie d’un peuple ne se réduit pas à un exercice comptable. Certaines questions fondamentales ne se chiffrent pas. Elles se dérobent aux plans d’actions technocratiques. Et si la question identitaire prend aujourd’hui autant de place, c’est parce que les Québécois sentent bien qu’à l’abri du regard public, certaines sources qui irriguent leur culture semblent à la veille de se tarir. Leur identité en ressortirait asséchée, stérilisée, dénaturée.
La civilisation occidentale doit énormément aux idées des Lumières. Elle ne leur doit pas tout. Le christianisme a longtemps fécondé notre civilisation, il l’a investie d’un certain sens de la dignité humaine, d’une spiritualité aussi, qui s’est exprimée dans une éthique conjuguant solidarité et responsabilité ou encore dans une architecture qui nous a démontré ce dont l’homme est capable lorsqu’il poursuit une grandeur qui le dépasse. Ce n’est pas verser dans la « nostalgie », comme on dit, que de reconnaître au moins partiellement notre dette envers lui.
De la même manière, le Québec est l’héritier de la Révolution tranquille, qui lui a permis de s’affranchir économiquement, de renaître culturellement et de s’affirmer nationalement. Il doit se rappeler qu’il est aussi l’héritier du Canada français. On peut comprendre les révolutionnaires tranquilles d’avoir voulu en finir avec un régime Duplessis dont les dernières années n’auront pas été les plus lumineuses. Mais il est temps, aujourd’hui, de se réconcilier avec ce qui reste vivant dans la vieille identité canadienne française.
Le débat sur l’héritage catholique du Québec revient dans l’espace public parce qu’à travers lui, les Québécois rappellent que leur identité n’est pas une construction idéologique artificielle tenant exclusivement à la modernisation des cinquante dernières années. À travers lui, ils réparent la fracture de 1960. Ils rappellent surtout que leur culture ne saurait être sacrifiée pour plaire aux idéologues de la table rase. Qui leur donnerait tort ?


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