Les trois mythes pétroliers

Après avoir été porteurs d’eau, deviendrons-nous pompeurs de pétrole et ramasseurs de déversements de goudron?

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Le Québec n'a que faire du pétrole !

Stoppé à l’ouest. Stoppé au sud. Incapable de remonter vers le nord. Il semble que le flot de pétrole extrait des sables bitumineux ne puisse gagner les mers qu’en coulant vers l’est. C’est-à-dire en traversant par oléoduc et par train la vallée du Saint-Laurent, arrêtant sa course dans un port du fleuve ou de l’estuaire, touchant chaque fois une communauté différente. Sorel, Cacouna ou une autre.

Cela nous place dans une situation particulièrement délicate, mais nous donne aussi un immense pouvoir. Celui de limiter l’expansion des sables bitumineux. Et donc, l’émission de millions de tonnes de gaz à effet de serre (GES). Nous pouvons refuser d’être une terre de transit pour un combustible polluant et périmé, tout en exigeant de prendre notre place comme leader dans la transition énergétique qui marquera le XXIe siècle.

L’enjeu est de taille localement et mondialement. Il est donc devenu urgent de s’attaquer à quelques mythes, fort bien construits par les lobbys de l’industrie et leurs alliés politiques. Il est également temps de voir que d’autres voies, bien plus enrichissantes, s’offrent à nous. Nous avons encore le choix, mais plus pour longtemps.

Mythe no 1 : On a besoin de pétrole, mieux vaut qu’il soit « local ». Même s’ils couleront dans nos cours arrière, nos jardins, nos rivières et nos érablières, les hydrocarbures de l’Ouest canadien ne nous sont pas destinés. Les projets actuels d’oléoducs et de transport par train visent à désenclaver la production de pétrole canadien. L’expansion des sables bitumineux dépend de l’accès aux marchés internationaux. Imaginons tout de même qu’une fraction de ce pétrole soit raffinée au Québec pour notre usage. Il n’en deviendrait pas pour autant plus écologique parce qu’il serait plus « local ».

La simple extraction du bitume nécessite la combustion d’importantes quantités de gaz naturel, faisant en sorte que ce « pétrole extrême » génère en moyenne 14 % plus de GES que le pétrole conventionnel. L’industrie souhaite multiplier par cinq sa production actuelle. La combustion de tous ces hydrocarbures dégagerait une quantité de GES que l’atmosphère ne peut absorber sans que le réchauffement de la planète passe au-dessus de la barre fatidique de 2 °C. Le fameux point de bascule climatique qui alarme tant les scientifiques.

Il faut aussi tenir compte des autres impacts. En Alberta, des centaines de milliers d’hectares de forêt boréale ont déjà été labourés pour extraire cette ressource. Des centaines de millions de mètres cubes d’eau potable ont déjà été changés en poison, sans recette pour la décontamination. Et que dire de tous ces déversements accidentels qui se produisent inexorablement ? Veut-on appuyer sur l’accélérateur de cette destruction ?

Toute science affranchie d’intérêts industriels est sans équivoque : l’extraction de pétrole des sables bitumineux engendre un véritable désastre écologique. Ces hydrocarbures doivent rester dans le sol. Voilà pourquoi le gouvernement Harper tient tant à museler les scientifiques.

Mythe no 2 : Développer les énergies fossiles contribuera à notre enrichissement. Chaque fois que l’industrie a voulu vendre à une population un mégaoléoduc, elle a fait miroiter des centaines, voire des milliers d’emplois directs et indirects pour les communautés qui laisseraient couler le pétrole chez eux. Chaque fois que des économistes indépendants se sont penchés sur ces chiffres, ils sont arrivés à la même conclusion : les constructeurs et leur équipement une fois repartis, il ne reste que très peu d’emplois de qualité et encore moins de retombées économiques positives.

À vrai dire, le plus grand potentiel de création d’emplois se trouve dans l’industrie de la décontamination. Car il ne s’agit pas de savoir s’il y aura des fuites. Il y en aura. Mais où ? Combien ? Et à quelle fréquence ? Dans un milieu aussi sensible que le Saint-Laurent, les conséquences de déversements successifs, même à petites doses, auront des effets irréversibles sur tout l’écosystème. Le sort des bélugas ne constitue que la pointe visible de l’iceberg.

Que dire de l’argument évoqué par le premier ministre Couillard, selon lequel l’expansion des sables bitumineux albertains contribuerait à notre enrichissement par la péréquation ? La recherche montre que la dépendance de plus en plus prononcée de l’économie canadienne à l’égard du secteur pétrolier a des impacts négatifs à moyen terme. Un dollar d’investissement sur cinq est maintenant consacré à ce secteur, dominé par de grandes entreprises étrangères. Notre économie perd en diversité, en innovation et en autonomie ce qu’elle gagne en « argent facile ».

Si au moins, comme la Norvège, nous utilisions la rente de pétrole à des fins d’enrichissement collectif et comme levier de transition. Mais non. Le modèle de faibles redevances qui prévaut actuellement au Canada ne le permet pas. Une fois de plus, les bénéfices sont privatisés, et les risques, eux, sont aux frais de la société en entier.

Mythe no 3 : Mieux vaut un oléoduc qu’un train explosif. Ce leurre indécent fut prononcé par les porte-parole de l’industrie des mégaoléoducs dès le lendemain de la tragédie de Lac-Mégantic. Il faut savoir que peu importe la taille des oléoducs que nous tolérerons, le transport de brut par train demeurera nécessaire dans la logique pétrolifère. Il offre une flexibilité en ce qui a trait à la destination, au « timing » et aux volumes que ne permet pas un réseau d’oléoducs. Ces deux modes de transport se complètent merveilleusement bien. Si bien que le Canadien Pacifique fait de ses oléoducs sur rails la pierre angulaire de sa stratégie de croissance pour les prochaines décennies.

La transition énergétique

Il ne s’agit pas seulement de dire non au pétrole des sables bitumineux, mais surtout de dire oui à une transition énergétique. On sait déjà que les hydrocarbures sont destinés à jouer un rôle de plus en plus marginal. Le futur se situe du côté des énergies renouvelables, et surtout de l’efficacité énergétique.

Avec sa dotation en hydroélectricité, le Québec a la possibilité de s’engager de manière exemplaire dans cette transition. Nous disposons déjà de savoir-faire et de capacités productives locales dans des secteurs clés comme le transport électrifié sur rail (Bombardier), les matériaux de construction pour les bâtiments écologiques et l’éolien. Ce n’est pas d’oléoducs ni de ports pétroliers dont nous avons besoin, mais d’un plan de transition qui mobilisera ce potentiel que nous détenons déjà. Voilà qui générerait de véritables emplois de qualité tout en minimisant notre empreinte écologique.

Après avoir été porteurs d’eau, deviendrons-nous pompeurs de pétrole et ramasseurs de déversements de goudron ? Ou serons-nous porteurs d’espoir pour une transition écologique ? La réponse à ces questions dépend des décisions que nous prenons maintenant. À Cacouna et à Sorel, dimanche dernier, des milliers de citoyens ont pris la rue. C’est peut-être le début d’une réponse.

Nous avons le choix. Aurons-nous le courage ?


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