Mais qui donc fait le jeu des libéraux ?

Michaud : L’état des lieux dix ans plus tard

Chronique de Gilles Verrier

Près de 3650 jours après que notre Assemblée nationale se soit distinguée par un geste honteux, voici l’état des forces en présence :
1- Les Libéraux présentent un front parfaitement uni. Ils sont unis contre toute révision de leur vote de blâme et ne songent pas à réaffirmer le droit à la liberté d'expression, éventuellement accompagné d'excuses envers Yves Michaud.
2- Les péquistes sont divisés en deux clans, ce qui fait leur faiblesse. Il y a d’abord ceux qui ne veulent pas se lever pour défendre le droit fondamental à la liberté d'expression. La minorité de blocage. Et les autres, ceux qui voudraient réparer l'offense personnelle à M. Michaud et, du coup, réaffirmer que le citoyen doit pouvoir s’exprimer, et le faire librement, sans crainte d’être blâmé par l’assemblée des parlementaires, sans risquer d'être inquiété par le poids de l'État.
3- Le clan péquiste qui veut défendre nos libertés fondamentales est depuis dix ans demeuré faible, hésitant, sans conviction. Ceci s’explique par deux raisons :
a) Il ne veut pas payer ce qu’il en coûterait pour ramener à l'ordre ceux qui prennent le parti des libéraux. Depuis bientôt dix ans, en effet, il tolère en son sein ceux qui font le jeu de l’adversaire.
b) Ce clan est tombé dans le piège du «contenu» : soit les «paroles» de M. Michaud. Or, les paroles de M. Michaud auraient dues être laissées en dehors du débat principal depuis le début car elles ne sont pas pertinentes. Elles ne sont tellement pas pertinentes qu’elles ont pu faire l’objet d’un blâme unanime sans qu’on en connaisse la teneur. C’est tout dire.
Cette situation qui pourrit le PQ depuis dix ans est causée par la présence d'un noyau dur d’intransigeants qui adhèrent avec le même zèle que de vrais libéraux à la même position que ces derniers. Cette situation est aggravée par l’indécision de la chef du PQ, pourtant réputée pour avoir du cran, mais qui se compromet et compromet dans cette histoire la réputation du son parti. En voulant ménager la chèvre et le chou, en refusant de prendre les moyens pour ramener à l'ordre les olibrius, ces partisans de la liberté d'opinion à géométrie variable cristallisés dans son parti, Pauline Marois ne fait pas mieux que ses prédécesseurs.
Les parlementaires péquistes ne sont pas du tout rassurés, j’allais écrire qu’ils sont à demi terrorisés, à l'idée d'un débat sur le «nationalisme ethnique». Ils craignent à juste titre de ne pas être à la hauteur des libéraux, un parti parfaitement uni et rodé pour faire du millage sur cette question. Certes, le «nationalisme ethnique» est un épouvantail aussi usé que démagogique, mais les libéraux savent qu’à brandir ce spectre, ils obtiennent toujours les effets escomptés chez leur adversaire.
Le PQ porte ses ambiguïtés comme des stigmates et pour rester uni il a choisi d'éviter les débats de fond, ne présentant plus hélas qu'une unité de façade, dont l'affaire Michaud est sans doute l'une des plus éloquentes démonstrations. Il faut reconnaître que depuis 1995 le PQ n'a pas vraiment progressé sur le fond et demeure aussi flou que divisé sur la question du sens et de la profondeur à donner au nationalisme québécois. Dans un tel contexte, la craindre d'affronter la hargne libérale a valeur d'euphémisme. Or, pour qui projette de réaliser de grandes choses, il y a des questions épineuses que l'on ne peut indéfiniment pousser sous le tapis.

En conclusion, dans l'affaire Michaud, ceux qui font le jeu des libéraux sont ceux qui, bien planqués au sein du PQ, s'objectent depuis dix ans à rendre à M. Michaud honneur et dignité. Plusieurs commencent à se demander si le camp des olibrius ne serait pas plus à l’aise sur les banquettes d’en face, du coté des libéraux, avec lesquels ils ne partagent certes pas tout, mais avec lesquels ils se trouvent en parfaite harmonie sur une question aussi fondamentale que le droit à la liberté d’opinion conditionnelle…

Si les péquistes avaient unanimement et clairement rétabli la réputation d’Yves Michaud dès le début de 2001, ils auraient pu facilement revenir en force et coincer ensuite les libéraux sur leur refus de défendre le droit à la libre expression. Au lieu de ça, ils ont préféré l'unité de façade et encaisser la mauvaise conscience instillée par les libéraux. Ils en paient toujours le prix.
Il est trop tard et injuste de dénoncer ceux qui ont depuis le début défendu contre tous le droit fondamental d'Yves Michaud à s'exprimer sur les sujets de son choix et de la façon dont il choisit de le faire. On ne peut être pour la liberté d'expression à moitié. Il s'agit d'une valeur fondamentale. Pour ceux qui pourraient dépasser les bornes, il y a les tribunaux. Tous le savent.
Il est facile de tirer sur le messager pour sauver la face de Mme Marois à tout prix. Là n'est pas la question. Trop facile de ramener tout événement à de la petite politique. Or, un grand projet nourri à la petite politique est destiné à mourir d’inanition.
Plusieurs députés et plusieurs commentateurs ne semblent pas saisir la différence entre une lutte pour affirmer des principes d’importance et une lutte politique sur des enjeux conjoncturels. Ils subordonnent avec une légèreté que je trouve déconcertante la défense des droits fondamentaux aux considérations tactiques et possiblement (?) stratégiques, considérations qui ne sont évidemment pas du même ordre.
Dans un contexte canadien et mondial où la liberté d'expression et la liberté tout court sont menacées de plus en plus, je vous passerai les nombreux exemples qui peuplent l’actualité, le blâme injuste voté contre Michaud par des parlementaires surexcités était une occasion en or pour tout politicien d'envergure de se manifester pour relever le niveau de notre vie politique, éduquer la jeunesse québécoise et faire mentir le cynisme ambiant. Dans cette triste affaire, aucun des deux partis impliqués ne sort grandi.
Les parlementaires auront été les victimes d’une manipulation de leur pouvoir délibératif par des forces (en partie extérieures) qui ont agi à huis clos pour arriver à leur fin. Parler d’un coup d’État temporaire serait un peu exagéré, mais on n’est pas très loin de la vérité quand l’Assemblée nationale au grand complet est ainsi séquestrée mentalement, le temps de passer la commande. On n’a pas fini d’y réfléchir et ce serait pour le bien de tous qu’on le fasse.
Les parlementaires auront aussi été les acteurs dans une mise en scène de l’urgence où il pressait d’arriver à l’assassinat symbolique d’un personnage à qui on voulait manifestement faire la peau, au mépris de toutes les règles et procédures habituelles. Le niveau politique des parlementaires et leur manque de sens du devoir s’est avéré absolument en dessous de tout. La plupart d’entre eux persistent et signent encore aujourd’hui cette «œuvre» qui déshonore le parlementarisme et la politique.

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Gilles Verrier139 articles

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Entrepreneur à la retraite, intellectuel à force de curiosité et autodidacte. Je tiens de mon père un intérêt précoce pour les affaires publiques. Partenaire de Vigile avec Bernard Frappier pour initier à contre-courant la relance d'un souverainisme ambitieux, peu après le référendum de 1995. On peut communiquer avec moi et commenter mon blogue : http://gilles-verrier.blogspot.ca





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7 commentaires

  • Gilles Verrier Répondre

    9 décembre 2010

    M. Haché,
    Yves Michaud ne sera jamais parfait ni personne d'ailleurs. La question ne se situe naturellement pas à ce niveau.
    Le germe de l'intolérance, s'il y en a un, moi je crois que oui, se trouve dans le geste que l'Assemblée nationale a posé le 14 décembre 2000. Dans ce contexte, les propos d'un simple citoyen, certes connu, mais néanmoins il s'agissait d'un simple citoyen qui s'exprimait en son nom personnel. De quel droit la plus haute autorité politique du Québec peut-elle condamner les paroles d'un simple citoyen ? L'Assemblée nationale n'est pas instituée pour discriminer les citoyens : blâmer les uns, laisser libre les autres, etc.
    En ce sens, le texte de J-F Lisée et la motion présentée par Amir Khadir, de même que les propos d'autres intervenants embrouillent le débat en revenant continuellement sur le sens à donner aux propos de Monsieur Michaud. Ils laissent ainsi planer le doute sur le fait que Michaud aurait un peu couru après... ce qui s'appelle tirer sur la victime.
    Pouvons-nous admettre enfin que ce n'est pas dans les présumées «mauvaises pensées» et «mauvaises paroles» d'un citoyen qu'il y a un problème, c'est dans l'injustice institutionnelle de l'AN qu'on pourrait voir le germe du fascisme. Et l'intolérance fait rigoler les Libéraux, bien sûr, et certains péquistes. Et, de l'autre coté, Marois, Khadir, Lisée et autres ne semblent pas réaliser qu'il s'agit ici d'un combat qui concerne éventuellement les droits de tous les Québécois. Si bien que cette injustice pourrit depuis dix ans. M. Haché, Si l'on veut être libre, le combat commence ici et maintenant.
    Pour le PI, je crois que nous sommes d'accord.
    Cordialement / GV

  • Marcel Haché Répondre

    9 décembre 2010

    Gilles Verrier
    L’état des lieux n’est pas maintenant ce que j’avais espéré. Les indépendantistes n’ont pas bougé en grand nombre en direction du P.I., ce qui aurait été l’occasion de clarifier tant de choses.
    J’en conclues que l’indépendance se fera, certes, mais qu’elle n’échappera pas à la partisannerie. Rien n’est parfait.
    Il y a cependant une chose qui est maintenant remarquable : on ne peut plus retourner les indépendantistes à leur rêve comme s’il s’agissait d’une chimère. Ce ton-là était intolérable. Il n’est plus toléré, et ne le sera jamais plus.
    Même s’il tient encore la pôle, le P.Q. se fait souffler dans le cou. Le simple fait de sortir le calendrier de l’entreprise du référendum est au mérite de Mme Marois. C’est beaucoup. C’est beaucoup, même si ce n’est pas encore assez. Mme Marois et le P.Q.-Marois ne sont pas parfaits. Mais Yves Michaud le serait-il devenu ? L’a-t-il seulement été…
    Seule compte la Cause. C’est le reste, tout le reste, qui est conjoncturel.
    Marcel Haché.

  • Archives de Vigile Répondre

    8 décembre 2010

    Belle analyse, que je partage. Maintenant si notre PQ avait deux onces de courage, il lancerait un beau débat sur l'antisémitisme de Pierre-Elliot Trudeau. L'arroseur arrosé....
    http://www.harissa.com/discus/messages/97/7106.html?1146753013

    La jeunesse antisémite de Pierre Elliott Trudeau
    By ELIAS LEVY
    Reporter
    “Pierre Elliott Trudeau était un être simple, chaleureux, affable, sincère, très humain, qui s’effaçait devant son interlocuteur pour lui donner sa place”, lance en entrevue Max Nemni, coauteur avec son épouse Monique d’une biographie intellectuelle magistrale et passionnante de l’ancien Premier ministre du Canada, dont le premier tome vient de paraître aux Éditions de l’Homme, Trudeau. Fils du Québec, père du Canada. Tome 1- Les années de jeunesse: 1919-1944 -la version anglaise de ce livre paraîtra à la mi-juin chez McClelland & Stewart.
    Juifs nés à Alexandrie, en Égypte, vivant au Canada depuis 1956, Max et Monique Nemni, universitaires aujourd’hui à la retraite et ex-codirecteurs de la revue profédéraliste Cité Libre, étaient des amis de Pierre Elliott Trudeau.
    Cette biographie iconoclaste, basée sur les Archives personnelles de Trudeau, nous plonge dans le Québec noirâtre, antisémite et xénophobe de l’avant-Guerre. Elle relate l’itinéraire insolite d’un jeune Trudeau antisémite et ultranationaliste, aux antipodes du Trudeau qui, quelques décennies plus tard, devint l’ardent défenseur du multiculturalisme et de la Charte canadienne des droits et libertés.
    Max et Monique Nemni retracent avec brio l’évolution de la pensée intellectuelle et politique de cette grande figure mythique du Canada.
    Rencontre avec les coauteurs de cette biographie remarquable.
    Canadian Jewish News: Comment avez-vous eu accès aux Archives personnelles de Pierre Elliott Trudeau?
    Max Nemni: En 1995, Pierre Elliott Trudeau, que nous avons connu en 1991 et que nous rencontrions depuis régulièrement, accepta notre projet d’écrire sa biographie intellectuelle. Nous voulions analyser l’évolution de sa pensée et de ses idées politiques depuis ses jeunes années. Ce projet fut reporté à cause du référendum sur la souveraineté du Québec de 1995. On nous demanda alors, avec insistance, de prendre la direction de Cité Libre, une revue qui s’opposait avec vigueur à la sécession du Québec. Trudeau est décédé en 2000. Nous avons repris ce projet il y a environ trois ans. Mais, depuis qu’il nous a quittés, nous nous sommes souvent demandés ce qu’aurait été ce livre si nous l’avions écrit de son vivant? Aurions-nous eu le courage de discuter avec lui de ce que nous avons découvert dans ses Archives? Quels auraient été alors ses commentaires? Questions qui resteront sans réponses.
    Jusqu’ici, les Archives personnelles de Pierre Elliott Trudeau, consignées dans les Archives nationales du Canada, n’étaient pas accessibles aux chercheurs. Alexandre Trudeau, son fils, et Roy Heenan, un proche ami du Premier ministre défunt responsable de ce fonds d’Archives, nous ont fait confiance et autorisé à consulter cette masse de documents, que Trudeau, de son vivant, avait soigneusement classés. John English, biographe officiel de Trudeau, dont la biographie qu’il prépare paraîtra à l’automne, a eu aussi le privilège d’avoir accès à ces Archives. C’était la première fois que des chercheurs les consultaient.
    C.J.N.: Vous avez dû être désarçonnés, et même par moments troublés, par ce que vous avez découvert en épluchant ces Archives?
    Max Nemni: Nous avons été absolument abasourdis et très étonnés par ce que nous avons découvert en consultant ces Archives. Ensuite, nous avons été perturbés, et même profondément peinés, parce que nous avons découvert des choses qui n’étaient pas très jolies. Mais, dès l’introduction de notre livre, nous expliquons que Trudeau est incompréhensible si on ne comprend pas son contexte historique et social, c’est-à-dire une période de crise et un monde occidental déchiré par de violents conflits de civilisations. Nous avons bâti cette biographie à partir de cette prémisse-là.
    C.J.N.: Êtes-vous conscient que les révélations sulfureuses rapportées dans votre livre pourraient ternir l’image d’épinal de Trudeau et provoquer des controverses, surtout dans le Canada anglais?
    Monique Nemni: Nous sommes des universitaires, nous ne cherchons ni le scandale, ni les controverses. Nous nous sommes vite rendus compte qu’il fallait absolument mettre Trudeau dans le contexte de sa jeunesse pour montrer qu’il n’était pas un individu isolé, mais, au contraire, un jeune, parmi des centaines de milliers d’autres jeunes Canadiens français, dont les idées étaient fortement imprégnées par l’air du temps. Nous avons été peinés de découvrir toute l’atmosphère lugubre et antisémite qui régnait au Québec dans les années 30 et 40. Ce n’était pas un monde très beau!
    C.J.N.: Le jeune Trudeau était-il très antisémite?
    Max Nemni: Son antisémitisme était bien moins fort que celui de la plupart de ses contemporains. Pendant sa jeunesse, Trudeau était un antisémite mécanique. Il ne se posait pas trop de questions.
    L’une des choses qui nous a le plus peinés, nous qui sommes d’origine juive, c’est à quel point cet antisémitisme était banalisé au Québec. Dans la France du Maréchal Pétain et partout en Europe, ce phénomène délétère était aussi monnaie courante. À cette époque-là, la majorité des jeunes Canadiens français ne savaient même pas ce qu’était un Juif. Trudeau et ses camarades, dont l’enseignement intellectuel était nourri par un catholicisme foncièrement antisémite, admiraient Hitler et Pétain, en dépit de l’antisémitisme débridé affiché par ces deux impitoyables fascistes. L’ennemi principal à abattre était alors le communisme et non le nazisme. Trudeau était probablement moins antisémite que ses camarades de classe. Moins judéophobe que Michel Chartrand, futur leader syndical, et Jean Drapeau, futur Maire de Montréal, dont nous reproduisons dans notre livre des extraits des brûlots antisémites qu’ils ont publiés dans Le Quartier latin, journal des étudiants de l’Université de Montréal. Des articles abjects regorgeant d’invectives véhémentes contre les Juifs.
    C.J.N.: Vous racontez dans votre livre que le jeune Trudeau a été l’auteur d’une pièce de théâtre antisémite qui fut jouée au Collège Brébeuf.
    Monique Nemni: Oui. Le jeune Trudeau a écrit une pièce de théâtre antisémite, intitulée Dupès –le titre original était On est Canadiens français ou on ne l’est pas-, jouée en première, avec grand succès, le 16 mai 1938, devant les parents et élèves du Collège jésuite Jean-de-Brébeuf à l’occasion de la célébration du 10e anniversaire de la fondation de cette réputée institution académique. Cette pièce, que nous avons retrouvée dans les Archives personnelles de Trudeau, veut montrer la différence entre les Juifs, “malhonnêtes et profiteurs”, et les Canadiens français, “honnêtes et naïfs”. Pour se faire embaucher par M. Couture, un tailleur canadien français, le Juif Ditreau doit lui prouver qu’il est un bon vendeur… Le rôle de Ditreau a été joué par Trudeau. La présentation de cette pièce antisémite dans un collège aussi prestigieux que Brébeuf en dit long sur le climat qui régnait alors au Québec et sur les “vertus” du pluralisme qu’on enseignait dans ce collège!
    Dans sa pièce, Trudeau met en pratique une idée chère au Chanoine Lionel Groulx: “Achetez chez nous”. Cette idée ne signifie pas “Achetez chez nous, au Québec ou au Canada”. Ça voulait simplement dire: “Achetez chez nous et pas chez les Juifs”, considérés alors comme des commerçants exploiteurs, cupides et malhonnêtes. Pour le jeune Trudeau, et pour ses camarades, l’antisémitisme, qui était alors quasiment une norme sociétale, était quelque chose de très banal.
    C.J.N.: Pourquoi a-t-il laissé dans ses Archives personnelles des documents aussi récriminateurs?
    Max Nemni: Trudeau était un homme méticuleux. Il a très bien conservé des centaines de documents et d’Archives personnels datant de sa jeunesse. Ces documents n’étaient pas jetés dans un coin ou accumulés n’importe comment. Ils étaient classés en ordre. Il aurait pu facilement détruire les documents susceptibles de s’avérer embarrassants pour sa carrière politique. Il ne l’a jamais fait.
    Nous croyons qu’il était très conscient de ce qu’il tenait à léguer. Nous ne sommes pas surpris. Trudeau était un homme d’une très grande intégrité intellectuelle qui tout au long de sa vie a été en quête de la vérité. Dans ses Mémoires politiques, publiés en 1993, il disait qu’il devait traîner dans ses papiers un texte qu’il avait écrit quand il était étudiant à Brébeuf. Il savait que le texte de cette pièce de théâtre était quelque part dans les documents qu’il avait conservés.
    C.J.N.: Nous apprenons dans cette biographie que l’un des mentors intellectuels du jeune Trudeau était nul autre que l’écrivain très antisémite Charles Maurras, figure influente de l’extrême droite française et collaborateur zélé des nazis. Trudeau était fasciné par les écrivains de droite antisémites.
    Max Nemni: C’est vrai. C’est la première chose qui nous a beaucoup étonnés. Cette découverte inopinée nous a chagrinés encore plus que son ultranationalisme. Ses sympathies pour la droite et l’extrême droite et ses affinités intellectuelles avec des écrivains collabos pronazis comme Charles Maurras, Robert Brasillach, Léon Degrelle… nous ont laissé pantois. Trudeau lisait et encensait leurs livres truffés d’idées antisémites. Il écrivait des notes et des fiches de lecture que nous avons retrouvées intactes. Ces lectures, incontournables à cette époque-là, faisaient partie de son éducation intellectuelle.
    C.J.N.: L’antisémitisme du jeune Trudeau était-il la conséquence directe d’un égarement de jeunesse ou d’un credo idéologique?
    Max Nemni: Ce n’est pas un dérapage ou un égarement de jeunesse. Le jeune Trudeau est le pur produit de son milieu éducatif, qui incluait la dimension de la nécessité de l’épanouissement du peuple canadien français. Une libération qui ne pouvait se faire que contre l’étranger, l’Anglais, le Juif… Son milieu éducatif a fini par lui inculquer le mépris et la haine de l’Autre. Dans son mea-culpa, André Laurendeau, directeur de la très nationaliste revue L’Action nationale, raconte comment des milliers d’étudiants canadiens français manifestaient dans les rues en criant sans ambages “À bas les Juifs!” et en brisant parfois les vitrines de commerces appartenant à des Juifs.
    C.J.N.: En 1996, Jean-Louis Roux a été contraint de démissionner de son poste de Lieutenant-Gouverneur du Québec lorsque le magazine L’Actualité révéla qu’en 1942 il avait porté une croix gammée nazie sur sa blouse de laboratoire lorsqu’il était étudiant en Médecine à l’Université de Montréal. Si les incartades antisémites de jeunesse de Trudeau avaient été révélées de son vivant, celles-ci auraient-elle pu avoir des incidences fâcheuses sur sa carrière politique?
    Max Nemni: Il n’y a pas l’ombre d’un doute que ce que nous avons trouvé dans les Archives personnelles de Trudeau est infiniment plus grave que ce que Jean-Louis Roux a fait, en 1942, lorsqu’il était étudiant en Médecine à l’Université de Montréal. Ce dernier a dû démissionner de son poste de Lieutenant-Gouverneur du Québec à cause de cette bévue de jeunesse. Il a fait son mea-culpa. Ni Trudeau, ni Chartrand, ni Drapeau… n’ont jamais fait leur mea-culpa, ni présenté des excuses pour leurs frasques antisémites lorsqu’ils étaient jeunes. Ils ont simplement enfoui cet épisode disgracieux de leur vie.
    C.J.N.: Un chapitre funeste de l’Histoire du Québec dont plus personne n’a voulu reparler. On se cantonna alors dans un silence abyssal!
    Max Nemni: André Laurendeau, que nous citons longuement dans le livre, rappelle comment la Deuxième Guerre mondiale a été mal vécue et digérée par les jeunes Canadiens français, farouchement opposés à la conscription. Avec le recul, Trudeau et ses camarades se sont rendus compte que s’il y a eu une Guerre juste dans l’Histoire de l’humanité, c’était bien celle-là. Ils auraient dû se battre. Pourtant, ils ont résisté de toutes leurs forces. Ils ne voulaient pas croire que c’était une vraie Guerre, ni que Hitler avait écrit un bréviaire de la haine antisémite, Mein Kampf, ni que l’Europe était gouvernée par des régimes totalitaires horribles. Ils étaient résolument convaincus que l’Angleterre, qui leur donnait quotidiennement des nouvelles de la Guerre, racontait de grotesques mensonges. Ils sont devenus sourds volontairement et ont préféré vivre dans le mensonge. Ils n’ont jamais voulu en parler. C’est pour cela qu’ils ont tourné définitivement cette page sinistre.
    À notre avis, c’est la raison pour laquelle les plus virulents détracteurs québécois de Trudeau n’ont jamais inclus dans leur “arsenal de guerre” ce triste épisode de sa jeunesse. Épisode que eux aussi ont vécu de la même manière. D’un commun accord, ils ont décidé de ne plus en parler.
    C.J.N.: La pensée intellectuelle de Trudeau a sensiblement évolué au fil des années. Son antisémitisme de jeunesse cédant la place à son multiculturalisme très ouvert et tolérant.
    Max Nemni: Chose certaine, Trudeau n’était certainement pas antisémite lorsque nous l’avons connu au début des années 90, ni avant. Son multiculturalisme était tout à fait réel et profond. C’était un autre Trudeau. L’antithèse du jeune Trudeau. Il a dépassé son passé. Ça, nous en sommes convaincus. Dans ce premier tome de sa biographie, on commence à voir ce changement dans sa pensée intellectuelle.
    La première chose qu’il faut comprendre, c’est que Trudeau a pendant toute sa vie cherché la vérité. La deuxième chose très importante, c’est qu’il s’est rendu compte très tôt de la nécessité de s’engager politiquement. Contrairement à tout ce qu’on a dit, l’engagement politique de Trudeau n’a pas débuté en 1965. Il n’est pas rentré en politique par hasard. Il l’a fait parce qu’il était convaincu que c’est par l’action politique qu’on pouvait changer le monde pour le mieux. Or, ce qu’il voulait, c’était changer le monde pour le mieux. Il avait une certaine conception de ce qu’est la vérité et du type d’action politique susceptible de mener à celle-ci.
    Mais, à la toute fin de ce premier tome de cette biographie, il commence à se rendre compte qu’il y a des choses qui ne marchent pas. Il est insatisfait d’avoir fondé un petit groupe révolutionnaire et participé au Bloc Populaire, mouvement politique fédéral et provincial, créé en 1942, opposé à la conscription. Il prend du recul et dit: “Ça ne marche pas cette affaire-là. J’ai besoin de réapprendre à penser”. C’est une prise de conscience très forte. Pour quelqu’un qui cherche désespérément la vérité, il se rend compte que tout son monde, tout son univers, a des failles. Il veut “réapprendre à penser”. C’est pour cela qu’il veut aller étudier à l’Université de Harvard, à la London School of Economics de Londres, à l’université à Paris…
    Dans le deuxième tome de cette biographie, nous allons essayer de montrer comment Trudeau a réappris à penser. Nous décrirons les étapes au cours desquelles il s’est affranchi du mode de pensée intellectuelle qu’on lui a inculqué durant sa jeunesse. Il est vrai qu’on n’a pas trouvé chez lui aucun repentir ni regret. Par contre, il y avait chez lui une grande lucidité. Il était très conscient des failles de l’idéologie qui l’avait nourri pendant toute sa jeunesse. Ça, on le sent.
    C.J.N.: Ses idées intellectuelles ont connu un revirement à 180 degrés?
    Monique Nemni: Après avoir écrit ce livre, nous avons encore plus de respect et d’admiration pour Pierre Elliott Trudeau. Il s’est sacrément rattrapé! Trudeau n’était pas un être exceptionnel tombé de la planète mars avec des idées toutes faites. Il était un produit de son milieu éducatif et social. Mais, il est arrivé à s’en sortir en luttant fougueusement contre l’idéologie qu’il avait reçue pendant sa jeunesse. Très peu d’êtres humains sont capables de faire ça. Le jeune ultranationaliste et antisémite est devenu un être courtois, chaleureux, très ouvert aux Autres, peu importe que l’Autre soit Juif, Arabe, Chinois, Hindou…
    C.J.N.: Ce travail de recherche vous a permis d’exhumer des pans opaques et méconnus de la vie de Trudeau et de l’Histoire du Québec des années 30 et 40.
    Monique Nemni: Ce travail de recherche nous a donné une meilleure compréhension de l’homme et de la période dans laquelle il a vécu sa jeunesse. Maintenant, nous pensons vraiment qu’il n’y a pas d’énigme Trudeau. Nous avons appris et compris beaucoup de choses sur le Québec de cette époque. Le ton de notre livre n’est pas polémique, mais serein. C’est un chapitre capital, mais encore fort méconnu, de l’Histoire du Québec. Les Québécois doivent faire aussi leur travail de Mémoire. Ils ne peuvent pas occulter, ou éluder, cette période noire de leur Histoire. Nous espérons que d’autres chercheurs continueront à faire la lumière sur cette époque. Il reste encore beaucoup de documents et de terrain à défricher.
    A biography of Pierre Elliott Trudeau written by Max and Monique Nemni will be available in English from McClelland and Stewart in mid-June

  • Archives de Vigile Répondre

    8 décembre 2010

    M. Verrier, votre analyse semble très juste. J’ajouterai ne serait-ce pas plutôt le Robin des banques qui aurait été condamné…M. Michaud a fait preuve d’un courage exemplaire en s’attaquant aux pratiques douteuses du monde de la finance, et ce, depuis 1995. Patrick Bourgeois a peut-être mis le doigt sur le bobo dans son article du 4 décembre :
    « Si l’on se rapporte à l’origine de l’affaire, nous savons que Sylvain Simard a joué un rôle important. Cela est un fait. Ce qui est moins su, par contre, c’est que son chef de cabinet du temps, un certain Daniel Amar (il a été aussi conseiller spécial de Bernard Landry celui-là), aurait joué un rôle beaucoup plus important dans le plan ourdi contre Michaud. M. Amar est issu de la communauté juive sépharade. Il est aujourd’hui impliqué au Congrès juif canadien. » http://www.lequebecois.org/chroniques/politique-quebecoise/lecoeuranterie-demeure-
    Selon le CV publié sur le site web du Congrès juif canadien, M. Amar a commencé sa carrière dans le monde de la finance… « Il débute sa vie professionnelle active en qualité d’analyste de marché puis d’analyste marketing au sein de diverses institutions financières… » http://www.cjc.ca/about-cjc/staff/daniel-amar/
    Voilà peut-être la vraie raison de cet acharnement sur M. Michaud.
    Nosco

  • James A. Wilkins Répondre

    8 décembre 2010

    Très bonne analyse qui nous incite à conclure que notre institution restera tachée de cette honteuse motion de blâme jusqu'à temps que les Sylvain Simard libèrent le plancher et qu'un gouvernement non libéral futur corrige l'erreur historique.
    Sur le plan personnel Yves Michaud ne verra pas de son vivant réparation à son honneur mais ce ne sera sans doute que partie remise par l'ampleur de la reconnaissance qui lui sera faite pour sa grande contribution au service de l'État québécois.
    Dommage que pour une majorité de nos parlementaires le sens de l'honneur et du courage ne réussissent pas à vaincre les travers les plus méprisants de la nature humaine.
    L'histoire retiendra la grandeur de ceux qui se sont excusés et la petitesse des autres.
    Pour le temps restant à traîner ce boulet j'espère honnêtement me tromper.
    James A. Wilkins
    Lac Brome

  • Archives de Vigile Répondre

    7 décembre 2010

    Pour les terrorisés du nationalisme ethnique au PQ
    Une vidéo conférence de Marcel Gauchet sur La Reconnaissance des identités nationales ethniques dans la Mondialisation.
    Présentée au
    Collège des études juives de l’Alliance israélite universelle - Paris, novembre 2009
    http://www.akadem.org/sommaire/themes/philosophie/2/12/module_8701.php

  • Archives de Vigile Répondre

    7 décembre 2010

    Félicitations M. Verrier.
    Rien à ajouter. C'est la logique même. Les députés du PQ, avec ce genre de vilains gestes à répétition, à la Sylvain Simard, notre Stéphane Dion provincial, par sa grande appréciation personnelle et sa hargne, sont en train de nous couper notre confiance en eux et, par ricochet, le goût de la souveraineté du Québec. Misère.