Manifestants, révisez l'histoire des valeurs républicaines

Idées — de la République



Patrick Weil et Dominique Borne, historiens, remontent aux sources de la République pour éclairer les rassemblements de ce samedi.


La statue de la place de la République, à Paris, au coucher du soleil en novembre 2006 (Skadge/Flickr)
Par Pierre Haski - L'appel a été lancé en plein mois d'août, lorsque 40 associations, partis et syndicats ont répondu à l'appel de la Ligue des droits de l'homme afin de réagir au discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy et au virage sécuritaire du gouvernement. La date choisie pour manifester ne doit rien au hasard : le 4 septembre, jour anniversaire de la proclamation de la IIIe République, une manière de réaffirmer l'attachement à des valeurs républicaines sérieusement mises à mal.
C'est donc place de la République, comme il se doit, que les Parisiens sont appelés à se rassembler à partir de 14 heures, alors qu'au même moment des rassemblements se tiendront dans toute la France.
Si les manifestants de samedi savent bien pourquoi ils se rassemblent -en opposition à la politique de Sarkozy et au climat de xénophobie croissant délibérément attisé par les ténors de la majorité- tout le monde a-t-il en mémoire la signification de ce symbole du 4 septembre 1870, ou même la genèse de ces « valeurs républicaines » si présentes dans le débat public sans être nécessairement explicitées ?
Comme un bon manifestant est un manifestant informé, Rue89 et Progress-in-work (PIW), une jeune société de production de contenus audiovisuels, se sont associés pour une plongée aux sources de la République et de ses valeurs. L'équipe de PIW a réalisé les vidéos ci-dessous, à consommer sans modération avant de descendre dans la rue.
Avec deux grands témoins, deux historiens, Patrick Weil, auteur de « La République et sa diversité » (Seuil, 2005), et Dominique Borne, auteur de « La Loi et l'histoire » (Universalia, 2007), qui nous font revisiter deux siècles d'histoire de la construction de ces valeurs qui sont au cœur de la République, et au cœur des rassemblements de samedi.
La Révolution française
Dans ce premier extrait, Dominique Borne revient sur les apports de la Révolution française à la construction de ces valeurs :
« La Révolution de 1789 est un événement cristallisateur. Mais tout avait été écrit avant, par Rousseau dans “Le Contrat social”, par Montesquieu dans “L'Esprit des lois”, etc.
La manière dont on présentait la déclaration des droits de l'homme est étrange : ça reproduit la manière dont on présentait les tables de la loi que Moïse descend du Sinaï. Comme s'il y avait substitution, ou modèle. »

Pour Patrick Weil, la mémoire française de la Révolution est d'abord positive :
« C'est le fait qu'avoir pris le pouvoir en se mobilisant a apporté des choses positives, malgré les excès, la Terreur, etc. Qu'il s'agisse de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, l'abolition des privilèges, le démarrage de la laïcité…
Cela crée des formes de mobilisation en France qui font qu'on se fait remarquer dans le monde entier. La mémoire positive de la Révolution, nous sommes les seuls à l'avoir en Europe, contrairement aux Russes, aux Allemands, aux Italiens, aux Espagnols. Mais nous partageons cela avec les Américains. » (Voir la vidéo)


La liberté et l'égalité
Dominique Borne :
« En France, il y a toujours eu des tensions entre liberté et égalité. Les constitués [de 1789, ndlr] ont précisé : l'homme et les citoyens. Le citoyen, c'est clairement le domaine de l'égalité. Tous les citoyens sont égaux en droits. Un citoyen vaut un citoyen quelle que soit la couleur de sa peau, son origine, etc. »

Patrick Weil :
« C'est un principe structurant. Les Français sont d'abord attachés au principe d'égalité. »

Dominique Borne :
« Et puis il y a les hommes, au sens générique du mot, qui sont libres de leurs croyances. Ils peuvent être catholiques, musulmans, athées, avec ou sans croyances. » (Voir la vidéo)


La laïcité
Dominique Borne :
« La république s'est imposée contre la monarchie, mais aussi contre l'Eglise catholique. La force de la loi de séparation, telle qu'elle a été voulue par Aristide Briand et par Jean Jaurès, est d'en avoir fait non pas une loi de contrainte, mais de liberté.
Elle a un peu changé de sens dans l'histoire. La laïcité des origines, en 1905, c'était secouer l'emprise de l'Eglise sur la population : l'instituteur n'obéissait plus au curé, chacun était libre d'aller ou pas à l'église…
Aujourd'hui, la laïcité, c'est la possibilité de croire différemment, c'est la multiplicité des croyances, ce qui change beaucoup la donne de la République. »

Patrick Weil :
« La laïcité, ce n'est pas seulement la liberté de conscience : ça, ça existe dans les autres grandes démocraties. Ce qui n'existe pas dans beaucoup de pays, c'est l'obligation pour l'Etat et ses représentants d'être neutres par rapport aux options spirituelles. » (Voir la vidéo)


La IIIe République
Dans le quatrième et dernier extrait, les deux historiens font le point sur les apports de la IIIe République instaurée, ce 4 septembre, il y a 140 ans.
Patrick Weil :
« C'est à partir de là que les grandes lois libérales, c'est-à-dire respectueuses des libertés, se mettent en place. Que se développent aussi tous les contre-pouvoirs (liberté d'association, de la presse, de conscience). »

Dominique Borne :
« Cette République, qui naît en 1870-1877, n'est nullement sociale. L'enrichissement vient après, avec le verbe de Jaurès, et surtout en 1936, avec le Front populaire (les congés payés…).
A partir de ce moment-là, l'égalité -c'est une découverte formidable du XXe siècle- ne doit pas être seulement juridique, mais aussi sociale. En suite à la Libération, il y a les grandes lois (Sécurité sociale, le vote des femmes…), qui transforment profondément la République.
La République, qui observait l'égalité civile, tend à l'égalité sociale. »

Patrick Weil :
« C'est aussi sous la IIIe République que s'élabore une grande loi sur la nationalité qui intègre les enfants d'étrangers nés sur le territoire national dans la citoyenneté.
La France étant devenue un pays d'immigration, les enfants d'immigrés, souvent belges ou italiens, qui risquaient d'être appelés dans l'armée préféraient de pas être français. C'est dans ce contexte qu'il a été décidé de rétablir le droit du sol pour intégrer ces enfants d'immigrés dans la nationalité, pour les mettre à égalité devant le service militaire, pour qu'ils n'échappent pas à l'armée… » (Voir la vidéo)


***
Quel rapport avec la période actuelle ? Tout, évidemment, puisque la France de 2010 a été façonnée et est l'héritière de cette histoire, que le climat politique des dernières semaines, avec sa stigmatisation des étrangers et son discours clivant, dénature, défigure.
Rien à voir ? En écho aux luttes du passé, le slogan des rassemblements de samedi est :
« Face à la xénophobie et à la politique du pilori : liberté, égalité, fraternité ! »
► Merci à Alexis Morand, Igal Kohen et Marine de Saint-Seine, de Progress-in-Work, pour leur magnifique travail.



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