Loi 78 : la rue choisit la désobéissance pacifique

Les organisateurs estiment à 250 000 le nombre de participants à la manifestation ayant souligné les 100 jours de grève étudiante, hier, à Montréal.

Conflit étudiant - Désobéissance civile - 22 mai - un tonnerre d’espoir





29e manifestation nocturne: 100 arrestations
Lisa-Marie Gervais , Marco Bélair-Cirino - Au centième jour d’un conflit qui s’enlise, la rue a répondu à la loi spéciale adoptée la semaine dernière par l’Assemblée nationale par un immense pied de nez : la quasi-totalité des manifestants - 250 000 selon les organisateurs - ont bifurqué du trajet soumis aux forces de l’ordre, bafouant ainsi des dispositions de la loi 78 sous l’oeil généralement tolérant des policiers.
Pour certains, cet imbroglio, qui s’est présenté dès le départ de la marche, alors que des dizaines de milliers de personnes suivant la Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE) ont décidé de tourner à gauche dans la rue Sherbrooke plutôt que de suivre le trajet qui avait été donné par les syndicats et les représentants des deux fédérations étudiantes collégiale et universitaire (FECQ et FEUQ), incarne « l’absurdité » de la loi.
« Après un événement comme celui-ci, le gouvernement ne peut plus assimiler désobéissance civile et vandalisme, désobéissance civile et mouvement marginal. Ce sont des dizaines de milliers de personnes qui désobéissent à cette loi aujourd’hui. […] On fait aujourd’hui la preuve que cette loi est absurde et inapplicable, et c’est aussi la preuve que lorsque la rue parle assez fort, elle peut faire comprendre au pouvoir politique qu’il a erré », a dit le coporte-parole de la CLASSE, Gabriel Nadeau-Dubois.
« Je suis dans l’illégalité, ce que j’assume. Ça démontre l’absurdité de la loi », a d’ailleurs fait remarquer le député indépendant Pierre Curzi.
C’est sur le coup de 14 h 30 que - sous un ciel incertain, mais avec une détermination inébranlable - les participants à ce rassemblement monstre ont entamé la grande marche qui est demeurée festive et pacifique hormis quelques incidents isolés de vandalisme.
Membres de syndicats, étudiants (y compris ceux de plusieurs écoles secondaires), professeurs, parents et autres sympathisants au mouvement étudiant contre la hausse des droits de scolarité ont exprimé leur ras-le-bol d’un gouvernement qui ne les représente pas et d’une dérive autoritaire incarnée par la loi 78.
Une protestataire s’est dite « 78 fois humiliée », pendant qu’un autre agitait des exemplaires de la Charte canadienne des droits et libertés. Pour sa part, Charlotte, une jeune professionnelle, qualifiait la loi spéciale de « loi poutine », un clin d’oeil au président de la Russie, Vladimir Poutine, accusé de réprimer durement toute manifestation. « La loi 78, on s’en câlisse ! », scandaient plusieurs à la québécoise. « On est plus que cinquante, na-na-na-na-na ! » criaient d’autres.
L’ancien chef du Bloc québécois Gilles Duceppe a indiqué sur les ondes de RDI qu’il ne « croit pas à la désobéissance civile ». « On n’est pas en Afrique du Sud ou dans l’Inde de Gandhi, a-t-il affirmé. Mais je critique aussi la désobéissance démocratique du gouvernement Charest. Les deux sont irresponsables et alimentent la crise. »
Quelques minutes avant le coup d’envoi de la marche, le président de la FECQ, Léo Bureau-Blouin, a demandé aux manifestants de respecter le trajet pour manifester « en toute sécurité ». Mais il a indiqué qu’il n’était pas responsable des mouvements de foule de milliers de personnes.

Grève sociale
Au terme de plus de trois heures de marche pacifique dans le centre-ville de Montréal, les dizaines de milliers de manifestants ont convergé vers le parc La Fontaine. Plusieurs d’entre eux ont fait le serment de ne pas se séparer et de défendre sur tous les fronts la préservation de leurs droits fondamentaux, une « adaptation sociale » du Serment du jeu de paume. « Notre union sera notre force. Notre solidarité sera notre défense. Notre lutte, qu’elle soit légale ou illégale, est juste et légitime », a déclaré un étudiant au collège Bois-de-Boulogne.
La porte-parole de la Coalition opposée à la privatisation et à la tarification des services publics, Véronique Laflamme, a réitéré son appel à ne pas céder à la « campagne de peur » menée par le gouvernement afin de forcer sa « révolution culturelle » consacrant notamment le modèle utilisateur-payeur. « C’est au tour des plus riches et des grosses compagnies à faire leur part, leur juste part. »
L’ancien porte-parole de la CASSÉE, Xavier Lafrance, a lancé un appel à l’« unité » aux grandes centrales syndicales afin qu’elles pressent leurs membres à être « dans la rue » au côté des 156 000 étudiants toujours en grève. « Il faut élargir la lutte ! », a fait valoir la figure de proue de la grève étudiante de 2005, faisant remarquer que la CSN a adopté une résolution ouvrant la porte à « une grève générale et sociale avec [ses] alliés contre les mesures rétrogrades du gouvernement ». « C’est le temps de passer à l’action. »
Plus tôt, le président de la CSN, Louis Roy, a confirmé qu’il allait demain se réunir en instance pour discuter de la question de la loi spéciale.
29e manifestation nocturne: 100 arrestations
Selon le Service de police de la ville de Montréal (SPVM), les manifestants rassemblés sous la pluie au parc Lafontaine, point de chute de l'événement, en après-midi, ont quitté graduellement les lieux. Vers 17 h 30, les protestataires se sont remis en marche d’un pas assuré sous une pluie froide. « Ce n’est qu’un début, poursuivons le combat ! »

Après avoir sillonné le centre-ville, ils ont pris la direction du pont Jacques-Cartier, poussant les forces de l'ordre à déclarer le rassemblement illégal et à émettre deux avis de dispersion. Le groupe a alors décidé de rebrousser chemin pour se diriger vers la place Émilie-Gamelin, lieu de départ de la 29e manifestation nocture qui s'est mise en branle vers 21h.

Environ une demi-heure plus tard, cette autre marche nocturne a été décrétée illégale par le SPVM, parce que les organisateurs n'avaient pas fourni le trajet d'avance et que certains manifestants portaient des masques. La police a toutefois précisé que le rassemblement serait toléré s'il demeurait pacifique.

Mais peu avant 21h45, la police a ordonné à deux reprises à la foule, alors sur Sainte-Catherine près de la rue Peel, de se disperser. Daniel Fortier du SPVM a confirmé que 11 arrestations avaient eu lieu, pour des actes criminels, dont méfaits sur des bâtiments et des voies de fait.

Au cours des heures suivantes, les policiers du SPVM ont procédé à au moins deux importantes arrestations de groupe, mais n'en ont pas précisé les motifs. Selon le relationniste Simon Delorme, au moins deux policiers ont été blessés lors des affrontements. Tous les détails devaient être livrés ce matin, mais le bilan provisoire faisait état d'au moins cent arrestations.
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Avec Guillaume Bourgault-Côté
Avec La Presse canadienne


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