DÉBAT

Les paradis fiscaux, «l’éléphant dans la pièce»

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Quand le pouvoir couche avec les tricheurs






Deux cents milliards de dollars. C’est le chiffre qui résonnait dans l’auditorium de la Grande Bibliothèque mercredi soir. Lors d’un débat organisé par Le Devoir, le collectif Échec aux paradis fiscaux et la revue Liberté, les cinq principaux partis dans la course électorale se sont prononcés sur ce qu’ils comptaient faire pour lutter contre cette saignée financière.


 

Ce véritable magot est calculé à partir des chiffres sur les investissements à l’étranger des entreprises, divulgués par Statistique Canada. Les investissements invraisemblables sont compilés : « À la Barbade, par exemple, 72 milliards de dollars sont officiellement investis par les entreprises canadiennes, dans une économie de la taille de Gatineau, c’est impossible », a expliqué en ouverture Alain Deneault, auteur de Paradis fiscaux : la filière canadienne. Les îles Caïmans sont ainsi la cinquième place financière du globe, autre exemple de cette discordance évoquée par Alexandre Boulerice, candidat du Nouveau Parti démocratique (NPD).


 

L’ampleur de l’évasion fiscale, qui gonfle d’année en année, justifiait donc à elle seule la tenue d’un débat et aucun candidat n’a osé nier le phénomène. « L’éléphant dans la pièce », expression sur toutes les lèvres mercredi soir, a nourri des attaques partisanes par moments, notamment contre Justin Trudeau, qui posséderait une compagnie à numéro, présumée servir à l’évitement fiscal.


 

Divulgation volontaire


 

Le candidat conservateur Rodolphe Husny espérait faire « parler d’eux-mêmes » les chiffres du bilan de son parti, particulièrement les 10 000 divulgations volontaires de particuliers qui ont ainsi redressé leur dossier fiscal.


 

Marwah Rizqy, du Parti libéral du Canada (PLC), a quant à elle accusé les conservateurs d’avoir démantelé l’équipe qui s’occupait de la lutte contre l’évitement fiscal, ce que son vis-à-vis du Parti du conservateur (PCC) a nié catégoriquement. Le budget de l’Agence du revenu du Canada (ARC) a en effet fondu de 300 millions de dollars entre 2011 et 2014. M. Husny a rappelé que son parti prévoit d’octroyer 5 millions de dollars par année durant cinq ans pour intensifier la lutte contre l’évasion fiscale internationale.


 

Mais selon Alain Deneault, un réinvestissement à l’ARC ne permettrait que « d’attraper les plus petits poissons, ceux qui sont en situation d’illégalité ». Or, explique M. Deneault, « le Canada a rendu légal ce qui devrait être illégal », notamment par la signature de conventions fiscales avec des pays réputés être des paradis fiscaux. Par un stratagème d’aller-retour des capitaux, les entreprises ne sont finalement qu’imposées dans les paradis fiscaux, à des taux très réduits.




« Une aberration », a martelé Gabriel Ste-Marie, du Bloc québécois. La vision budgétaire bloquiste, dévoilée mercredi (voir texte en A 6), avance que 2,1 milliards de dollars pourraient être récupérés en luttant plus efficacement contre les paradis fiscaux.


 

Le NPD propose de hausser l’impôt des entreprises afin qu’elles paient « leur juste part ». « Trop d’impôt tue l’impôt », défend le candidat conservateur Rodolphe Husny. « On donne un taux compétitif, mais en échange les entreprises doivent jouer selon les règles. » Ce à quoi a rétorqué du tac au tac M. Boulerice : « Pas d’impôt dans les îles du Sud tue l’impôt au Canada. »


 

Seule à mentionner le commerce électronique, Mme Rizqy a même cité l’article de loi à modifier pour forcer les sites transactionnels faisant affaire au Canada à verser leur dû, démontrant sa fine connaissance de la fiscalité à laquelle elle a consacré son doctorat.


 

Enfin, du point de vue individuel, le candidat du Parti vert, Cyrille Giraud, incite les consommateurs à choisir l’économie locale, « la petite entreprise du coin de la rue » pour s’assurer que leur argent reste au pays. Et la sensibilisation à ces questions est un devoir politique, a dit M. Giraud.







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