Mémoire du Cciel pour le projet de loi no 94

Laïcité — débat québécois


MÉMOIRE DU COLLECTIF CITOYEN POUR L’ÉGALITÉ ET LA LAÏCITÉ
Pour une gestion laïque des services publics
Présenté à la
Commission des institutions sur le projet de loi no 94 établissant les balises encadrant les demandes d’accommodement dans l’Administration gouvernementale et dans certains établissements
Mai 2010

Table des matières
INTRODUCTION………………………………………………………………………… 3
LE CONTEXTE DU PROJET DE LOI NO 94……………………………………. 5
POSITION DU CCIEL SUR LE PROJET DE LOI NO 94…………………….. 7
RECOMMANDATIONS……………………………………………………………… 12
PROPOSITION D’UNE CHARTE DE LA LAÏCITÉ…………………………… 13
INTRODUCTION
Le Collectif citoyen pour l’égalité et la laïcité (Cciel) a été mis sur pied par des citoyennes et des citoyens de toutes origines qui croient résolument à la nécessité de la laïcité et de l’égalité comme fondements même de la démocratie. Notre conception de la laïcité est d’inspiration républicaine et notre objectif général est l’adoption par le gouvernement d’une Charte québécoise de la laïcité.
Le caractère laïc de l’État québécois est l’aboutissement d’une histoire collective qui n’a cessé d’évoluer depuis les années Duplessis. Toutefois, nous constatons que le Québec n’a toujours pas de texte constitutionnel garantissant sa laïcité et attestant de la séparation de l’Église et de l’État. Nous considérons donc que cette laïcité gagnerait à être mieux définie, respectée et préservée si elle était enchâssée dans une Charte.
Nos interventions reposent sur quatre principes fondamentaux :
1- La liberté de conscience qui permet à tous de choisir ou non une option religieuse et humaniste, d’en changer ou d’y renoncer.
2- L’égalité entre les individus, particulièrement l’égalité entre les femmes et les hommes, qui est un principe universel auquel les Québécois sont profondément attachés et qui a été mis à rude épreuve lors de la crise des accommodements raisonnables. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, en 2007, le gouvernement du Québec a modifié le préambule de La Charte des droits et libertés de la personne afin de préciser que l’égalité entre les femmes et les hommes constitue un des fondements de la justice et que « les droits et libertés énoncés dans la présente Charte sont garantis également aux femmes et aux hommes (art.49.2) »
3- La démocratie qui implique que les lois civiles ont préséance sur les lois religieuses et que nul ne peut déroger aux lois civiles pour des motifs religieux.
4- L’intégration de tous les individus à un espace commun citoyen au-delà de leurs croyances et de leurs convictions. Ce qui favorise le partage de valeurs communes et le vivre-ensemble plutôt que le communautarisme.
LE CONTEXTE DU PROJET DE LOI No 94
Au moment où certains pays européens telle la Belgique qui depuis avril dernier interdit le port de la burqa dans les lieux publics, alors que la France s’apprête à présenter en mai de cette année un projet de loi visant à une interdiction générale du port du voile intégral parce qu’il constitue une atteinte à la dignité des femmes, et qu’une eurodéputée allemande vient de réclamer une interdiction dans toute l’Union Européenne, d’autres pays européens songent aussi à légiférer sur le port du voile intégral.
C’est dans ce contexte international qu’il faut situer les raisons et les enjeux du projet de loi no 94 parce que le Québec comme le reste du monde n’échappe pas à la montée des intégrismes religieux, particulièrement celui de l’islamisme, qui à la faveur de la mondialisation et de l’immigration est de plus en plus présent et actif dans notre province comme dans le reste du Canada.
L’une des façons pour les islamistes de se rendre « visibles » dans l’espace public est d’instrumentaliser le corps des femmes en marquant leur sexe par le hidjab, le niqab ou la burqa qui n’ont rien d’un simple vêtement puisqu’ils sont l’étendard de l’islam politique, c’est-à-dire le symbole d’une idéologie violente, misogyne, sexiste, raciste et homophobe.
Le récent épisode de la dame musulmane qui a refusé d’enlever son niqab en classe et qui fut par la suite exclue de son cours de francisation au Cegep Saint-Laurent n’est que l’expression de cette montée de l’intégrisme islamiste qui ici comme ailleurs conteste de plus en plus le caractère laïc de nos institutions et services publics et remet en question le principe d’égalité entre les femmes et les hommes.
Le projet de loi no 94 ne peut se comprendre qu’à la lumière d’un tel contexte international et d’un tel prosélytisme religieux. C’est donc dans cette perspective qu’il nous faut l’envisager.
POSITION DU CCIEL SUR LE PROJET DE LOI No 94
Le projet de loi no 94 prévoit que les personnes qui reçoivent et celles qui donnent des services publics le fassent à visage découvert.
Nous sommes en faveur de ce projet de loi et nous considérons que c’est le minimum qu’un gouvernement doit exiger de ses citoyens lorsqu’ils reçoivent ou donnent des services publics.
Nous sommes tout de même étonnés que le gouvernement ait mis autant de temps depuis la Commission Bouchard-Taylor pour accoucher d’une mesure aussi minimale qui n’apporte absolument rien de nouveau quant à l’affirmation de la laïcité de l’État.
Nous avons aussi été grandement surpris de l’écart existant entre la teneur juridique de ce projet de loi et l’interprétation qui en a été faite publiquement par la Ministre de la Justice Kathleen Weil et le Premier Ministre Jean Charest. D’entendre dire que ce projet de loi prend position en faveur de la laïcité ouverte, alors qu’il n’y a rien dans ce projet qui définit ou clarifie quoi que ce soit concernant la place du religieux dans les institutions publiques a de quoi susciter bien des interrogations.
Décevant aussi a été la déclaration du Premier Ministre disant que ce projet de loi soit un point d’arrivée plutôt qu’un tremplin vers une affirmation plus forte et plus claire de la laïcité de l’État alors que les employeurs et les autorités administratives dans les institutions publiques sont toujours confrontés à un vide juridique et abandonnés à eux-mêmes lorsqu’ils font face à des demandes d’accommodements religieux parce que nous n’avons pas de balises précises qui définissent les droits et les devoirs de chacun en matière religieuse dans nos institutions publiques. Ce qui oblige les employeurs du secteur privé ou les responsables du secteur public à se tourner vers la Commission des droits de la personne et de la jeunesse (CDPDJ ) pour savoir si leur décision passerait ou non le test des Chartes.
La laïcité est une question politique qui concerne la séparation de l’Église et de l’État et la neutralité de celui-ci. Devant le manque de volonté politique de la part du gouvernement de vouloir légiférer sur cette question, c’est actuellement la CDPDJ qui, par ses avis au cas par cas souvent contestés, définit les orientations en matière de laïcité au Québec. Ce qui est à notre avis inacceptable parce que le choix politique ne doit pas être déterminé par le droit, le juridique ne pouvant se substituer aux élus de l’Assemblée nationale pour y établir l’absolutisme des Chartes.
Une autre déception vient aussi du fait que ce projet de loi n’ose pas nommer ce qu’il interdit, à savoir le niqab ou la burqa des femmes musulmanes, sans lesquels ce projet de loi n’existerait tout simplement pas. L’interdiction d’accommodement porte ici sur des critères relevant de la sécurité publique, de l’identification et de la communication qui nous renvoient à une conception libérale de la liberté, voulant qu’un individu soit libre tant et aussi longtemps qu’il ne porte pas atteinte à la liberté d’autrui.
Cette prudence juridique a des conséquences politiques insoupçonnées dont on ne saisit malheureusement pas toute la mesure ; celle de faire régresser le principe d’égalité entre les femmes et les hommes, celle d’accepter que l’on porte atteinte à la dignité des femmes sans que l’indignation soit proférée, sans que l’atteinte à leur dignité soit même nommée quand on sait que l’existence d’une chose passe nécessairement par le langage et la parole et que le refus de nommer est aussi un déni d’exister.
De refuser de nommer ce voile intégral dispense d’avoir à parler de l’islamisme et permet de contourner un sujet délicat par crainte de stigmatiser la communauté musulmane. Mais ces précautions et ces contorsions ont aussi un prix, celui de gommer le sexisme outrageant de ces prisons mobiles et d’abandonner les femmes musulmanes à l’extrême violence que les islamistes exercent sur leur corps. Un jour viendra sûrement où nos élus devront regarder en face cette question de la dignité des femmes qui, du hidjab jusqu’à la burqa, est au cœur de tous ces signes infamants.
Parce que ce voile signifie la mort sociale, la perte d’identité sociale et collective qui est liée au principe de dignité de tout être humain et qu’il signifie à TOUTES les femmes du Québec, musulmanes ou non, que l’espace public n’est pas leur place et que pour s’y aventurer, elles doivent masquer leur identité et disparaître sous un linceul. Est-ce ainsi que l’on entend préserver les acquis de la révolution féministe? Que certaines femmes affirment porter ces accoutrements par choix ne doit pas nous leurrer sur le fait que le consentement est aussi une forme de soumission.
Pour toutes ces raisons, bien que nous sommes en faveur du projet de loi no 94, nous considérons qu’il est trop timide dans son énoncé et que sa portée est trop restreinte:
1- Par respect pour les droits universels des femmes, quelles que soient leurs cultures, parce que nous ne pouvons pas accepter pour l’autre, ce que l’on refuserait pour soi-même.
2- Parce que le voile intégral fonde l’inégalité des sexes et symbolise l’oppression des femmes.
3- Parce que le voile intégral instaure une ségrégation des sexes et qu’il enferme à jamais les femmes musulmanes à l’intérieur de leur communauté, les empêchant ainsi physiquement et psychologiquement de s’intégrer à la société québécoise.
4- Parce que le voile intégral est la négation d’un sujet libre et autonome.
5- Parce que le voile intégral instaure une inégalité entre les musulmans et les non-musulmans.
6- Parce que le voile intégral est l’étendard de l’islam politique le plus radical.
7- Parce que le voile intégral fait outrage à toutes les femmes, qu’il est contraire à nos valeurs, à notre histoire et à notre identité.
La position de notre Collectif est que nous sommes en faveur d’une interdiction générale du voile intégral au Québec.
Il est important d’être ferme face aux intégristes qui instrumentalisent le corps des femmes et de leur envoyer un message clair à savoir qu’au Québec, la démocratie, l’égalité des femmes et des hommes et la laïcité sont des valeurs qui nous sont chères. Et ce n’est pas faire preuve d’intransigeance ou de racisme que de vouloir les préserver.
RECOMMANDATIONS
1- Nous demandons donc au gouvernement d’interdire d’une manière générale le port du voile intégral au Québec.
2- Nous le pressons également de parachever la laïcisation du Québec et d’aller de l’avant en adoptant, comme nous l’avons fait pour notre langue, une Charte québécoise de la laïcité.
3- Et dans le but de contribuer au débat sur la laïcité, le Collectif citoyen pour l’égalité et la laïcité (Cciel) propose une Charte de la laïcité.
Charte de la laïcité
PARTIE I.
UN ÉTAT LAÏC AU SERVICE DU BIEN COMMUN
1. Le Québec est un État démocratique et laïc garant de la liberté de conscience. Outre la liberté de culte ou de conviction qui protège l’individu, il permet librement à tous de choisir ou non une option religieuse ou humaniste, d’en changer ou d’y renoncer.
2. Il s’assure qu’aucun groupe, aucune communauté n’impose à quiconque une appartenance ou une identité confessionnelle, en particulier en raison de ses origines.
1. Il privilégie l’application de lois civiles par opposition à des lois dites divines. Il protège chacune et chacun contre toute pression, physique ou morale, exercée sous couvert de telle ou telle prescription religieuse.

PARTIE II.
LES INSTITUTIONS PUBLIQUES
1. Les institutions publiques doivent refléter la neutralité de l’État. En conséquence, tout signe religieux ostentatoire doit être interdit.
1. Cette interdiction ne s’applique pas au patrimoine religieux qui fait partie de l’histoire nationale et doit être préservé.

LES AGENTS DU SERVICE PUBLIC
1. Tout agent public a un devoir de stricte neutralité.
1. Il doit traiter également toutes les personnes et respecter leur liberté de conscience.
1. Le fait pour un agent public de manifester ses convictions religieuses – par exemple, par le port de signes religieux ostentatoires ou par des pratiques cultuelles – dans l’exercice de ses fonctions constitue un manquement à ses obligations.
1. Il appartient aux responsables des services publics de faire respecter l’application du principe de laïcité dans l’enceinte de ses services.

10. La liberté de conscience est garantie aux agents publics. Ils bénéficient d’une banque de congés civils pour participer, s’ils le souhaitent, à une fête religieuse dès lors que ces congés sont compatibles avec les nécessités du fonctionnement normal du service.
11. Tous les employés des services publics bénéficient de la même banque de congés, peu importe leur appartenance religieuse ou leurs convictions.
LES USAGERS DU SERVICE PUBLIC
12. Tous les usagers sont égaux devant le service public.
13. Les usagers des services publics ont le droit d’exprimer leurs convictions religieuses dans les limites du respect de la neutralité du service public, de son bon fonctionnement et des impératifs d’ordre public, de sécurité, de santé et d’hygiène.
14. Les usagers des services publics ne peuvent récuser un agent public ou d’autres usagers, ni exiger une adaptation du fonctionnement du service public ou d’un équipement public pour des motifs religieux.
15. Les usagers séjournant à temps complet dans un service public, notamment au sein d’établissements médico-sociaux, hospitaliers ou pénitentiaires ont droit au respect de leurs croyances ou de leurs convictions.
16. Ils pourront participer à l’exercice de leur culte si telle est leur volonté, sous réserve des contraintes découlant des nécessités du bon fonctionnement du service.
PARTIE III. LES ÉCOLES PUBLIQUES ET PRIVÉES CONFESSIONNELLES
17. L’État doit interdire aux élèves des écoles publiques primaires et secondaires tout port de signes religieux ostentatoires.
18. L’État doit mettre fin aux subventions publiques aux écoles privées confessionnelles.
19. L’État doit abolir le programme d’éthique et de culture religieuse (ECR).


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