Les limites du nationalisme autonomiste

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Mathieu Bock-Côté dénonce le « véritable souverain du Canada qu’est la Cour suprême, qui décide de l’avenir du pays à partir d’une constitution que nous n’avons pas signée »

Le nationalisme autonomiste théorisé et pratiqué par la CAQ de François Legault repose sur une thèse simple: le Québec disposerait, dans la fédération canadienne, des marges de manœuvre nécessaires pour défendre son identité et faire valoir ses intérêts.  


Dans cette perspective, la souveraineté du Québec peut être jugée désirable, si les circonstances historiques la rendent possible à long terme, mais n’est aucunement jugée nécessaire. Le nationalisme autonomiste croit au Québec d’abord, mais ne croit pas que ce Québec d’abord implique une rupture avec le fédéralisme canadien.


Comme le dit le chef de la CAQ, le Québec aurait les moyens de s’affirmer à l’intérieur du Canada. Il devrait faire de cette appartenance à la fédération l’horizon indépassable de son avenir politique, sans que cette appartenance ne soit vécue comme une contrainte ou une limite structurelle à son développement. À la rigueur, il s’agira d’un agacement, mais d’un agacement tolérable. 


Mais cette thèse butte sur la réalité du Canada tel qu’il est devenu, en pleine révolution démographique, sacralisant le multiculturalisme le plus extrême, et qui traite la prétention qu’ont les Québécois à constituer une nation à la manière d’une forme de suprémacisme ethnique à casser et à mater. 


Le Canada, globalement, n’accepte pas que le Québec fixe les propres paramètres de son identité collective, et les lois québécoises sont toujours soumises, en dernière instance, au véritable souverain du Canada qu’est la Cour suprême, qui décide de l’avenir du pays à partir d’une constitution que nous n’avons pas signée. 


Mais surtout, la thèse autonomiste néglige un élément central: le Canada formule son intérêt national sans tenir compte fondamentalement du point de vue québécois. Le Québec dispose d’une autonomie relative dans un environnement qui lui est structurellement défavorable, comme en témoigne l’évolution du rapport au français dans le reste du pays.


Quand le Canada décide qu’il veut 500 000 immigrés par année, le Québec a beau protester de manière existentielle, il proteste de manière vaine. Il s’indigne, il s’époumonne, il se dit contrarié, mais rien de tout cela n’a d’importance. 


Le Canada décide, et le Québec doit se contenter de prendre acte, pour reprendre les mots de la ministre québécoise de l’Immigration. 


L’autonomisme devient alors purement verbal. Il réduit le nationalisme à une rhétorique.


C’est un nationalisme manchot et cul-de-jatte, qui décide en plus d’être aveugle pour ne pas avoir à regarder la réalité en face, pour ne pas avoir à modifier sa lecture fondamentale de la situation du Québec dans le Canada, pour ne pas avoir à se demander si la seule autonomie possible n’est pas à l’extérieur de la fédération?


Les autonomistes doivent se demander la chose suivante: peuvent-ils envisager une situation où l’autonomie du Québec ne serait plus possible dans le Canada, une situation où la contradiction entre la défense de l’identité québécoise et le maintien du lien fédéral serait désormais insurmontable? 


S’ils jugent cette situation possible, on leur demandera alors dans quel scénario cette situation pourrait se présenter? Est-ce que ce sera lorsque le Québec ne pèsera plus que 20% dans la fédération? Ou 18%? Ou 15%? Est-ce que ce sera le jour où les francophones au Québec ne seront plus que 75%? 70%? 60%? 


Les autonomistes peuvent-ils envisager un scénario où il sera tout simplement trop tard pour que le peuple québécois puisse renverser la tendance le conduisant à l’effondrement démographique et l’effacement identitaire? 


Et s’ils ont un minimum de conscience historique, pourraient-ils nous expliquer pourquoi nous ne sommes pas rendus à ce moment crucial où nous devons décider de notre avenir politique?


S’ils jugent ce moment arrivé, pourquoi reportent-ils la rupture avec un pays dans lequel nous sommes condamnés au mieux à gérer notre régression nationale comme si notre vie politique n’était désormais qu’une transposition dans le domaine collectif de ce qu’on appelle les soins palliatifs?


Je pose la question aux autonomistes: plusieurs, au fond d’eux-mêmes, le sont devenus parce qu’ils croyaient la souveraineté impossible à court terme. Mais ne sommes-nous pas rendus à un moment de notre histoire où le fait de demeurer dans le Canada condamne le peuple québécois à une forme de disparition inéluctable, le seul pouvoir des autonomistes étant peut-être d’en retarder l’échéance d’une décennie ou deux?


Ces questions me semblent importantes.