Occupons Montréal

Les réfugiés du système financier

Les indignés - au Québec



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Brian Myles - Depuis deux semaines, le square Victoria s'est mué en «place du Peuple» sous l'irrésistible pression des indignés de Montréal. Le Devoir explore aujourd'hui les assises de ce mouvement et les raisons économiques sous-jacentes à cette remise en question des excès du néolibéralisme.
La statue de Victoria, une reine réputée pour son puritanisme, a subi des transformations radicales. Elle porte un masque, un drapeau des Patriotes, et s'étendent à ses pieds de multiples affiches dont l'une résume à merveille l'esprit d'Occupons Montréal. «Vous entrez maintenant en territoire autogéré.»
Lancé le 15 octobre dernier, le mouvement «Occupation Montréal» a pris une expansion géographique considérable, au point qu'il faudrait maintenant parler d'un «village du peuple».
Cette bourgade émergente d'environ 250 tentes et 400 participants compte sur un «hôpital» aménagé dans un abri tempo, une yourte pour les réunions des comités, une bibliothèque, des toilettes chimiques, une cuisine, un centre de dons, des bennes à ordures, des bacs à recyclage et — pourquoi pas? — une zone famille!
«Sobriété, propreté et non-violence» sont les principes cardinaux de ce mouvement qui a su tisser un lien de confiance avec le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).
Claude, diplômé en sciences humaines qui bénéficie de l'aide sociale, ne s'est absenté que trois jours depuis le début. «J'ai le sentiment que c'est le seul îlot de liberté qui nous reste. Ici, on a une chance de se parler et de fraterniser.»
Un espace réinventé
Cette volonté de vivre ensemble, sans égard aux différences, traverse le campement et lui procure son énergie vitale. En se réunissant autour d'une cause aux contours flous, dans un espace commun et hautement symbolique, les militants d'Occupons Montréal ont déjà accompli un exploit, estime Michel Parazelli, professeur à l'École de travail social de l'Université du Québec à Montréal (UQAM).
Au profit de la revitalisation des grands centres urbains, la rue, les parcs et les places publiques sont devenus des espaces de consommation, constate le chercheur. Quartier des spectacles, Quartier des affaires, Quartier latin: autant de dénominations nouvelles pour affirmer le caractère utilitaire de l'espace public. Pour Michel Parazelli, «la rue est incorporée au marché». «On consomme l'espace à des fins récréatives, culturelles ou d'affaires», dit-il.
Occupons Montréal vient bulldozer ces places bien propres et bien aménagées. «Ce mouvement est le contre-exemple d'une occupation consumériste. On s'approprie l'espace public dans l'expression d'une relation conflictuelle. De tels événements sont rapetissés le plus possible de nos jours, parce qu'on tend à marchandiser et à privatiser l'espace. Et c'est maintenant comme ça dans toutes les villes: il faut utiliser l'espace public comme une vitrine commerciale», explique-t-il.
Il faut remonter au squat du Centre Préfontaine pour trouver une occupation aussi réussie. En 2001, au coeur de la crise du logement à Montréal, de nombreux jeunes issus principalement des mouvements altermondialistes et des comités de logement avaient investi l'immeuble abandonné de la rue Rachel pendant deux mois.
Marcos Ancelovici, professeur en sociologie à l'Université McGill, avait visité le squat. Son organisation, bien rodée, un modèle de communauté autogérée, a des similitudes avec Occupons Montréal.
Mais à la différence des squatteurs du Centre Préfontaine, les militants d'Occupons Montréal vivent et s'organisent dans l'une des places d'affaires les plus achalandées de la ville, sous le regard quotidien de milliers de travailleurs et des passants. L'image est forte.
Les tentes inspirent à Michel Parazelli une comparaison avec un camp de réfugiés. «Les tentes, c'est leur "branding". Ce sont les réfugiés du système financier, qui ne sont plus dans le jeu. Ils ont été mis dehors par les financiers et ils se regroupent autour d'une statue qui est leur totem. Ils se rendent visibles, mais pas de n'importe quelle manière», estime le chercheur.
Dans la tradition du sit-in
La dernière tentative d'occuper durablement le square Victoria remonte à 1984. Des militants du Regroupement autonome des jeunes (RAJ) avaient planté leurs tentes dans un square dénué d'arbres (c'était encore l'ère Drapeau). Celles-ci ont été emportées par le vent dès la première journée.
Marc O. Rainville, un commentateur du site Internet du Devoir, était de cette bataille épique pour mettre un terme aux pratiques discriminatoires à l'aide sociale (les moins de 30 ans étaient injustement pénalisés).
M. Rainville semblait à la fois nostalgique et exalté lors de la première semaine d'Occupons Montréal. À l'époque, le RAJ ne s'était pas contenté de manifester, rappelle-t-il; une trentaine de membres avaient investi le plancher de la Bourse avant d'être évincés manu militari. N'eût été ces coups d'éclat, répétés dans d'autres institutions, le RAJ n'aurait jamais réussi à faire changer la loi, estime M. Rainville.
Pour l'heure, Occupons Montréal reste un vaste sit-in, un concept apparu dans les années 60 et employé avec succès par de nombreux groupes émergents, tel le mouvement vert. La prise de décisions délibérative et participative, la non-violence et le rejet d'une figure d'autorité messianique en constituent les ingrédients essentiels, explique le sociologue Marcos Ancelovici.
À son avis, les médias et le public ont tort de se questionner exclusivement sur l'absence de revendications claires de la part du mouvement et sur ses faibles chances de renverser l'ordre économique mondial. «Plein de gens apprennent à s'exprimer publiquement et à délibérer. On les forme à la participation citoyenne, explique-t-il. C'est un aspect qui est négligé. Ils acquièrent des comportements civiques.»
À la «place du Peuple», les assemblées journalières débutent vers 18h pour se terminer à la tombée de la nuit. On y discute de logistique, de sécurité des lieux, de la place à accorder aux groupes externes dont les revendications ne cadrent pas avec l'esprit du mouvement, telle que la milice patriotique du Québec. On y décide aussi des campagnes d'appui et de stratégies de communication.
«On peut dire qu'ils sont naïfs et idéalistes, peut-être. Mais ils savent très bien qu'ils ne vont pas changer le monde de façon radicale en occupant une place. Par contre, le moment de communion qu'ils partagent leur procure une grande satisfaction. Il y a une redécouverte du plaisir de vivre ensemble et une effervescence collective à faire partie de quelques chose qui nous transforme et qui est plus grand que nous», estime M. Ancelovici.
Claude ne saurait si bien dire. Il rêve de passer l'hiver au square. Les autochtones et les premiers colons l'ont déjà fait, alors pourquoi pas nous? dit-il d'un ton plein de défi.


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