Les souverainistes honteux

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Indépendance : Revenir au pourquoi

La plus grande preuve de l’hégémonie idéologique du fédéralisme dans le Québec actuel? Les souverainistes eux-mêmes ne cessent de penser leur engagement politique dans les paramètres de la gestion provinciale et ont l’impression d’être hors d’ordre lorsqu’ils affirment que la question du statut politique du Québec n’est pas une question marginale qu’ils pourraient laisser de côté pendant la discussion publique. D’un souverainiste responsable, on s’attend à ce qu’il ne parle pas vraiment de souveraineté. Sinon, on le traitera de pur et dur. Comme s’il y avait quelque chose de déplacé à rappeler qu’il y a des conséquences au fait de ne pas être un pays. Un souverainiste a l’impression de transgresser les exigences de la politesse lorsqu’il rappelle que son projet politique porte à conséquence sur l’organisation de la cité, sur l’organisation de la vie collective. On lui reproche de parler d’une «vieille question» dont «on» ne veut plus entendre parler, même si, à ce qu’on en sait, le cadre politique dans lequel se posent les problèmes d’une nation porte à conséquence sur la définition de ces problèmes.
Trop souvent, les souverainistes ont l’impression d’avoir l’air d’obsédés idéologiques dès qu’ils rappellent que la manière de poser nos problèmes collectifs n’est pas indifférente au régime politique dans lequel on entend les formuler. En acceptant de procéder ainsi, les souverainistes dédramatisent la question nationale et la traitent comme un dossier parmi d’autres, plutôt qu’à la manière du cadre intégrateur à partir duquel penser la société québécoise. Autrement dit, les souverainistes ont intériorisé les paramètres idéologiques du régime fédéral et ne voient plus le Canada comme un pays étranger, respectable, évidemment, mais qui n’est pas celui du peuple québécois – un pays dont il faudrait se déprendre, politiquement, en préparant de la manière la plus responsable possible le processus de sécession. Les souverainistes prennent non pas l’indépendance comme une évidence et le fédéralisme comme une anomalie, mais l’existence provinciale comme une fatalité et la souveraineté comme un miracle. On l’espère, mais on ne sait vraiment ce que cela voudrait dire, être un pays indépendant. Comment alors l’expliquer aux Québécois.
Plus encore, les souverainistes semblent accepter les paramètres idéologiques du régime de 1982, comme s’ils avaient été conditionnés psychologiquement à s’imaginer qu’un souverainiste responsable est un souverainiste qui considère son idéal comme une simple espérance ne devant pas porter à conséquence dans ses choix politiques. Cela, on le voit dès qu’il est question du multiculturalisme d’État, de la logique des accommodements raisonnables ou de l’action étatique en faveur de la langue française. Plus souvent qu’autrement, les souverainistes laissent aux fédéralistes et plus largement, aux idéologues du régime de 1982 le privilège de délimiter le périmètre de la respectabilité idéologique, celui dans lequel chacun doit se mouvoir s’il veut éviter les quolibets que lancent les gardiens de la rectitude politique. N’oublions jamais qu’en politique, celui qui détermine l’espace du pensable et le vocabulaire à partir duquel changé s’exprime a déjà gagné le contrôle du terrain, ce qui le favorise ensuite dans la poursuite de la bataille.
Trop souvent, les souverainistes voient la souveraineté comme une récompense morale qui viendra peut-être un jour, si les astres sont bien alignés, mais non pas comme le cadre indispensable à partir duquel formuler leurs propositions politiques et penser les intérêts vitaux du Québec. Ils la voient comme une espérance, mais ils sont incapables, trop souvent, de la traduire en projet politique – à moins de considérer la promesse vague d’un référendum hypothétique comme un projet politique. Cela ne veut évidemment pas dire que la souveraineté est la réponse à tous nos problèmes. Ce serait idiot. Cela ne veut pas dire non plus que l’État québécois ne peut rien faire tant qu’il n’est pas indépendant. Ce ne serait pas très intelligent non plus.
Mais cela veut dire qu’être souverainiste devrait porter à conséquence dans notre manière de comprendre les problèmes qui traversent la société québécoise. La pédagogie de la souveraineté ne devrait pas seulement reposer sur la mise en récit d’un pays idéal et fleuri qui viendra le jour où les Québécois le voudront. Elle devrait passer par un examen régulier des effets négatifs et déstructurant de la participation du Québec au régime fédéral, et par le rappel que notre appartenance au Canada nous empêche, dans mille et un dossiers politiques, de donner notre pleine mesure, que l’on soit de gauche ou de droite. Autrement dit, le souverainisme ne pourra renaître que s’il cesse de consentir à sa déréalisation fantasmatique et que s’il se replonge dans la réalité québécoise. C’est ici que la question identitaire est si fondamentale : n’est-elle pas révélatrice de la perte de pouvoir du Québec dans l’ordre de 1982? Avec elle, la question nationale redevient existentielle.
Chose certaine, si le souverainisme veut cesser d’être honteux, il devra se demander comment il est tombé dans cet étrange piège idéologique qui le neutralise existentiellement, qui dédramatise politiquement ses enjeux, et qui l’étouffe idéologiquement. Il ne s’agit plus seulement d’être pour la souveraineté, mais de retrouver les origines de cette quête, de retracer aussi l’évolution de ce projet, de se rappeler pour quelles raisons il s’est fait piéger par le régime fédéral, et de redécouvrir les raisons fondamentales qui l’animent. Il s’agit finalement, de refaire de l’idée d’indépendance un projet politique à part entière. Et de cesser de se dire qu’on fera d’autant mieux l’indépendance qu’on l’aura vidé de son sens. On ne fait pas l’indépendance d’un peuple en faisant semblant que la chose serait agréable mais qu’elle n’est pas nécessaire.


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