Les primes encourageaient l'accumulation de PCAA à la Caisse

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Francis Vailles (Montréal) Pourquoi la Caisse de dépôt a-t-elle accumulé autant de papier commercial? Qu'est-ce qui l'a poussée à y injecter 13,2 milliards de dollars? Les réponses à cette question sont variées, mais selon nos renseignements, une partie de l'énigme se trouve dans le système de rémunération de l'institution.
Le mode d'attribution des primes à la Caisse de dépôt et placement est un des éléments qui ont encouragé l'achat des PCAA non bancaires, a constaté La Presse Affaires. Dans certains cas, il aurait pu permettre de doubler la paye de certains gestionnaires, nous indique un haut dirigeant de la Caisse.

Dans le milieu financier, l'attribution des primes vise à inciter les gestionnaires de fonds à obtenir un rendement plus élevé que certains indices, dans le respect des politiques de risques.
Deux sources nous indiquent qu'à la Caisse, l'objectif de l'équipe du marché monétaire était d'obtenir 25 points centésimaux de plus que les bons du Trésor de 90 jours, soit un quart de 1%. La Caisse nous a confirmé cette cible de valeur ajoutée.
Par exemple, si le rendement moyen des bons du Trésor du gouvernement canadien était de 4%, le gestionnaire devait rapporter un rendement de 4,25% pour obtenir une bonne prime.
Comment se comparait le rendement des PCAA aux bons du Trésor? Entre 2003 et avant la crise de 2007, les PCAA non bancaires ont procuré un rendement moyen de 43 points centésimaux de plus que les bons du Trésor, selon un rapport de l'OCRCVM publié en octobre 2008. L'OCRCVM est l'Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières.
La Presse a consulté trois autres sources indépendantes de la Caisse à ce sujet. Il en ressort que l'écart avec les bons du Trésor excédait souvent les 25 points centésimaux, selon le moment de l'achat, la qualité du PCAA et l'échéance (lire l'encadré).
Autrement dit, l'équipe du marché monétaire de la Caisse, dirigée par Luc Verville, pouvait espérer de généreuses primes sans trop se casser la tête en achetant des PCAA non bancaires.
En atteignant cette cible de 25 points, les gestionnaires d'expérience étaient susceptibles de recevoir un bonus représentant 80% de leur salaire de base, nous indique-t-on en haut lieu à la Caisse. Encore mieux: en battant l'indice par 40 points, les gestionnaires d'expérience pouvaient espérer un bonus de 120% de leur salaire de base, soit plus du double. Pour les gestionnaires plus jeunes, le maximum était de 60%.
Par exemple, un gestionnaire d'expérience avec un salaire de base de 150 000$ aurait pu obtenir une prime de 120 000$ (80%) à 180 000$ (120%).
Alain Chung, gestionnaire de portefeuille de la firme Claret, constate que la bonification est une puissante mesure incitative. Toutefois, «ce système est un couteau à deux tranchants. Il pousse les gestionnaires de portefeuille à faire mieux que leur cible de rendement, mais les incite aussi à prendre plus de risques», dit-il.
Justement, qu'en est-il du risque? Avant d'acheter un produit, les gestionnaires s'en remettent aux directives de l'institution à cet égard. Or, la Caisse n'avait imposé aucun plafond global pour l'achat de PCAA non bancaires, une erreur qu'a reconnue Henri-Paul Rousseau devant la chambre de commerce.
En fait, une limite existait, mais elle avait été fixée par une fiducie émettrice de PCAA non bancaires. Les gestionnaires pouvaient placer au plus de 1,75% à 5% de leur portefeuille de marché monétaire dans une seule fiducie. Comme il existait 22 fiducies, la limite globale d'achat de PCAA était pratiquement inexistante (22 X 5% = 110%).
À ce sujet, le rapport annuel 2007 de la Caisse est révélateur de sa gourmandise pour les PCAA non bancaires. L'institution a acheté des papiers commerciaux dans 21 des 22 fiducies. Pire: ces 22 fiducies avaient en circulation 35 différentes émissions de PCAA de série A et E et la Caisse a acheté 32 de ces 35 émissions.
L'explosion des PCAA non bancaires coïncide avec la présence de la Caisse dans ce secteur. Entre la fin 2004 et la fin 2006, ce marché a bondi de 198%, selon des documents de la firme DBRS. Plus précisément, le volume total est passé de 11,1 milliards au 31 décembre 2004 à 33,1 milliards au 31 décembre 2006. En août 2007, au moment de la crise, on estimait ce marché à 35 milliards.
Réponses de la Caisse
La Presse a posé des questions précises à la Caisse au sujet des primes et du PCAA. Dans sa réponse écrite, l'institution ne nie pas spécifiquement que le système de primes ait pu contribuer à l'accumulation de PCAA non bancaires, mais elle insiste sur l'absence de plafond global comme élément central du fiasco.
«L'absence de limites par type de produits est considérée comme le facteur déterminant», écrit la Caisse par l'entremise du porte-parole, Maxime Chagnon.
La Caisse ajoute que son système n'est pas différent d'ailleurs. «Les politiques de rémunération de la Caisse, incluant les multiples applicables à la rémunération incitative, sont semblables à celles des gestionnaires de fonds en général au Canada. Elles ont principalement pour but d'offrir une rémunération compétitive, permettant le recrutement et la rétention des employés», écrit la Caisse.
Qui plus est, dit la Caisse, depuis 2000, le portefeuille du marché monétaire a bien fait «en termes de valeur ajoutée positive, peu importe le volume de PCAA détenu en portefeuille».
Qu'est-ce que le PCAA?
Un PCAA (papier commercial adossé à des actifs) ressemble à un fonds commun à court terme remplis de titres financiers diversifiés. Ce type de fonds commun comprend notamment des comptes de cartes de crédit et d'hypothèques, mais surtout des dérivés de crédit. En août 2007, une partie du marché a été gelé, soit celui émis par des tiers autres que des banques canadiennes. Ce papier a été appelé le PCAA non bancaire.


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