Sur le fond, le projet de loi 15 du gouvernement du Québec, qui met désormais les intérêts de l’enfant nettement au premier plan, est salué par les leaders autochtones. Ces derniers soulignent néanmoins le manque persistant d’autonomisation des communautés en matière de protection de la jeunesse, de même que l’absence d’un commissaire à l’enfance auprès des enfants des Premières Nations.
La modernisation proposée de la Loi sur la protection de la jeunesse, présentée mercredi par le gouvernement du Québec, est une belle avancée pour les enfants et les familles de la province, mais que nous jugeons insuffisante pour les enfants des Premières Nations
, a indiqué dans un communiqué de presse Derek Montour, président du C. A. de la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador (CSSSPNQL).
En gros, les modifications législatives présentées par Québec visent à ce que l'intérêt de l'enfant prime dans toutes les décisions le concernant, afin d'éviter que les enfants ne soient trop souvent déplacés d’une famille à l’autre, de leur permettre d'être représentés par un avocat, même si un mécanisme de médiation est privilégié, et d'améliorer le transfert d’informations entre la DPJ, les familles d’accueil et l’école.
Mais, selon l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (APNQL), le projet de loi écarte des recommandations issues de la commission Laurent sur l’enfance, qui proposaient au gouvernement du Québec de permettre aux dirigeants autochtones de créer leurs propres lois sur la protection de la jeunesse et de la famille
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« Malheureusement, nous sommes encore devant un gouvernement qui tient absolument à imposer ses lois et ses façons de faire en matière de protection de la jeunesse. Le PL-15 n’est pas à la hauteur de nos ambitions, puisqu’il ne reconnaît pas notre droit inhérent à l’autodétermination en matière de protection de la jeunesse. »
Du côté fédéral, le projet de loi C-92 entré en vigueur il y a bientôt deux ans au Canada facilite la transition vers un modèle autochtone adapté, mais Québec conteste cette loi, arguant qu'elle empiète sur ses champs de compétences.
La communauté atikamekw d'Opitciwan a récemment annoncé la création d'un système autonome de protection de la jeunesse en vertu de la loi fédérale. Des Innus ont pour leur part manifesté pour que le système de protection de la jeunesse soit mieux adapté à leur culture et à leurs besoins.
Plusieurs communautés autochtones ont déjà de l'expérience en matière de protection de la jeunesse, puisqu'elles ont signé des ententes de délégation de responsabilité avec le Québec depuis plusieurs années, souligne Richard Gray, gestionnaire des services sociaux à la
CSSPNQLMais l'autodétermination en la matière leur permettrait de changer les façons de faire, en créant leurs propres lois, en développant des processus plus axés sur la prévention et en faisant davantage participer la famille dans le processus de décisions.
« Dans environ 85 % des dossiers, il s'agit de négligence, pas de violence. Mais quand on fait intervenir la DPJ pour des cas de négligence, on ne règle pas le problème à la source, c'est-à-dire qu'on ne s'attaque pas aux problèmes de logement, de pauvreté ou d'éducation qui sont à la source de la négligence. »
Le projet de loi 15 déposé jeudi par le gouvernement de la pas totalement muet vis-à-vis des spécificités autochtones. Il prévoit par exemple que toute décision prise en vertu de la loi doit favoriser la continuité culturelle des enfants autochtones, notamment en déterminant des facteurs qui doivent être pris en compte lorsque vient le temps d'établir l’intérêt de ces enfants, dont la culture de leur communauté ainsi que leurs liens avec leur famille élargie et les personnes de leur communauté
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Selon Richard Gray, « il s'agit là d'un changement important », car il permettra notamment le plus possible aux enfants de ne pas être coupés de leurs racines.
Pas de commissaire à la jeunesse spécifique
La réforme prévoit aussi la possibilité, dans certains cas, de former un conseil de famille conformément à la coutume ou à la pratique autochtone ainsi que la possibilité pour une communauté autochtone ou un regroupement de communautés d’administrer l’aide financière pour favoriser la tutelle, la tutelle coutumière, l’adoption et l’adoption coutumière
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Chaque communauté pourra créer son conseil de famille qui pourra guider la DPJ en lui donnant des orientations sur certains dossiers
, explique M. Gray
Les leaders autochtones soulignent néanmoins qu’ils réclament toujours du gouvernement du Québec la création et la mise en œuvre d’un poste de commissaire à l’enfance et à la jeunesse spécifique aux Premières Nations
. Depuis le dépôt du rapport Laurent, en mai 2021 cette recommandation n’a pas été mise en œuvre, et ce, même si le besoin est criant
, ajoutent-ils.
Au Québec, environ 15 % des enfants de moins de 14 ans en famille d’accueil sont autochtones (50 % au Canada), alors qu’ils ne représentent qu’environ 3 % de cette population, selon les données de Statistique Canada issues du recensement de 2016.
Les enfants autochtones du Québec ont, en outre, un taux de signalement à la
DPJ six fois plus élevé que les enfants allochtones de la province. Des chercheuses de l’Université McGill et de l’Université de Montréal pointent notamment du doigt les critères permettant d’évaluer la négligence, qui ne seraient pas tous adaptés aux réalités autochtones et ne reconnaîtraient pas suffisamment le rôle de la famille élargie.Selon les auteurs de l’étude, Johanna Caldwell et Vandna Sinha, la surreprésentation actuelle des enfants autochtones dans les systèmes canadiens de protection de l'enfance est une continuité des politiques gouvernementales qui ont séparé les familles autochtones au cours des dernières générations
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