Les niches électorales

Élections fédérales du 14 octobre 2008

Quand le chef conservateur, Stephen Harper, s'est lancé en campagne, il y a deux semaines, il n'a pas caché qu'il cherchait à obtenir un nouveau mandat pour poursuivre ce qu'il avait commencé et maintenir le cap en ces temps d'incertitude économique. On pouvait donc s'attendre à une campagne passée à vanter son bilan, à attaquer l'inconnu représenté par ses adversaires et à limiter les promesses au minimum.
Il est quand même étrange de voir un premier ministre sortant égrener des engagements tellement modestes qu'ils n'auraient jamais, dans bien des cas, trouvé leur place dans une plateforme électorale normale, sinon dans des notes en bas de page. On n'a qu'à penser à l'aide fiscale aux nouveaux propriétaires qui peut, tout au plus, leur faire épargner 750 $ par année, celle pour les personnes âgées qui peut représenter une économie d'au plus 150 $ par année ou la promesse d'interdire la vente à l'unité des cigarillos. On ne provoque pas des élections précipitées pour cela.
On ferait erreur cependant en concluant qu'il s'agit d'une stratégie bancale et improvisée. Au contraire, tout a été soigneusement planifié. La modestie est délibérée et calculée pour entraîner le plus de retombées électorales possible.
La politique est contaminée depuis longtemps par les manies du marketing. Un parti est une marque, le citoyen, un client, et les différents groupes de la société des niches à atteindre avec des publicités et des promesses ciblées. Faire appel à ce que les électeurs ont en commun n'a pas la cote. En tout cas, certains ont déterminé que ça n'était pas vendeur.
Cette approche est particulièrement frappante au Parti conservateur. Il ne s'agit toutefois pas d'une philosophie, mais bien d'une technique mise au service d'une vision bien arrêtée que Stephen Harper a de l'électorat conservateur, et ce, depuis longtemps.
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Harper considère, et ce, depuis ses années d'université, que la division entre droite et gauche repose maintenant sur l'opposition entre, d'un côté, les cols bleus, les cols blancs de niveau inférieur du secteur privé et les habitants des régions rurales et, de l'autre, les urbains, les professionnels, les cols blancs de la classe moyenne et les bénéficiaires de l'État providence.
Harper écrit dans un travail universitaire cité par William Johnson dans sa biographie de Stephen Harper, Stephen Harper and the Future of Canada, que le premier groupe a maintenant le sentiment de payer trop de taxes pour ce qu'il en retire, que ses valeurs sociales plus conservatrices sont ignorées et ses intérêts, négligés. Harper laisse entendre que «le réalignement politique dans la plupart des pays occidentaux est maintenant une bataille pour les revenus fiscaux entre [...], les payeurs de taxes du secteur privé et les récipiendaires des taxes de l'État providence». Et dans ce contexte, la droite s'appuie sur les gens ordinaires et «l'hostilité grandissante d'une large portion de la société face au malaise économique et l'incertitude morale qui accompagne les politiques et valeurs de l'État providence». Aujourd'hui, c'est cette portion de la société, cette clientèle, qu'il tente de séduire avec ses promesses de réductions de taxes bien ciblées.
Harper a aussi rapidement compris où trouver une possible base conservatrice au Québec. En 1997, il a écrit dans un article, encore cité par Johnson, que «le nationalisme québécois, sans être lui-même un mouvement conservateur, est attrayant pour le type d'électeurs qui, dans d'autres provinces, appuient des partis conservateurs. Le Bloc québécois est à son plus fort dans le Québec rural, parmi des électeurs qui ne détoneraient pas à Red Deer [...]. Ils sont nationalistes pour à peu près les mêmes raisons que les Albertains sont populistes. Ils se soucient de leur identité locale et la culture qui la nourrit, et ils voient le gouvernement fédéral comme une menace pour leur mode de vie». Et ce sont ces Québécois qu'il cherche à charmer depuis qu'il mène le PC.
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Pareille analyse ne pouvait que mener à l'adoption de l'approche «clientèle», afin de maximiser les retombées de chaque engagement. Les conservateurs ont poussé la chose plus loin que tout autre parti canadien. Ils se sont dotés du plus élaboré système de recensement de partisans potentiels. En plus des données démographiques et sondages d'analyses des comportements électoraux que tous les partis utilisent, ils mènent les plus gros sondages partisans au pays. De plus, en faisant appel aux membres du parti, à leurs voisins, familles et relations, ils ont établi une base de données qui leur permet de recenser de possibles supporteurs et de les contacter personnellement.
Une vaste étude de marché, finalement, dont découlent les produits mis en vitrine depuis le 8 septembre.
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mcornellier@ledevoir.com


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