Pourquoi tant d’inégalités ? L’essai de Guillaume Travers (éditions de La Nouvelle Librairie) fait trembler le sanctuaire idéologique du maître Thomas Piketty ! Les piliers de sa sacro-sainte analyse des inégalités de revenus et de patrimoine se fissurent un à un sous la plume incisive de l’auteur. Cet essai remarquable livre bataille aux anachronismes, aux contresens langagiers et historiques commis par l’écrivain du Capital au XXIe siècle, pour révéler ce qui se cache réellement derrière le phénomène des inégalités. Alors, bas les masques, c’est l’heure de vérité, signée Guillaume Travers.
À travers ses publications, Thomas Piketty s’est fait depuis longtemps le chantre français de cette épopée des temps modernes : la guerre contre les inégalités. À bord de son cheval de Troie bardé de recherches statistiques sur le sujet, il entend influencer le capitalisme mondial. Thomas Piketty explique sans réserve que ces inégalités sont fondées par un ordre social bénéficiaire qui vise précisément à les légitimer pour se maintenir coûte que coûte. Et le champ des iniquités est vaste. Il en va des frontières qui cantonnent les peuples dans leur développement au détriment des pays les plus pauvres, des traditions et de l’éducation qui n’ont d’autre but que de maintenir les savoirs chez les bénéficiaires (nantis), en d’autres termes de reproduire des inégalités avec constance de génération en génération. En occultant la sociologie et l’anthropologie, le professeur Piketty présuppose que seule l’économie est apte à décrypter les relations complexes entre les hommes depuis… quelques décennies. Tant mieux, nous n’aurons pas à remonter à Mérovée.
Thomas Piketty rêve d’un homme individualiste, égalitariste et mondialiste
Nous devons, pour bien comprendre la notion d’inégalité, faire un retour en arrière au temps de la société médiévale et des corporations qui garantissaient les intérêts de la communauté et avaient pour but de favoriser la qualité en délaissant la quantité, l’humain face à la standardisation, le durable et l’utilitaire. Thomas Piketty, lui, étudie la société dans tous ses aspects éco-quantitatifs et en déduit qu’elle est inégalitaire. Une observation qualitative de la chaîne de valeur l’autoriserait pourtant à penser l’appartenance au groupe comme vecteur du statut de l’individu tout en respectant les différences intrinsèques. Quand l’intérêt collectif prime l’intérêt individuel, la société est plus égalitaire. Mais l’intérêt individuel suscité par le marché a créé l’égalitarisme, a nivelé les statuts et a absorbé les différences poussant les êtres à un individualisme forcené, suscitant envie et égoïsme. La Déclaration des droits de l’homme n’est pas autre chose que la sanctuarisation de la société des « égaux » qui, par un jeu de miroirs, va développer « l’ego » pour mieux se faire valoir. L’individu s’impose alors sur le groupe, la quantité sur la qualité, les inégalités sur les différences.
La complémentarité des fonctions, point aveugle de Piketty
Cette différence chère à Georges Dumézil, qui est la clé de son travail sur l’idéologie trifonctionnelle de nos sociétés indo-européennes à savoir le sacré, l’armée et la production, est dévoyée par Thomas Piketty qui y voit un ordre universel commun à toutes les sociétés qu’elles soient africaines, islamiques ou chinoises, tout en ignorant l’articulation et la complémentarité de ces fonctions, propres à chaque culture. Cette trifonctionnalité ayant pour but, selon Thomas Piketty, de maintenir les élites religieuses et militaires au pouvoir. Cependant, Thomas Piketty oublie la complémentarité de ces ordres qui déterminent la stabilité sociale d’un pays. Ici comme ailleurs, il remplace sans légitimité la différence par l’inégalité et fait fi du sentiment de chacun d’avoir une fonction déterminée dans une société lui permettant de faire corps.
Dans ce même ordre d’idées, Thomas Piketty occulte un individualisme exacerbé et se cache derrière ce qu’il appelle le « néo-propriétarisme » qu’il dénonce. Ce concept dont il situe l’essor au XIXe siècle est, selon lui, à la source des inégalités. Piketty oublie que l’individualisme est issu de la Révolution française qui a supprimé les corporations et les privilèges pour sanctifier l’individu et la propriété. 1789 a ainsi transféré les biens de la noblesse et du clergé à la bourgeoisie, symbole du libéralisme naissant et source des inégalités, dont l’auteur du Capital au XXIe siècle dénonce les effets en ignorant les causes.
Une déconstruction de l’histoire de l’Europe
Thomas Piketty étend son projet de déconstruction à toute l’Europe et explique que son avancée précoce a été rendue possible à partir du XVIe siècle grâce au pillage des ressources de la planète et de la domination des populations locales.
Répondons méthodiquement à cette assertion.
Si les pays européens ont connu un démarrage rapide, c’est bien à leurs richesses affirmées dès le Moyen Âge et qui ont autorisé les découvertes du XVe siècle qu’ils le doivent. C’est aussi grâce à sa culture, sa religion, ses lettres, ses arts et son administration qu’elle a pu résister aux invasions musulmanes puis assurer son territoire et enfin partir à la conquête du monde. En outre, les pays d’Europe ont su adapter la technique et l’économie à leur mode de vie, ce qui a favorisé leur développement rapide. Enfin, le commerce triangulaire n’a concerné en France que quelques ports et environ 100 000 personnes de manière directe et indirecte. Les voyages étaient bien souvent risqués et peu rentables. Au plus, 1,3 million d’Africains ont été conduits aux Antilles par les Français en 250 ans alors que la traite négrière arabe en Afrique n’a cessé qu’au milieu du XXe siècle et avait commencé au VIIIe siècle.
Si le développement de l’Europe devait être corrélé à ce commerce atlantique, les pays musulmans auraient dû connaître un développement équivalent au nôtre et beaucoup plus tôt. Il n’en a rien été.
De plus, la révolution industrielle française se déploie intensément dans le nord et à l’est du pays, et non dans les deux principaux ports négriers que sont Nantes et Bordeaux.
Quant aux profits dégagés par la colonisation, des études montrent que les colonies ont été largement déficitaires.
L’Europe s’est modernisée grâce à son génie et à son travail acharné et, de manière triviale, grâce à son climat.
Malheureusement, l’esclavage persiste encore aujourd’hui. Les organisations internationales (source : rapport de l’Anti-Slavery International) dénombrent plus de 100 millions d’esclaves dans certains pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Sud.
La société de marché source des inégalités
Mais revenons aux inégalités et leurs origines. Comme le souligne Guillaume Travers, elles trouvent leur source dans le fondement d’une société de marché. Cette dernière, cela n’aura échappé à personne, a vu tous ses freins nationaux sauter les uns après les autres ; traités et zones de libre-échange, abolition des frontières, disparition des droits de douane, multiplication des sources d’approvisionnement, multiplication de l’offre, nouvelles technologies facilitant les échanges, sans même évoquer la multiplication par deux de la population mondiale depuis 1960.
L’effet « superstar » : plus le marché est vaste, plus les inégalités sont importantes
Cet « effet superstar » décrit par Sherwin Rosen illustre la corrélation entre l’accroissement quantitatif des inégalités et la multiplicité des canaux de consommation. Nous sommes passés des différences du frugal marché de village aux inégalités gargantuesques de l’ogre mondial. Plus le marché est vaste, plus les inégalités sont importantes. En deux siècles, le marché de la taille d’un village de 150 habitants a muté en un espace planétaire de 8 milliards d’habitants. Du postier français de Bricquebec au machin global d’Amazon, il y a un océan.
Une fois cette évidence énoncée, citons le général de Gaulle dans ses Mémoires de guerre, qui, avant nous, fut confronté aux réalités navrantes de la géographie : « Monsieur Churchill et moi tombâmes modestement d’accord pour tirer des événements, qui avaient brisé l’Occident, cette conclusion banale mais définitive : en fin de compte, l’Angleterre est une île ; la France, le cap d’un continent ; l’Amérique, un autre monde. »
Il est alors temps pour Guillaume Travers de constater avec amertume le retrait de l’État-providence et la faiblesse de la nation face au libéralisme triomphant. L’État a longtemps joué son rôle de modérateur en maintenant dans la société une solidarité de proximité et en contrôlant le développement des échanges de biens et de capitaux, et par conséquent en limitant les inégalités des revenus. L’ouverture des frontières a créé un marché mondial, rendu fluide tous les échanges, gonflé les rémunérations et dynamité les inégalités. La taille du marché hexagonal a été multipliée par plus de 200 en 40 ans, permettant un enrichissement exponentiel.
Monsieur Piketty prône ce mondialisme mais refuse son corollaire, les inégalités.
À moins que son discours ne cache une autre réalité sociétale : un système à la chinoise. Pouvoir totalitaire et libéralisme décomplexé. Pouvoir et argent au détriment de la liberté.
Julie Thomas
03/04/2020
Sources sur la traite négrière européenne :
https://www.caminteresse.fr/histoire/lhistoire-de-la-traite-negriere-en-france-1181977/
http://memorial.nantes.fr/nantes-la-traite-negriere-et-l-esclavage/
http://dp.mariottini.free.fr/esclavage/france-negriere/france-negriere.htm
https://perso.helmo.be/jamin/euxaussi/racisme/traite.html : ici, surtout la conclusion sur l’esclavage au XXIe siècle.
Pourquoi tant d’inégalités par Guillaume Travers, éditions de La Nouvelle Librairie, 4,90 euros.