Les controverses identitaires doivent déboucher sur un compromis

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Il ne faut rien lâcher sur la présence du crucifix au « Salon de la race » à l'Assemblée nationale

Une éclipse médiatique longue d’une décennie marque nos débats québécois. L’identité est de retour et les idéologies parlent de nouveau à haute voix. Selon plusieurs, l’identité ressemble à une matière viciée pour les démocraties, qui viendrait troubler le processus normal de décision.


Elle ferait apparaître de faux problèmes et engagerait une communauté politique dans d’inutiles luttes où se lève le règne des factions. Néanmoins, l’histoire nous révèle que les conflits n’ont pas qu’une face sombre : ils peuvent s’offrir à nous comme des occasions de refondation. C’est précisément ce que nous enseigne la loi française de 1905, qui a permis de dépasser un conflit périlleux qui a perduré tout le XIXe siècle entre la France catholique et la France républicaine. […]


Comme dans la France d’avant 1905, le Québec assiste depuis une décennie à la collision de deux orthodoxies. L’une avance que rien ne justifie l’interdiction de signes ostensibles, l’autre tient à la rendre applicable à tous employés de l’État.


Parmi tout ce qu’il a été possible d’apprendre sur nous-mêmes depuis le rapport Bouchard-Taylor, une information doit retenir notre attention plus que les autres. L’idée d’interdire les signes ostensibles à tous les employés de l’État (quelle que soit leur fonction) demeure extrêmement conflictuelle. Or, lorsqu’on s’y attarde, une évidence s’élève au-dessus de cette conversation historique : les Québécois n’ont pas tant été divisés sur la question de la laïcité que sur la question du voile, qui ne constitue qu’un angle du débat.


Au tour des modérés


Toute bonne politique doit tenir compte des blocages antérieurs. C’est pourquoi nous aurions tous à gagner à mettre entre parenthèses l’idée de l’interdiction généralisée des signes religieux afin de faire avancer les autres éléments d’une laïcité québécoise. De réels gains sont possibles et pour tous les camps.


La laïcité du rapport Bouchard-Taylor offre encore aujourd’hui un déblocage à cette situation conflictuelle dans laquelle nous sommes pris. La formule de 2008 proposait de consacrer la neutralité religieuse 1) en mettant fin à la prière dans les conseils municipaux 2) en reconsidérant le financement des écoles privées religieuses 3) en déplaçant le crucifix hors du Salon bleu et 4) en interdisant les signes ostensibles seulement aux employés de l’État dotés de pouvoirs coercitifs. Avec le temps, cette dernière idée apparaît de plus en plus comme le seul terrain d’entente capable de rassembler une très large majorité de Québécois. En ce qui a trait au crucifix, même le Parti québécois de Jean-François Lisée ainsi que des intellectuels conservateurs ont réévalué leur position et acceptent maintenant l’idée de déplacer l’objet en question. Ce déblocage est le fruit d’un exigeant débat et montre une ouverture au compromis. […]


Même si l’idée de la charte des valeurs en a séduit plusieurs, ses défenseurs doivent reconnaître que l’interdiction intégrale des signes ostensibles n’aurait pas duré dans le temps, et cela, sans même évoquer la Charte canadienne des droits et libertés. La principale raison du caractère éphémère de la charte des valeurs aurait découlé d’un fait plus simple encore : l’alternance du pouvoir. Les politiques polarisantes sont très souvent abrogées dans les jours qui suivent la transition des partis, comme ce fut le cas avec la hausse des droits de scolarité en 2012. Démographiquement, il faut aussi reconnaître que la succession des générations joue sérieusement contre cette idée à long terme ; car ceux qui l’ont portée ont moins de jours devant eux que leurs opposants, qui rassemblent la majorité de la jeunesse et de l’immigration dans leur camp. […] Les lois identitaires doivent durer dans le temps, autrement elles perdent leur effet déterminant sur le cours des choses. Qui aurait voulu d’une loi 101 qui n’aurait duré qu’un mandat ?


La stratégie du gain partiel


Une question demeure : les défenseurs d’une laïcité plus affirmée devraient expliquer en quoi le statu quo serait préférable à la moitié d’un gain, tel qu’il se présente à eux depuis dix ans. Les voix républicaines du Québec auraient avantage à se ranger derrière la formule de compromis du rapport Bouchard-Taylor, car cela leur permettrait de remporter un gain symbolique sans précédent depuis le rapport Parent. Quoi qu’il en soit, il faut bien souligner que même cette laïcité modérée contribuerait à illustrer et à affirmer la distinction du Québec sur le continent. Nous sommes, encore une fois, les seuls à mener ce genre de débats. Il s’agit d’une singularité nord-américaine, peu importe le modèle de laïcité retenu. [...]


Les controverses identitaires ne sont pas que des forces du désordre. Elles déroulent parfois de véritables tapis rouges pouvant servir d’occasions d’unification. 


> La suite sur Le Devoir.



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