Mariage et divorce à la CHUM

« J’entends les Québécois, je comprends leur inquiétude » - JJC


Le CHUM. Encore et toujours. Habituez-vous, le dossier va traîner dans le décor jusqu'en 2018. Si tout va bien. Et comme rien ne va dans cet increvable feuilleton, vous en avez pour jusqu'en 2020.
Le gouvernement du Québec persiste et signe: le CHUM sera construit par l'entreprise privée, le fameux PPP (partenariat public-privé). C'est du moins ce que la présidente du Conseil du Trésor, Michelle Courchesne, a dit à mon collègue Tommy Chouinard, hier.
Pourtant, en juin, le vérificateur général du Québec, Renaud Lachance, avait démoli les PPP dans un rapport écrit au lance-flammes. Il avait sorti l'artillerie lourde pour taper sur les doigts d'Infrastructure Québec (IQ), l'organisme chargé de piloter le dossier des PPP.
IQ prétendait que le privé était une solution plus économique que le public. Le vérificateur l'avait contredit. Rien ne permet d'arriver à une telle conclusion, avait-il dit en laissant ses gants blancs au vestiaire, car IQ s'est basé sur des «hypothèses inappropriées» et des «inexactitudes importantes».
Un exemple, un seul, pour montrer à quel point les calculs d'IQ étaient bâclés: l'immeuble construit par le public, affirmait IQ, «souffrirait d'un déficit d'entretien et de renouvellement des actifs correspondant à un indice de vétusté de 20% dès la première année de mise en service».
Vingt pour cent de vétusté. Dès la première année. Un bâtiment flambant neuf. N'importe quoi. La réponse du vérificateur à cette hypothèse farfelue qui gonflait indûment les coûts de l'hôpital: «Il est impossible qu'un bâtiment neuf présente un déficit d'entretien dès le début de son utilisation.»
Une évidence.
Ébranlée par le rapport du vérificateur, la présidente du Conseil du Trésor avait décidé de demander à un comité formé d'experts «indépendants» de se pencher sur la chose. La question était de nouveau lancée: qui doit construire, le privé ou le public?
Les experts «indépendants» ont rendu leur rapport. Conclusion: les PPP demeurent la formule la plus économique.
Mme Courchesne est rassurée. Les experts ont dissipé les craintes soulevées par le vérificateur en juin. Québec va aller de l'avant avec les PPP.
Ah bon. J'aimerais bien le lire, ce rapport. Et j'aimerais encore plus connaître le nom de ces fameux experts «indépendants», dont la liste reste secrète. Pourquoi secrète? Parce qu'ils ne sont pas aussi indépendants qu'ils le devraient? Parce qu'ils sont connus pour leurs opinions pro-PPP? Que leur jupon dépasse? Combien d'experts se sont penchés sur cette question ultracompliquée et hautement politisée? Quelle expertise détiennent-ils? Est-ce que le vérificateur pourra scruter leur rapport?
Des questions légitimes auxquelles il n'y a, pour l'instant, aucune réponse.
* * *
Pourquoi se lancer dans le PPP alors que les arguments en sa défaveur sont aussi nombreux que convaincants? Pourquoi le gouvernement s'acharne-t-il à défendre le privé?
La formule des PPP est beaucoup trop rigide. On ne parle pas d'une route ou d'un pont, mais d'un hôpital.
Le principe est simple, mais son application peut vite devenir diaboliquement compliquée. Le privé construit l'hôpital et il s'en occupe pendant 30 ans. En échange, le gouvernement paie un loyer. Le privé assume une partie des risques, comme le dépassement des coûts. C'est vrai. Sauf qu'il ne paie pas pour l'entretien de l'immeuble. C'est le public qui sort l'argent de sa poche.
Le privé remettra un hôpital nickel au bout de 30 ans.
Vrai, mais ce sera un hôpital version 2010. Et Dieu sait que, en 30 ans, les hôpitaux changent du tout au tout. La technologie, la recherche médicale, etc.
S'il y a des ajouts au cours de ces 30 longues années, qui paiera? Le privé? Si le consortium qui construit l'hôpital se dissout ou si les associés se chicanent, que se passera-t-il? Et si l'un des partenaires fait faillite? Les avocats vont-ils débarquer dans le dossier? Pas évident.
Pierre Hamel, professeur à l'INRS, spécialiste des finances publiques, m'a déjà longuement expliqué tout le mal qu'il pense des PPP. Il avait d'ailleurs utilisé une jolie formule pour souligner à quel point l'aventure des PPP peut être périlleuse: «Les PPP, c'est comme un mariage, avait-il dit. Tu ne peux pas divorcer pendant 30 ans, mais, au bout de 15 ans, tu ne sais même plus avec qui tu couches.»
Et il m'avait sorti l'exemple de la rénovation du métro de Londres, histoire de bien marquer le coup. C'était le privé qui pilotait les travaux, «le plus gros projet de PPP au monde». Le consortium a fait faillite et la Ville a hérité du bébé. Un cauchemar.
* * *
Donc, feu vert au PPP. Québec a-t-il bien mesuré tous les risques de l'aventure? Le gouvernement Charest s'apprête à marier les Québécois avec un consortium pour les 30 prochaines années. Il y a fort à parier qu'ils ne sauront plus avec qui ils couchent dans 15 ans.


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