Langue française

Lisée et la langue : L’arroseur arrosé

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« Lisée souffre en fait du même besoin d’être admiré par les anglophones que Trudeau. »

Dans sa chronique sur le « Bonjour-Hi » dans Le Devoir du 5 décembre dernier, Jean-François Lisée renie enfin ses principes de « civilité linguistique » et de « prédominance du français ».


Il se moque, d’une part, de François Legault et de Manon Massé qui, devant les médias anglais, n’ont pas voulu paraître trop partisans d’un Québec français. Or, il a lui-même trahi le français, langue commune, lorsqu’il se pavanait devant ses interlocuteurs de langue anglaise en tant que ministre responsable des relations avec nos anglophones. En guise d’aide-mémoire à ce sujet, voici un extrait d’une chronique parue dans mon recueil Le français langue commune (Éditions du Renouveau québécois, 2013).


Le corbeau et le renard


Le texte fondateur de la Charte de la langue française, soit le livre blanc de Camille Laurin intitulé La politique québécoise de la langue française, énonce comme principe premier que « Le français doit devenir la langue commune de tous les Québécois ». Maintenant qu’il est devenu ministre, Jean-François Lisée gagnerait à méditer ce principe.   


C’est dans ce sens qu’il faut comprendre l’objectif d’un Québec aussi français que l’Ontario est anglais, maintes fois formulé par Laurin, mais contre lequel Lisée s’est élevé à l’occasion d’une assemblée publique à Westmount le 17 janvier 2013. Selon lui, poursuivre un semblable objectif « ferait subir aux Anglo-Québécois une punition cruelle et inhabituelle » [traduction libre].


Que le principe du français langue commune échappe totalement à Lisée ressort également de ses propos tenus le lendemain, 18 janvier, au Tommy Schnurmacher Show, sur les ondes de CJAD. C’est là qu’il a lancé, au nom de certains anglophones qui s’offusquent de ne pouvoir monter dans un autobus à Montréal comme s’ils étaient à Toronto, son « STM, are you listening? » – autrement dit, « Société de transport de Montréal, mettez-vous à l’anglais ! » – qui a fait le tour du Québec.


La notoriété de Lisée comme loose cannon n’est plus à faire. Qu’il se trouve toujours des concitoyens québécois qui refusent d’aligner deux mots de français pour acheter un billet de métro, ce n’est pas le pire. Le pire, c’est qu’un ministre du gouvernement du Québec s’en fasse maintenant le champion. « Il va falloir qu’ils soient d’accord pour être en désaccord », crâne-t-il à l’adresse de ses collègues qui ont à cœur l’idéal du français langue commune.      


Lisée souffre en fait du même besoin d’être admiré par les anglophones que Trudeau. Pour voir jusqu’où cela peut mener, il faut écouter l’ensemble de ce Schnurmacher Show. Un morceau d’anthologie.


Le renard débute avec l’assemblée publique de la veille. Le corbeau se rengorge : « C’était complet. Les organisateurs ont dû afficher SOLD OUT. Dans mon autobiographie, ce sera le titre d’un chapitre : Sold Out in Westmount. »


Le renard laisse causer. Il ne relève surtout pas que sell out signifie aussi trahir.


Après son « STM, are you listening? », Lisée poursuit en faisant observer que chaque nouvelle cohorte de jeunes francophones et de jeunes anglophones est bilingue. Par conséquent, la langue publique commune dont se serviront un francophone et un anglophone pour converser ensemble devrait, selon lui, se déterminer en fonction de la « simple civility », c’est-à-dire de la civilité élémentaire.


Le modèle de Trudeau, quoi. Le libre choix entre deux langues communes, le français ou l’anglais.


La bouche pleine de fromage, Schnurmacher s’empresse d’abonder : « C’est ce qui m’est arrivé. J’ai voulu renouveler ma carte de métro en anglais. Quand la préposée m’a répondu en anglais, j’ai vu qu’elle avait de la difficulté, alors j’ai continué en français et ça s’est fait sans problème. »


« That’s it », croasse Lisée.


Devinez laquelle des deux langues serait, suivant le principe de « simple civilité » de Lisée, la plus commune.


Le renard est mort de rire.


(La section ci-dessus est adaptée de la chronique du même nom parue dans l’aut’journal, no 317, mars 2013).


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Lisée se moque aussi, d’autre part, du principe de prédominance du français, qu’incarne notamment le « Bonjour-Hi ». Encore là, Lisée a consacré en 2007 un chapitre entier de son livre Nous à prôner la « nette prédominance du français ». Son idée avait trouvé une large audience au Parti québécois. De nouveau en guise d’aide-mémoire, voici à ce propos un extrait du début de mon recueil Le français langue commune.


Des naufrageurs qui s’ignorent


La Proposition principale préparatoire au congrès 2011 du Parti québécois laisse tomber ce qui constitue, depuis trente ans, l’élément central de notre politique linguistique. Rien sur le français en tant que langue commune. Il n’y est question que de sa primauté et de sa prédominance.        


La Commission Gendron (1968-1972) a bien explicité la notion de langue commune : « Une langue que tous connaissent et sont capables d’utiliser, de telle sorte qu’elle puisse servir naturellement sur le territoire du Québec de moyen de communication entre Québécois de toute langue et de toute origine ». Par comparaison, l’objectif que propose Jean-François Lisée dans son livre Nous, soit de « faire du français la langue nettement prédominante des Québécois », demeure fondamentalement flou. Combien de terrain doit-on laisser à l’anglais ?      


Il faut souligner que Lisée ne préconise pas d’abandonner l’objectif du français langue commune, mais d’y accoler celui de la nette prédominance du français. Sans préciser, cependant, comment ces deux objectifs antinomiques pourraient s’articuler.


La Proposition principale fait miroiter en outre l’aventure d’un Québec « où la communauté anglophone a toute sa place ». Sans jamais dire, ne fut-ce qu’une seule fois, que le français doit être le plus grand dénominateur commun du pays en devenir.


Certains ont oublié comment un Reed Scowen, figure de proue de ladite communauté, avait mené la charge contre la loi 101 en exhortant les anglophones à parler anglais toujours et partout. C’est ça, un Québec où la communauté anglophone a toute sa place, quand celle-ci n’est pas balisée par le principe du français langue commune.


Les raisons ne manquent pas pour estimer que la « communauté » anglophone occupe déjà trop de place. La propension aux accommodements déraisonnables de certains francophones – même, sinon surtout, souverainistes – risque d’en faire, quant à l’avenir de leur langue, des naufrageurs qui s’ignorent.


(La section ci-dessus est adaptée de mes chroniques parues dans l’aut’journal, nos 297 et 298, mars et avril 2011).


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Mais voilà que dans sa chronique du Devoir, Lisée-le-fin-stratège se dresse résolument aujourd’hui comme champion du français, langue commune, contre ses principes antérieurs de « français langue prédominante » et de « simple civilité ». Et qu’après nous avoir fait perdre depuis 1995 un temps fou sur le plan de la langue, il appelle maintenant de tous ses vœux des changements « du même ordre » que ceux, « titanesques », opérés par Lévesque et Laurin en 1977 « en éducation et en affichage ».


Est-ce à dire qu’il reconnaît donc, enfin, le bien fondé d’étendre la loi 101 au cégep et de rétablir l’affichage en français seulement ?



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