Ministres & rejet du féminisme ou l’inculture bienheureuse

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Les ignorants au pouvoir





Vous doutiez encore de la régression tranquille du Québec? Ou du moins, chez ceux qui nous gouvernent.


L’austérité sélective sous Lucien Bouchard ou Philippe Couillard qui s’en prend plus durement à la classe moyenne et les plus vulnérables ne vous suffisait pas comme démonstration?


Ni cette «charte des valeurs» qui proposait d’interdire le port de signes religieux dans la fonction publique tout en se prosternant devant le crucifix du Salon bleu de l’Assemblée nationale?


Ni la répression policière ou le profilage politique dans les manifestions pacifiques? Ni dans les fonds publics qui pleuvent sur les médecins sous un gouvernement de médecins?


Ni dans les coupes à l’aide sociale? Ni dans un système public de santé et de services sociaux qu’on déglingue depuis des années au profit de ceux qui, justement, veulent élargir le «marché» de la santé? Ni dans un taux alarmant d’analphabétisme? Etc. Etc. Etc.


Si rien de cela ne vous avait encore convaincu, les Québécois ont dorénavant droit à une ministre responsable de la Condition féminine qui refuse de se dire «féministe» et préfère prôner l’avancement individualiste.


Et nous avons maintenant une ministre de la Justice qui, d’une main, refuse elle aussi de se dire féministe et qui,  de l’autre, cautionne la possibilité d’éradiquer un des acquis majeurs des femmes au Québec : le partage du patrimoine en cas de divorce.


Pour citer Le Devoir : «Un mariage religieux n’est pas nécessairement un « mariage », mais parfois une « union spirituelle » sans conséquence, estime la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée. Une position qui déconcerte juristes et opposition — et qui « inquiète grandement » le Conseil du statut de la femme.»


Une «union spirituelle»(!) dénuée des obligations et des droits pourtant prévus par le Code civil ? On passe ici de la régression sociale à l’ineptie la plus désolante.


Sur le sujet, il faut d'ailleurs écouter l’analyse qu’en fait Me Sylvie Schirm, avocate spécialisée en droit de la famille, chez Paul Arcand. Me Schirm n’en croit pas non plus ses oreilles. Où s’en va la ministre Vallée dans ce dossier important? Bien malin celui qui le saurait ou même le comprendrait.

Sur les propos de la ministre Lise Thériault, je postais hier le billet suivant : Lise Thériault ou l’art de décrocher les mâchoires. Force est maintenant de constater que sa collègue à la Justice pratique elle aussi le même «art».

Pour de plus en plus de dossiers, c’est à se demander où est le premier ministre ces temps-ci. Y a-t-il un pilote dans l’avion de ce gouvernement ?


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L’inculture bienheureuse


Le plus décourageant dans les propos des deux ministres en question sur le féminisme est l’inculture béante dont ils témoignent.


Comme je l’écrivais en effet ici, Mme Thériault – et maintenant Mme Vallée – ne semblent pas connaître ni même comprendre ce qu’est le féminisme. C’est une philosophie qui se décline en diverses visions et moult mouvements dont le trait commun est la lutte pour l’égalité de facto et de jure entre les hommes et les femmes. Avant de le rejeter, savoir de quoi on parle aurait été mieux avisé.

En réponse aux deux ministres ( et à tous ceux et celles qui confondent féminisme et extrémisme ou qui, comme la ministre Vallée, en font une question de «générations»), Louise Langevin, professeure titulaire à la Faculté de droit de l’Université Laval sert une leçon d’une clarté prodigieuse.


Permettez-moi par conséquent de reproduire ici son texte publié dans les pages du Soleil :


«(Lettre à Lise Thériault, ministre de la Condition féminine, et à Stéphanie Vallée, ancienne ministre de la Condition féminine)


Pour souligner la Journée internationale des femmes, les propos de Lise Thériault, nouvelle ministre de la Condition féminine, et de Stéphanie Vallée, titulaire du même ministère jusqu'à la nomination de Mme Thériault, nous donnent matière à réflexion.


Mme Thériault affirme ne pas avoir réfléchi longtemps à sa position sur le mouvement féministe. Elle se dit plus pragmatique que théorique, plus terre à terre que militante, plus individuelle que collective dans son approche envers la cause des femmes. Elle affirme candidement ne pas connaître de grandes féministes. Elle avoue aussi être beaucoup plus égalitaire que féministe.


Quant à Mme Vallée, elle refuse de s'identifier comme féministe : «L'objectif, ce n'est pas d'être supérieure, c'est d'être égalitaire, peu importe notre sexe, peu importe notre orientation sexuelle, peu importe notre race, notre religion.»


Devant autant de stéréotypes et d'idées fausses sur le féminisme, il est nécessaire de rappeler certains fondements du féminisme. Pour l'occasion, une présentation simple et directe en forme de points sera retenue. On nous excusera pour le manque de précisions. L'humour est aussi un bon outil pédagogique. Dans certaines circonstances, mieux vaut en rire qu'en pleurer.


Voici le féminisme en 10 points pour les nulles et les nuls :


1) Le féminisme n'est pas une maladie. Il n'apparaît pas au DSM-V (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders), la grande bible des maladies mentales. Les féministes, hommes ou femmes, sont des personnes saines d'esprit.


2) Le féminisme n'est pas un dogme : il est autocritique. Il aime la discussion dans le respect des différences; il évolue, il écoute, il s'enrichit au contact de nouvelles idées.


3) Le féminisme est cependant une conviction profonde en la dignité humaine.


4) Le féminisme peut cependant être dérangeant et décoiffant : il dénonce les privilèges, les injustices envers les femmes et travaille pour une société plus juste et équitable pour toutes et tous.


5) Le féminisme ne vise pas à rendre les femmes supérieures aux hommes. Il vise à permettre à la moitié de la population de se réaliser pleinement.


6) Le féminisme dénonce la discrimination systémique qui empêche les femmes d'avancer, même lorsqu'elles se font dire : «Let's go! Vas-y, fille!»


7) Le féminisme est pragmatique et terre à terre : il analyse les conditions de vie réelles des femmes. Il s'interroge sur l'absence des femmes en politique et dans les sphères décisionnelles, sur la violence faite aux femmes et aux filles, sur les différences salariales entre les hommes et les femmes, sur la difficile conciliation vie professionnelle-vie familiale, sur les conditions de vie inacceptables des femmes autochtones ou immigrantes, sur le désengagement de l'État dans les services publics. Le féminisme est présent dans la vie quotidienne des femmes.


8) Le féminisme est constructif : il propose des solutions individuelles et collectives.


9) Une société qui n'est pas féministe est pauvre dans tous les sens du terme : elle ne profite pas de la créativité et de l'intelligence des femmes; elle n'aspire pas à de meilleurs lendemains; elle ne progresse pas.


10) Le féminisme est un mouvement engagé, social et théorique qui aspire à tous les possibles.


Conclusion : Ceux et celles qui croient en l'égalité de toutes les personnes humaines sont des féministes. J'invite Mme Thériault et Mme Vallée à participer à l'Université féministe d'été qui se tiendra à l'Université Laval du 22 au 27 mai 2016 sur le thème de la santé des femmes. Elles y trouveront des féministes, hommes et femmes, de tout âge, de tous milieux et de toutes allégeances qui croient à l'égalité pour toutes et tous.»


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