Libre opinion - Anticosti : tout ça pour quoi?

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{{C'est ça, les vraies affaires ! }}

Le nouveau gouvernement Couillard n’a pas encore emménagé dans ses nouveaux bureaux que les représentants du lobby pétrolier, appuyés par l’ancien président de l’Association pétrolière et gazière du Québec, Lucien Bouchard, se manifestent déjà pour réclamer la poursuite de l’appui public à l’exploration d’hydrocarbures non conventionnels sur Anticosti. « On sait que nous avons des ressources naturelles extrêmement considérables. Il n’y a pas beaucoup de gens qui comprennent pourquoi nous sommes assis là-dessus et que nous ne voulons pas les développer », déclarait-il cette semaine. L’industrie craint, à juste titre, qu’un nouveau gouvernement libéral, moins chaud à l’idée d’engager les budgets de l’État dans une aventure aussi spéculative, remette en question les 115 millions consentis par le gouvernement Marois à Pétrolia et à Junex pour financer l’exploration.

Plusieurs voient dans l’éventuel pétrole d’Anticosti une espèce de poule aux oeufs d’or capable à elle seule d’assurer la prospérité du Québec. Une analyse objective des données brandies par l’industrie permet de déconstruire ce mythe et de mener le débat à partir de bases plus solides.

Dans un contexte où aucune quantité de pétrole commercialement exploitable n’a été découverte sur Anticosti, plusieurs évoquent quand même le chiffre de 40 milliards de barils potentiel. Soit. Partons de cette hypothèse hautement… hypothétique pour analyser ce qu’une éventuelle exploitation de cette ressource signifierait pour l’économie du Québec. À un taux de récupération de 1,2 %, soit celui observé pour la formation géologique de pétrole de schiste de Bakken, au Dakota du Nord, nous pourrions obtenir une production totale estimée à 480 millions de barils.

Échelonnée sur 20 ans, soit entre 2020 et 2040, sur la base d’une courbe normale de production, d’un prix du pétrole qui suit les projections de l’Agence américaine d’information énergétique (EIA) et d’un taux de croissance annuel de 1,5 % de l’économie québécoise d’ici 2040, l’exploitation de ce gisement ferait augmenter le PIB québécois, en moyenne annuelle, de moins de 1 %.

L’impact de l’exploitation pétrolière sur la création d’emplois apparaît encore plus marginal, s’agissant d’une activité nécessitant relativement peu de travailleurs par million de dollars investis. Sur la base des projections de l’Institut de la statistique du Québec sur la population du Québec, d’un taux d’emploi stable, et d’un ratio de création d’emplois directs et indirects identique à celui observé pour le gisement de Bakken, les emplois éventuellement créés d’une exploitation pétrolière sur Anticosti s’élèveraient à moins de 0,02 % des emplois totaux au Québec pour une année donnée.

Restent les évanescentes retombées économiques sous forme de redevances, de taxes, d’impôts et de droits divers que pourrait retirer le gouvernement du Québec. Dans l’état actuel de nos connaissances quant aux coûts liés à l’extraction d’un baril de pétrole made in Québec (c’est-à-dire dans un contexte où nous n’en savons strictement rien), avancer des chiffres se voulant spectaculaires comme l’a fait de façon prématurée le gouvernement Marois relève d’une forme plus ou moins assumée de pensée magique.

Le gouvernement de Philippe Couillard ferait bien de conserver un sain scepticisme devant les vendeurs de rêve, et de se garder, pour reprendre sa propre formule, de jouer à la loterie avec les deniers publics, par ailleurs limités.

Dans le pire des scénarios, les investissements engagés ne donneront rien et les 115 millions provenant de la poche des contribuables auront été gaspillés. Au mieux, les retombées économiques seront marginales. Et c’est sans parler de l’impact sur nos objectifs de réduction de gaz à effet de serre, où nous sommes déjà dans le rouge. Dans ce contexte, nous croyons qu’il est plus que temps que l’on se préoccupe de l’économie réelle et qu’on lui consacre toute l’attention qu’elle mérite.
Hugo Séguin - Fellow au CERIUM de l’Université de Montréal et Renaud Gignac - Chercheur associé à l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS)


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