Lettre postume à Hélène Pedneault

Hélène Pedneault

Quelle idée de mourir cette semaine, Hélène, alors que ce Québec que tu aimais tant se retrouve dans une sorte de Meech prise 2, la dernière production de Stephen Harper qui s'annonce comme un remake de la secousse qui avait fait sortir le Québec dans la rue la première fois. Tu aurais aimé l'animation politique que vit le Parlement d'Ottawa depuis quelques jours et les réactions que ça suscite en ce moment de toutes parts. Je t'entends dire que cette fois-ci sera la bonne et que les Québécois vont comprendre qu'il n'y a plus rien à attendre du reste du Canada ni de son gouvernement. Face à ces événements, ton absence est encore plus cruelle. Et plus déroutante.
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Ce matin, vendredi, comme nous le faisions si souvent, nous aurions pu nous retrouver au Café Cherrier pour discuter des déclarations de chacun, pour évaluer les rebondissements qu'on pouvait attendre des élus, pour constater la folie de Stephen Harper et son entêtement. Nous aurions discuté pendant des heures jusqu'à ce que les clients commencent à s'installer pour le lunch, comme chaque fois. Nous aurions refait le Québec à notre façon et le reste du monde; pourquoi se priver? Tu aurais parlé trop fort, comme tu le faisais chaque fois que tu voulais convaincre et tu te serais tapé sur les cuisses en riant de bon coeur quand on aurait prédit une victoire de Pauline dès la semaine prochaine.
Il aurait fallu que je trouve les bons mots pour te faire accepter la poignée de main de Duceppe à Stéphane Dion dans cette affaire de coalition. Tu aurais eu pas mal de questions, mais je sais que j'aurais réussi à te convaincre que la politique est une bibitte étrange, qui exige parfois des contorsions qui font mal mais qui sont nécessaires. Les contorsions, me semble-t-il, sont acceptables lorsqu'elles sont temporaires et qu'elles n'entament pas l'objectif principal. Quand on a bien examiné la contorsion qu'on nous propose, si on peut se dire que le coeur n'est pas touché, le reste est finalement assez superficiel.
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Tu me manques déjà, Hélène. Tu étais pour moi comme la dernière des Mohicans, celle avec qui je pouvais parler de politique sans aucune retenue parce que je savais que ton jugement était sûr et que ta formidable disponibilité te faisait accueillir avec enthousiasme des êtres différents ou des idées nouvelles sans aucun préjugé.
Tu étais profondément féministe. Presque sans nuance. Les droits des femmes, leur épanouissement, leur rôle dans la société, leur place partout ne se négociaient pas. Pour aucune raison. Malgré cela, je ne t'ai jamais entendue porter un jugement sur celles qui choisissaient des parcours qui ne cessaient de t'étonner. Tu défendais l'opinion selon laquelle «chacune doit trouver sa propre route». Tu étais parfois surprise des décisions «personnelles» de certaines de tes copines, mais jamais tu n'as pensé qu'elles se trompaient. Tu disais plutôt: elle s'est pris les pieds dans un détour.
Tu étais souverainiste jusqu'à la désespérance. Les seules fois où j'ai vu tes yeux se mouiller, c'est quand l'idée de souveraineté avait l'air d'être dans un creux. Alors tu remuais le ciel et la terre en disant qu'il fallait trouver de nouvelles idées, que ça ne se pouvait pas que les gens ne comprennent pas, qu'il fallait tout reprendre depuis le début. Tu attendais tellement ce jour où le Québec serait un véritable pays, ni mieux ni pire que les autres mais avec tous les attributs d'un pays où vit une véritable nation. Tu te seras battue jusqu'à la dernière limite de tes forces parce que tu voulais être là pour le grand jour.
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Lundi matin, le 1er décembre 2008, à l'âge de 56 ans, tu as mis les voiles vers un au-delà dont personne ne revient jamais. L'humanité est plus pauvre depuis ton départ, Hélène. Les femmes ont perdu une formidable porte-parole et l'indépendance une porte-étendard irremplaçable. La langue française que tu aimais tant a perdu un peu de son coeur.
Merci, Hélène Pedneault. Nous essaierons de garder le cap.


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