À l'approche de Noël, certains se sentent plus québécois que d'autres..

Mon Québec à moi...

« Mon pays, c’est là où mes enfants sont heureux. »

Tribune libre

«Je m'appelle Mohamed, je suis québécois et je vous emmerde.» La dernière fois que j'ai entendu cette phrase, j'étais dans un taxi, à quelque 5000 kilomètres d'Hérouxville, dans un pays musulman.
Accompagné de mon fils, j'ai souvent pris des taxis dans ce pays et j'ai rarement échappé aux commentaires des chauffeurs qui trouvaient inconcevable que mon fils de 23 ans ne parle pas couramment l'arabe et ne connaisse pas suffisamment la religion de son père. Aux yeux de certains chauffeurs, ne pas lui apprendre l'arabe et la religion, c'était le condamner à la perdition. Quand les commentaires prenaient le ton d'un sermon, j'y mettais fin poliment: «Mieux que l'arabe ou la religion, Monsieur, j'apprends à mon fils à se mêler de ses affaires.»
Mais ce jour-là, je suis tombé sur un chauffeur pas comme les autres. Titulaire d'un doctorat en biochimie, fatigué de manifester sa revendication du droit au travail avec des centaines d'autres chômeurs hautement diplômés, il a choisi le taxi pour faire vivre sa petite famille en attendant que son pays, ou n'importe quel autre pays, lui offre le travail qui correspond à sa formation.
Cet homme n'était tellement pas comme les autres chauffeurs qu'après lui avoir confié mes petites anecdotes avec certains de ses collègues, il s'est mis à rire comme d'une blague très drôle. Il trouvait particulièrement subversif que j'emploie dans la même phrase les expressions «arabe», «religion» et «se mêler de ses affaires».
Et, comme pour m'aider à raffiner ma réplique devant d'autres sermons éventuels, il s'est mis à me proposer à la blague d'autres versions. Jamais un chauffeur de taxi ne m'avait autant fait rire. De toutes ses propositions, je me rappelle de celle-ci, qui sonnait à mes oreilles comme le refrain d'un rap. «Je m'appelle Mohamed, je suis québécois et je vous emmerde!»
Il n'y a pas longtemps, au Québec cette fois-ci, je me suis trouvé devant un professeur d'université qui tenait un discours savamment ambigu sur les notions de minorité et de majorité. À partir de quand un immigrant du Québec peut-il se permettre de se sentir membre de la majorité? Pour l'aider à mieux préciser ses propos, je lui ai demandé s'il ne trouvait pas absurde, pour ne pas dire discriminatoire, qu'on désigne certains citoyens du Québec de minorités visibles. En poussant plus loin le raisonnement, j'ai demandé à quelle catégories de citoyens québécois je devais appartenir: à la minorité à moitié visible ou à la majorité à moitié invisible? Un peu confus devant mes questions, le professeur s'est contenté de répondre ceci: «Il faut bien qu'on vous désigne de quelque chose pour distinguer les différences culturelles.»
À 200 kilomètres d'Hérouxville, dans un local universitaire, j'imaginais l'éclat de rire de mon ami biochimiste si j'avais utilisé sa réplique à l'endroit du prof. Elle a failli m'échapper. Mais j'ai plutôt opté pour un silence dosé d'un sourire énigmatique.
Depuis ma rencontre avec cet homme d'esprit, chauffeur de taxi et biochimiste de formation, je réprime le désir de lancer à bien des personnes, d'ici et de là-bas, la réplique dont il est l'auteur. Ce ne sont pas les occasions qui manquent. Mais de peur qu'elle soit mal comprise, mal interprétée ou récupérée médiatiquement, surtout de peur qu'elle soit dépossédée de l'humour qu'elle contient profondément, j'ai opté pour le silence. Elle résume pourtant mieux que n'importe quel discours ce que je suis devenu et ce que sont devenus la majorité de ces Québécois venus d'ailleurs. Ils n'ont pas à être inclus ou tolérés, ils sont ici et ils le restent pour le meilleur et pour le pire. Simplement.
Naturellement, ils assument leur choix de s'arracher à leurs racines. En regardant leurs enfants prendre un accent qui n'est pas le leur, tranquillement mais inévitablement, ils deviendront aussi québécois que le sont devenus tous ceux et celles qui débarquent sur cette terre depuis quatre siècles. Tôt ou tard, l'immigrant finit par arriver à la même réflexion du personnage principal du premier roman d'Abla Farhoud, Le bonheur a la queue glissante: «Mon pays, c'est là où mes enfants sont heureux.»
À l'occasion de ce débat maladroit et confus sur les accommodements de «nous» autres envers «eux» autres, la réplique du biochimiste me revient chaque fois que le débat prend une nouvelle ampleur médiatique. Je me la répète, mais en lui apportant la nuance qui s'impose. Comme pour tuer à petites doses toute trace d'identité meurtrière qui sommeille en chacun de nous. Celle qui se contente d'une seule appartenance. Mon Québec à moi ne se contente plus d'une seule appartenance. Oui, je me la répète comme un rap ouvert sur demain.
Je suis arabe, je suis musulman, je suis juif, je suis chrétien, je suis africain, nord-africain, nord-américain, francophone, je suis berbère, je suis montréalais, je suis d'Hérouxville.
Je m'appelle Mohamed, je suis Québécois et je vous embrasse...
Mohamed Lotfi
Journaliste et réalisateur de l'émission Souverains anonymes
http://www.souverains.qc.ca/listdesr.html

Featured c1b90b95f48d836a2ad7fea989740b7e

Mohamed Lotfi66 articles

  • 64 741

Journaliste et réalisateur de l'émission radiophonique Souverains anonymes avec les détenus de la prison de Bordeaux





Laissez un commentaire



8 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    23 décembre 2011

    a joseph
    (vis aupres d'un peuple 40 jours, tu t'intégres ou tu t,en vas)
    pure invention de la part de quelqu'un qui montre ne connaitre en aucun cas l'ame arabe! je vous en défie de fournir soit le proverbe en arabe , soit la traduction mot a mot en francais ( et non approximative)..juste par devoir d'intégrité envers ceux qui nous lisent!!!
    meme BOUCAR DIOUF..spécialiste des proverbes, en serait renversé devant un proverbe savamment inventé, cuisiné, concocté quoi!
    n'avez vous par remarqué, dans votre réaction, que vous ne parlez que de vous?
    n,est pas centriste qui veut.....
    puis vous tenez tellement a assimiler ceux qui sont différents de vous........vous qui avez refusé depuis des lustres de vous assimiler aux anglais? pourquoi??????...
    mystére et boule de gomme
    joyeuses fetes
    kamal

  • Joseph Berbery Répondre

    19 décembre 2011

    À Pierre Cloutier, je pose encore la même question : comment reconnaissez-vous les uns des autres?
    À Kamal B., je dirais qu'il y a un proverbe arabe qui devrait s'appliquer partout. Il est peut-être dur, mais il ne manque pas de justesse. Je traduis approximativement : «Vis au sein d'un peuple 40 jours. Ou tu t'intègres ou tu t'en vas». Bien sûr, personne n'aimerait se faire dire ça. Mais il est bon de le méditer.
    J'ajouterais que les Québécois ont une langue, une Histoire, une culture, un territoire et un vouloir vivre en commun qui leur sont propres. C'est-à-dire tous les attributs constitutifs des nations. Vous parlez de vous intégrer. Cette intégration commence par la reconnaissance du hôte pour ce qu'il est, une nation qui veut atteindre le stade de la maturité en assumant souverainement son destin.
    Vous abordez également l'autre aspect, la place que vous fait l'hôte. Ici, je n'ai aucune difficulté à vous rejoindre. Une simple étude statistique sur la répartition du chômage serait éclairante.
    Une blague circule autour de moi. Quand une dame enceinte veut prendre un taxi à Montréal, elle a tout intérêt à choisir un chauffeur arabe. Si elle est prise de contractions pendant le trajet, il y a de fortes chances pour que son chauffeur soit... médecin.
    À méditer aussi.

  • Archives de Vigile Répondre

    17 décembre 2011

    Il est toujours tentant de répondre a certains commentaires par ceci:
    Je m'appelle Kamal, je suis néo-québecois d'origine arabe. Mes ancêtres ne sont pas québecois, je n'aurais jamais la prétention de dire que je suis québecois! mes ancêtres ne le sont pas et je ne suis pas né au Québec. je pense ouvertement que l'on devient arabe, juif, chinois et new zélandais par humanisme d'abord. Si je fais maints efforts pour m'intégrer avec l'autre, l'autre bord doit être conscient que c'est a son tour de fournir un effort aussi pour s'intégrer avec moi. si on m'offre de m'aimer et de m'accueillir ouvertement a condition de hair le canada, je verrais surement la dedans un nerf revenchard et opportuniste! S'il m'arrive souvent de compenser ma fraternité entre le québecois et l'ontarien c'est parce que je ne serais jamais du genre qui censure l'autre. si je choisis de celebrer le nouvel an avec mon voisin qui jubile devant son sapin, moi qui n,ait pas acquis cette habitude, c'est tout simplement parce que j'assume ma différence. si je fraternise avec mon prochain sans forcément m'y assimiler c'est que j'assume ma différence!! je ne suis pas québecois, mais je suis un néo québecois d'origine arabe!! si j'assume ainsi ma différence, c'est parce que je ne suis pas hypocrite!! Si j'assume ainsi ma différence ce n'est pas contre les québecois! si j'assume ainsi ma différence, ce n'est pas la faute aux anglais!!
    KAMAL

  • Archives de Vigile Répondre

    17 décembre 2011

    Message à M. Berbery
    Ceux et celles qui veulent s'intégrer aux québécois, parler notre langue, adopter nos us et coutumes, apprécier ce que nous sommes, sont nos amis et sont les bienvenus. Le meilleur exemple que je peux donner est celui de Boukar Diouf. Tout le monde l'aime. Il a marié une québécoise, il connaît notre histoire, nos chansons, notre culture et il partage notre rêve d'indépendance.
    Ceux qui refusent de s'intégrer à la majorité francophone, ceux qui ont voté NON aux 2 derniers référendums, souvent à 99 %, ceux qui ne veulent pas parler français, qui ne viennent ici que pour faire de l'argent, ceux qui ont choisi le Canada, sont des ennemis et je les combats. Point final.
    Moi, je n'ai pas un début d'une once de soupçon de xénophobie, de racisme ou de discrimination envers les personnes immigrantes, bien au contraire, sauf et celles qui participent de plein gré à notre assimilation et notre génocide en douce comme peuple. Ce ne sont pas mes amis.
    Cela ne prend pas un dictionnaire pour comprendre cela.
    Et cela n'a rien à voir avec la confiance en soi mais avec la réalité de politique multiculturelle du Canada qui veut accomplir maintenant ce que Lord Durham disait en 1840 : la seule façon de vaincre les Canadiens-français c'est de les assimiler. C'est ce que le Canada cherche à faire avec sas politique d'immigration.
    Nous avons perdu le dernier référendum par 30,000 votes. Il rentre 50,000 immigrants par année au Québec dont la plupart vivent dans des ghettos culturels de Montréal et ne veulent rien savoir de notre peuple, de sa langue, de sa culture et de son histoire.
    Tous ces gens-là prêtent serment au Canada et dans 10 ans, il y en aura 500,000 dont la plupart vont voter non à un autre référendum. Et vous voudriez qu'on les aime alors qu'ils souhaitent notre disparation?
    Pierre Cloutier

  • Joseph Berbery Répondre

    16 décembre 2011

    Merci monsieur Lotfi pour votre merveilleux témoignage.
    Je me joins à Alain Gadreault et à Marie-Hélène Morot-Sir dans les commentaires desquels je me retrouve pleinement.
    Dommage que Pierre Cloutier détonne. Je lui dirais que plus on se sent confiant en soi et en sa cause, plus on devient spontanément accueillant et naturellement attirant. L'immigrant dans n'importe quel pays s'identifie de façon tout à fait spontanée, à ceux qu'il perçoit comme la majorité dominante (je n'ai pas écrit «dominatrice»).
    Si on se comporte en minoritaire, vaincu, écrasé, méprisé, on devient automatiquement un repoussoir.
    Quand vous écrivez : «J’aime à priori ceux et celles qui nous aiment mais je me méfie de ceux et celles qui nous méprisent et qui nous traitent comme des perdants...», je suis tenté de vous demander comment vous faites pour distinguer les premiers des seconds.
    J'ajouterais que c'est cette même méfiance qui risque fort de faire passer ceux du premier groupe dans le second. Et à leur insu, de surcroît.

  • Marie-Hélène Morot-Sir Répondre

    16 décembre 2011

    Bonjour Monsieur Lofti, votre texte est absolument magnifique, il est terriblement émouvant...votre Québec aurait tant besoin de personnes comme vous..
    Ainsi que Monsieur Gadreault nous rappelle les phrases de Gilles Vigneault et en particulier: " les humains sont de ma race" tout irait sans doute un peu mieux sur notre planète si nous nous en souvenions plus souvent.. Merci d'être là, nous aussi on vous embrasse.

  • Archives de Vigile Répondre

    16 décembre 2011

    De mon grand pays solitaire
    Je crie avant que de me taire
    À tous les hommes de la terre
    Ma maison c'est votre maison
    Entre mes quatre murs de glace
    Je mets mon temps et mon espace
    À préparer le feu, la place
    Pour les humains de l'horizon
    Et les humains sont de ma race
    gilles vigneault

  • Archives de Vigile Répondre

    15 décembre 2011

    Moi je m'appelle Pierre Cloutier et mon ancêtre Zacharie est arrivé ici, au Québec, vers 1640. Je suis ce que je suis et je ne prétends absolument être quelqu'un d'autre.
    Je suis content et heureux d'accueillir dans ce coin de pays qui n'est pas un pays, toute personne immigrante de toutes les régions de la planète qui aura le goût de s'intégrer à notre communauté et d'aimer ce que nous sommes avec nos qualités et nos défauts.
    J'aime à priori ceux et celles qui nous aiment mais je me méfie de ceux et celles qui nous méprisent et qui nous traitent comme des perdants parce que nous sommes un peuple différent et unique en Amérique du Nord et dans le monde.
    Je n'aime pas ceux et celles qui ont choisi le Canada pour mieux nous réduire à une minorité sans importance destinée à une disparation à plus ou moins brève échéance.
    Tous ceux et celles qui ont décidé de vivre au Québec comme des québécois sont mes amis et ils sont les bienvenus.
    Ceux qui ont choisi le Canada et qui nous ignorent et nous méprisent, je les emmerde et les combat.
    Pierre Cloutier