par François Leclerc - On n’aura jamais autant parlé de solutions à la crise de la dette européenne et aussi peu agi simultanément. Les rumeurs se multiplient, les démentis catégoriques de même : le FMI serait en train d’étudier un prêt de plusieurs centaines de milliards de dollars à l’Italie, en s’adossant à la BCE faute d’en avoir les moyens ; réunis autour de l’Allemagne, le cœur de la zone euro dotée de la note AAA étudierait l’émission d’obligations d’élite, afin de venir via le FESF au secours des pays attaqués. De fortes attentes sont exprimées, mais rien n’est pour l’instant sur le tapis.
En Belgique et en Italie, des emprunts d’État destinés aux particuliers ont été symboliquement lancés. Dérisoires cagnottes en dépit de leur succès, comparées aux besoins financiers, ridicules remparts comme l’ont été la semaine dernière les quelques 8 milliards d’euros d’achats obligataires de la BCE.
Venant confirmer que l’achat de la dette européenne n’est pas leur priorité, les dirigeants du fonds souverain chinois CIC ont précisé leur intention d’investir dans les infrastructures américaines et européennes, y compris pour en devenir les opérateurs, un secteur où les besoins sont importants et les rentabilités à long terme prometteuses.
Les modalités techniques de multiplication des moyens financiers du FESF vont être demain mardi adoptées par les ministres des finances européens, mais les déclarations imprécises se sont succédées à propos de son fameux effet levier, si bien que l’on ne sait plus qui il faut croire : le Klaus Regling (son directeur général) qui évoquait il y a trois jours un coefficient 2, voir 3 dans le meilleur des cas, ou celui qui parle aujourd’hui devant une autre tribune d’un coefficient entre 3 et 4 !
Dans ces conditions, les pays les plus proches de l’Allemagne flanchent, la Finlande à propos d’une intervention de la BCE, désormais de circonstance, ou l’Autriche en ce qui concerne l’émission d’euro-obligations. Les Polonais appellent les Allemands à agir, devant « les conséquences apocalyptiques » de la fin de l’euro. L’OCDE se met de la partie et craint « un événement négatif majeur », qui pourrait avoir des conséquences dévastatrices pour l’économie mondiale, et estime que « les décideurs doivent se préparer au pire ». « Seul instrument efficace pour faire barrage à la récession », la BCE doit « agir maintenant ».
Les marchés, eux, sont euphoriques comme si de rien n’était, se raccrochant aux rumeurs et ne voulant pas croire aux démentis, dopés par l’espoir d’un accord politique franco-allemand en faveur d’un pacte de stabilité musclé. Celui-ci est pour l’instant à géométrie variable, sa présentation adaptée aux circonstances et aux aléas des débats politiques nationaux. Les pays qu’il pourrait concerner sont tout aussi indéfinis que ses modalités, allant de l’ensemble de l’Union européenne à un groupe restreint des membres de la zone euro, ce qui désignerait aussitôt à la vindicte des marchés ceux qui ne l’auraient pas rejoint.
Pour sans nul doute tout clarifier, des discours de Nicolas Sarkozy et d’Angela Merkel qualifiés d’importants sont annoncés pour jeudi et vendredi prochains, avant la tenue d’un sempiternel sommet européen, les 8 et 9 décembre ! Afin de poursuivre la chronique des grands de ce monde, Barack Obama a rencontré à Washington José Manuel Barroso et Herman van Rompuy, toujours dans l’attente d’un plan européen crédible aux yeux des marchés, après que Moody’s a annoncé dimanche qu’au rythme où vont les choses, la note de tous les pays européens, même les plus solides, était menacée. La rencontre devait être à l’origine consacrée à la situation dans le monde arabe, mais un autre ordre du jour s’est imposé. Utilisant une formulation inédite, Barack Obama a affirmé que les États-Unis étaient prêts « à faire leur part » pour aider l’Union européenne, sans préciser en quoi cela pourrait consister.
Les prévisions de l’OCDE font désormais dans le genre apocalyptique, analysant différents scénarios intitulés « du pire », et estimant les effets domino d’un défaut désordonné d’un État sur sa dette, via le système bancaire et le marché obligataire. Il en résulterait de nouvelles hausses sur ce dernier marché, qui impliqueraient des mesures renouvelées de rigueur, inhibant la croissance et créant un cercle vicieux. La diminution de l’offre de crédit des banques y contribuerait, en raison de l’approfondissement de leur propre crise. Il en découlerait une déstabilisation du système bancaire et de nouveaux défauts d’États. Il a fallu de très nombreux mois pour que ce schéma soit reconnu…
L’ampleur de ces phénomènes en série dépendrait de la taille du ou des pays faisant défaut à l’origine. Une sortie de la zone euro serait toute aussi dévastatrice, induisant une profonde dépression atteignant l’économie mondiale dans son ensemble. En attendant que de telles prédictions se réalisent, l’OCDE estime que la contagion est « entrée dans une nouvelle phase », et que la zone euro, qui connait une « légère récession », est appelée à stagner l’année prochaine. Toute la zone OCDE est dans le même cas selon elle, du Japon à l’Europe et aux États-Unis, même les pays émergents pouvant en subir le contre-coup. Si les États-Unis entraient à leur tour en récession, l’organisation ne voit pas comment elle pourrait en sortir, même avec les moyens monétaires de la Fed.
N’ayant pas l’honneur de faire les manchettes de l’actualité, qu’elle ne revendique surtout pas, la crise de l’endettement des banques européennes s’accentue dans la discrétion, parallèlement à celle de la dette publique. Celles-ci n’ont vendu cette année que pour 413 milliards de dollars d’obligations, alors qu’elles doivent rembourser 654 milliards de dollars, selon le Financial Times. Cette situation inédite laisse 241 milliards de dollars de trou. 720 milliards de dettes devront être refinancées l’année prochaine, arrivant à maturité.
Les banques doivent également augmenter leurs fonds propres, à un niveau inférieur pour l’instant aux 200 milliards de dollars que le FMI avait estimé nécessaire et, comme déjà évoqué, les investisseurs ne se pressent pas à leurs portes. Ni pour acheter des actions, ni pour en faire autant des obligations. Les banques s’engagent donc dans des opérations de conversion d’obligations en actions, d’échanges d’actifs et dans une réduction de leurs engagements en s’en délestant comme elles peuvent. Tous les moyens sont bons, comme lorsque l’on doit alléger d’urgence la charge d’un bateau qui menace de couler, y compris en réduisant leurs opérations de crédit.
On a aussi vu comment pouvaient être opérés des bidouillages sur les pondérations de risque des actifs. Mais la grande inconnue est l’impact sur le crédit et ses répercussions sur l’économie. Le rétablissement des banques a un coût, qu’elles vont faire payer aux entreprises (les PME en priorité), aux collectivités et aux particuliers.
La conjonction des deux crises de l’endettement privé et public va lourdement peser sur l’économie et entraîner tous les pays occidentaux dans une récession de longue durée, avec son cortège de misères. Cependant, aucune réponse n’est à l’heure actuelle apportée à cette tendance lourde, car cela impliquerait des reconsidérations peu orthodoxes chez les bien-pensants.
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