Michel Maffesoli: le progrès n’existe plus

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Vers un néo-tribalisme


 

 




32 ans après la parution de son fameux Temps des tribus, le sociologue Michel Maffesoli est toujours autant d’actualité. Dans son magnum opus La Nostalgie du sacré qui vient de paraître aux Éditions du Cerf, le penseur inclassable revient sur l’ensemble d’une œuvre de plus d’une trentaine de livres. 




Tous les thèmes qui ont fait sa réputation s’y retrouvent : la sécularité chancelante, la fin du contrat social, le réveil des « tribus », le déclin du politique et l’ensauvagement du monde. Dans ce livre, Maffesoli s’attarde toutefois principalement au retour du religieux dans les sociétés « postmodernes ».


Le sociologue part du constat suivant : le mythe du progrès s’est effondré dans le monde, même en Occident où il avait pris racine sous l’impulsion de la tradition chrétienne, surtout protestante. « Attitude paranoïaque oubliant qu’en son fond, l’homme reste inchangé, qu’il est structurellement inchangeable », écrit Maffesoli d’entrée de jeu. Le progrès aurait été un leurre, un simulacre, le refus de la nature humaine.


Le progrès rayé de la carte 


La crise du Covid-19 n’a-t-elle pas rappelé à l’humanité sa fragilité ? Tout d’un coup, nous avons redécouvert l’incertitude dans un monde qui pensait pouvoir tout contrôler, transformer et manipuler la nature à volonté. À l’ère du transhumanisme et de ses projets d’immortalité, un virus apparu dans une obscure province chinoise est venu nous rappeler notre finitude. À l’ère de la mondialisation, qui a mêlé tant de peuples depuis 1492, se fait ressentir un appel de la race qui n’est pas étranger au tribalisme décrit par le sociologue au nœud papillon. C’est le modèle de la modernité qui vole en éclats. Il y a autant de conflit que de magie dans l’air.



Malgré tous les projets de retour à la souveraineté, les États ont de plus en plus de difficulté à faire valoir leur souveraineté et leur autorité



Les Lumières ne brillent plus mais clignotent, analyse le théoricien de la postmodernité. Malgré les nombreuses avancées technologiques, la modernité progressiste, prométhéenne et en perpétuel mouvement a disparu au profit de nouvelles formes de pensée et de manières de vivre. Le discours progressiste est encore très en vogue, mais c’est du théâtre, nous dit Maffesoli, qui voit plutôt se réinstaller le goût de la tradition. Une parenthèse a été refermée. Nous sommes entrés dans une ère romantique et baroque. Le retour de la tradition n’est pas politique, mais prend plutôt la forme du déclin du politique. Un constat qui peut surprendre dans un contexte de renouveau des frontières dû au Covid-19.



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Des États et des dirigeants fantoches 


De son appartement du Quartier latin, Maffesoli persiste et signe : malgré tous les projets de retour à la souveraineté (alimentaire et médicale surtout depuis le coronavirus), les États ont de plus en plus de difficulté à faire valoir leur souveraineté et leur autorité. Sur ce point, s’harmonisant avec le libéralisme économique, la postmodernité encourage le maintien d’États et de dirigeants fantoches dans lesquels les peuples ne croient plus du tout. Les gouvernements ont progressivement transféré leur pouvoir aux nouveaux acteurs influents, qu’il s’agisse d’entreprises, de communautés culturelles et religieuses, de lobbies en tout genre ou même d’organisations mafieuses.


Les peuples n’ont plus foi en leurs dirigeants, mais ils ont espoir en leur enracinement. Le peuple ne croit plus aux « experts », mais à de nouvelles icônes. Il s’agit d’un transfert et non d’une disparition. « Certes la modernité a, inéluctablement, conduit à la sécularisation, à la démythologisation et, donc, à la perte du sacré. Mais pour ceux étant attentifs à la vérité ombragée propre à l’espèce humaine, il est indéniable que l’on assiste à une étonnante renaissance sacrale », souligne-t-il. Un « sacral » qu’on retrouve aussi dans le paganisme écologiste et des figures christiques telles que Greta Thunberg.



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Nouveaux dieux, nouvelles icônes 


Maffesoli analyse le passage de sociétés organisées verticalement à des sociétés organisées horizontalement aux liaisons multipolaires, fondées sur des réseaux et de nouveaux liens claniques. Ces réseaux sont fondés sur un esprit de communion qui n’est pas dénué de religiosité. La grande popularité des théories du complot, décuplée grâce à la crise du Covid-19, n’est pas hasardeuse : les sociétés occidentales sont en manque de mystère, elles cherchent à remettre du sens au cœur de leur vie. L’esprit sectaire de plusieurs courants du complotisme illustre à merveille ce désir de réenchantement.


Retour du religieux, fin du contrat social, recrudescence de comportements primitifs. La déplorable guerre raciale qui fait actuellement rage aux États-Unis n’est-elle pas révélatrice de cette faillite ? Ce n’est plus la « loi du Père », surplombante et universelle, mais la « loi des Frères », tribale et sauvage, facteur évident de ghettoïsation dans les métropoles.


Il faut lire La Nostalgie du sacré pour entrer en contact avec un monde aussi fascinant que terrifiant, mais qui sur certains points, nous apparaît beaucoup plus souple, peut-être plus vivant que l’ancien. Ce monde est déjà le nôtre.