Luigi_Zingales - En essayant de comprendre les méthodes et le moment choisis par les gouvernements pour intervenir en période de crise financière, il est probable que nous conclurons en paraphrasant le philosophe français Blaise Pascal : la politique a ses raisons que la raison économique ne connaît point.
CHICAGO – Sur le plan économique, le problème est simple. Dès que la solvabilité d'un emprunteur souverain se détériore suffisamment, sa survie dépend alors des attentes du marché. Si dans l'esprit de la plupart des gens, l'Italie est solvable, elle trouvera prêteur à faible taux d'intérêt, car elle est en mesure de respecter ses obligations existantes et fort probablement ses obligations futures. Mais si le moindre doute s'installe quant à sa solvabilité, les prêteurs exigent une prime élevée sur ses emprunts, le déficit fiscal empire et le pays entre très certainement en défaut.
De quoi dépend le sort d'un emprunteur comme l'Italie qui peut se retrouver au sein d'attentes positives ou se précipiter dans un scénario cauchemardesque? Bien souvent d'une « conjonction d'évènements ». En effet, l'anticipation générale d'une décote de crédit de l'Italie rendra son endettement intenable et le pays sera techniquement en défaut à l'annonce de la décote indépendamment de ses effets économiques réels. C'est le fléau de ce que nous économistes appelons l'équilibre multiple : dès qu'on pressent que d'autres s'apprêtent à se ruer vers la sortie, la meilleure stratégie est de courir également; mais si personne ne bouge, courir ne sert à rien.
Étant donné cette dynamique économique, il semble y avoir deux choix évidents de mesures prescrites. Premièrement, il est extrêmement périlleux pour un pays de s'aventurer même de loin dans une zone ou la moindre tache solaire pourrait déclencher son insolvabilité. Bien sûr, personne ne sait exactement à quel niveau se situe ce risque, mais l'instant où les avertissements surgissent se reconnaît entre mille. Vu le coût exorbitant d'un défaut, tous les gouvernements doivent se tenir le plus à l'écart possible de la zone dangereuse.
Le second précepte suppose que lorsqu'un pays est effectivement en zone périlleuse, quelle que soit la cause, deux ripostes seulement sont économiquement rationnelles. Soit les autorités reconnaissent immédiatement que le défaut est inévitable afin de ne pas gaspiller de ressources en tentant de l'éviter, soit elles estiment pouvoir esquiver l'échéance et déployer le plus rapidement possible toutes les mesures à leur portée. Comme dans bien des batailles, une intervention en plusieurs étapes pour régler une crise financière aboutit souvent au pire résultat possible : un échec accompagné de grandes pertes.
Hélas, c'est justement là le scénario de l'intervention des autorités américaines dans la crise financière de 2008. Après l'effondrement de Bear Stearns, il était évident que d'autres problèmes suivraient. Pourtant, le gouvernement des États-Unis n'a pas bronché. En juillet 2008, au dévoilement de l'insolvabilité des agences de prêts immobiliers garantis par le gouvernement (Fannie Mae et Freddie Mac), le secrétaire du Trésor Hank Paulson promettait une solution « bazooka », mais a plutôt lancé une demi-mesure au lance-pierre. Ce n'est qu'avec l'effondrement de Lehman Brothers que Paulson est allé au Congrès demander 700 milliards de $ pour stabiliser le système financier et même ce montant s'est avéré insuffisant.
La même parodie semble se jouer en Europe. Si les autorités européennes jugeaient essentiel de sauver la Grèce, une intervention immédiate de l'Europe en faveur de la Grèce minimiserait les mesures à prendre. Si elles estimaient que la Grèce devait faire banqueroute, une décision immédiate en ce sens réduirait également les coûts au minimum. Or, nous en sommes déjà au deuxième acte de l'intervention et aucune issue ne semble en vue. Pendant ce temps, l'Italie s'enfonce.
Plusieurs sont d'avis que la classe politique se comporte ainsi en raison de son ignorance de la nature économique des crises. Je n'y souscris point. J'estime que ce qui les pousse à agir ainsi n'a rien à voir avec le manque de connaissances, mais est plutôt le résultat des effets pervers de motifs politiques.
Tout d'abord, même avec les meilleurs motifs, il est difficile pour quiconque de préférer débourser des sommes moindres aujourd'hui à une facture plus élevée, mais dans un futur hypothétique. Pour un élu qui ne sera peut-être plus au pouvoir (ou plus de ce monde) lorsque les créanciers réclameront leurs dus, le choix est simple et explique bien les niveaux d'endettement des pays qui les placent en zone dangereuse.
De plus, on ne peut s'attendre à aucun gain politique en s'engageant dans une guerre préventive, alors qu'on peut gagner un capital politique important en agissant après l'apparition des problèmes. Si Franklin Roosevelt avait réussi à empêcher l'attaque de Pearl Harbor par une frappe préventive contre le Japon, nous serions encore en train de discuter si la guerre avec le Japon était inévitable. Pourtant, Roosevelt n'a agi qu'après la catastrophe et il est révéré comme un sauveur. Les dirigeants politiques ont besoin d'un consensus avant d'agir, une telle unanimité ne s'obtient que si les coûts de l'inaction deviennent flagrants. À ce stade, il est souvent trop tard pour éviter un dénouement encore pire.
Toutes les démocraties ont ces mêmes travers. Ils ne peuvent être éliminés, mais ils peuvent être tempérés. Le Pacte de stabilité et de croissance de l'Union européenne était justement une initiative en ce sens – par la création de mécanismes d'incitation pour les pays de la zone euro de s'abstenir d'entrer dans la zone de turbulence de l'endettement. Malheureusement, le pacte a échoué lamentablement. Mais si l'Euro doit survivre et si nous voulons que d'autres pays évitent leurs propres crises de crédit souverain, des règles à l'épreuve des responsables politiques seront toujours nécessaires.
Traduit de l'anglais par Pierre Castegnier
Luigi_Zingales
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