Revue de presse

Les dangers d'une crise

Géopolitique — Proche-Orient


La une des grands quotidiens canadiens-anglais ne diffère pas ces temps-ci de celles des journaux québécois. Les mêmes photos de civils en larmes, de maisons détruites par les bombardements illustrent les témoignages de Libanais éplorés, d'Israéliens craignant de nouveaux tirs de roquettes. Si le Toronto Star, le National Post, le Globe and Mail et un ou deux autres quotidiens ont immédiatement accordé une grande attention à la crise libanaise, la plupart des autres journaux ont attendu la mort de Canadiens pour lui consacrer leur couverture.

Mais là s'arrêtent les différences, car sur le plan éditorial tous les journaux soutiennent unanimement le droit d'Israël de se défendre contre des attaques provenant de territoires qu'elle n'occupe plus. Selon eux, l'État hébreu se devait de répondre à la provocation du Hezbollah. Tous rappellent que ni le Hezbollah, ni le Hamas ne peuvent invoquer une quelconque occupation pour s'attaquer à Israël puisque ce dernier s'est retiré du Sud-Liban et de Gaza. Les éditoriaux applaudissent le soutien accordé à Israël par le premier ministre Stephen Harper, le présentant fréquemment comme une position de principes et comme un changement bienvenu à la politique autrefois indécise du Canada au Moyen-Orient.
Mais la réponse d'Israël est-elle «mesurée», comme l'a dit Harper ? Le commentaire du premier ministre, qui a fait bondir tant d'éditorialistes francophones, est traité avec des pincettes dans la presse anglophone. Aucune équipe éditoriale ne le critique directement. En fait, plusieurs quotidiens le soutiennent, dont le National Post, le Calgary Herald, le Victoria Times-Colonist et plusieurs journaux de la chaîne SunMedia.
Le Toronto Star, qui a publié une grande diversité de points de vue sur cette crise, relève sans faire de commentaire, mais avec un léger ton de reproche, que Harper est le seul leader à ne pas avoir invité Israël à la retenue. Le quotidien se demande toutefois comment il est possible de doser l'autodéfense et de répondre à des milices qui ont pleine liberté de mouvement au Liban et dans la bande de Gaza et jouissent de l'appui matériel et financier de la Syrie et de l'Iran. Personne n'a une réponse claire, ajoute le Star, mais la retenue est de mise quand même, dit-il, car s'attaquer au Liban pour arrêter le Hezbollah pose le risque d'ébranler la mauvaise cible, soit le faible gouvernement libanais qui n'a jamais vraiment eu les moyens de désarmer la milice chiite. Des bombardements aériens ne peuvent, à eux seuls, y parvenir, mais ils risquent d'accentuer l'amertume et la rage militante. Le Star refuse cependant de faire porter le fardeau uniquement à Israël. Il note que les Israéliens et les Palestiniens ont été près de s'entendre à quelques reprises, avant de voir leurs efforts ruinés par les extrémistes armés, soutenus par la Syrie et l'Iran. Si une intervention non militaire de la communauté internationale est requise pour calmer le jeu au Liban, elle doit cibler les deux camps, et donc ces pays aussi.
Chroniqueur au même journal, James Travers a été plus direct dans ses commentaires sur Harper. «La réponse originale de Harper manquait d'équilibre. En soutenant sans réserve les bombardements israéliens qui touchaient tant les civils que les cibles du Hezbollah, le premier ministre n'a pas su prendre en considération la menace posée à la stabilité régionale, ni les questions soulevées par la présence de Canadiens vivant ou visitant le Liban.»

Le Globe and Mail prend note des critiques adressées à Stephen Harper mais le quotidien semble partager son avis. Aucun pays ne peut rester les bras croisés face à des attaques injustifiées contre son territoire, dit le Globe. Et «dans un voisinage aussi dangereux que celui où vit [Israël], tendre l'autre joue n'est pas une option. [...] L'ampleur de la réponse israélienne correspond à l'ampleur de la menace» posée par le Hamas et le Hezbollah qui semblent travailler de concert. Le Globe reconnaît cependant qu'Israël doit être prudent car le gouvernement libanais est fragile et le pays du Cèdre vient à peine de sortir de l'emprise de la Syrie. Comme le Star, le Globe dit qu'Israël «a raison de frapper fort, mais il doit s'assurer de frapper la bonne cible».
Voix discordantes
Il y a bien eu quelques voix discordantes parmi les chroniqueurs. Michael Harris, du Ottawa Sun, a été un des premiers à mettre en doute la réplique choisie par Israël. Harris rappelle qu'en 2004, Ariel Sharon avait répondu par un échange de prisonniers à l'enlèvement d'un homme d'affaires israélien qui était également réserviste. Aucune goutte de sang n'avait été versée. Le premier ministre actuel a quant à lui choisi d'attaquer Gaza et le sud du Liban, d'arrêter une partie du gouvernement palestinien, de détruire des infrastructures. Dans un monde respectueux de la loi et de l'ordre, il existe un droit à l'autodéfense, dit Harris, mais ce dernier est assorti d'un test essentiel : la proportionnalité. Sinon, c'est le Far-West. Harris cite le code criminel canadien selon lequel, pour se défendre, on doit n'avoir recours qu'à la force nécessaire pour empêcher un assaut ou une répétition de celui-ci. Selon Harris, l'histoire montre qu'aucune attaque n'était nécessaire pour obtenir la libération des otages. Il en conclut que la réplique était un acte de «violence préméditée» qui a provoqué plus de pertes que l'acte initial, un dérivé de cette guerre préventive prônée par l'administration américaine. Des analystes ont d'ailleurs écrit dans plusieurs journaux que les objectifs d'Israël ne se limitaient plus à libérer les otages et que l'État hébreu attendait un prétexte pour s'attaquer ainsi au Hezbollah.
À l'opposé du spectre idéologique, on retrouve, comme tout un chacun s'y attendait, une des voix conservatrices les plus radicales au Canada. Ezra Levant, éditeur du Western Report et chroniqueur au Calgary Sun, rappelle que le Liban et Israël vivaient en paix jusqu'à ce que des organisations terroristes, d'abord palestiniennes puis chiites, s'installent au Liban pour faire la guerre à Israël. Comme la plupart des observateurs, il souligne les liens existant entre le Hezbollah, le Hamas, la Syrie et l'Iran. À son avis, les deux milices n'ont pas agi de façon indépendante ni improvisée. Il est persuadé que l'Iran a voulu détourner l'attention de ses visées nucléaires. Levant parle carrément d'une «nouvelle guerre mondiale» que «nous» sommes en train de gagner. Sa recette a de quoi faire frémir. «L'Afghanistan a été libéré, ensuite l'Irak. Terminons le travail au Liban et portons le drapeau de la liberté en Syrie et en Iran et ensuite en Arabie Saoudite.» Rien de moins.
mcornellier@ledevoir.com


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