Les chemins du pouvoir

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Ça ne transpire pas exactement l'enthousiasme

Il ne faut pas être grand devin pour prédire que Justin Trudeau passera beaucoup de temps au Québec d’ici aux prochaines élections fédérales. Le discours d’intronisation du nouveau chef du PLC était peut-être un ramassis de lieux communs, mais il est manifestement conscient que la reconquête du Québec est un passage obligé sur la route du pouvoir.
Même quand John Diefenbaker (1958) et Brian Mulroney (1984 et 1988) ont permis aux conservateurs de balayer le Québec ou durant les 15 années d’hégémonie du Bloc québécois (1993-2008), jamais les libéraux n’y avaient remporté moins de 12 sièges. Si tout ou presque est à reconstruire, la normalisation des relations avec les cousins provinciaux serait un bon point de départ. D’ailleurs, M. Trudeau a manifesté son intention de rencontrer Philippe Couillard dans les plus brefs délais.
En principe, l’arrivée simultanée de deux nouveaux chefs qui ne sont pas associés aux grandes querelles constitutionnelles du passé et qui semblent partager une même vision du Canada pourrait être l’occasion de jeter les bases d’une collaboration inexistante depuis un demi-siècle. L’expérience montre toutefois la très grande difficulté d’accorder les violons de deux chefs francophones, qui se transforment immanquablement en frères ennemis.
Depuis 50 ans, l’anglophone Lester B. Pearson, qui n’avait pas à prouver qu’il était un bon Canadien, a été le seul chef du PLC à se montrer réellement ouvert aux aspirations du Québec, même si le gouvernement Lesage a dû négocier pied à pied pour créer le Régime des rentes, rapatrier des points d’impôt et poser les premiers jalons d’une diplomatie québécoise distincte de celle d’Ottawa.
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L’arrivée de Pierre Elliott Trudeau a mis brutalement fin à cette belle entente. La crise d’octobre lui a permis d’affirmer d’entrée de jeu sa prééminence sur Robert Bourassa. Il n’a jamais osé qualifier Claude Ryan de « mangeur de hot-dog », mais il a superbement ignoré tous ses efforts pour réformer le fédéralisme.
Durant la phase 2 de son règne, M. Bourassa s’est opposé à John Turner sur la question du libre-échange, mais ce dernier appuyait l’accord du lac Meech. C’est Jean Chrétien, inspiré par M. Trudeau, qui en a orchestré l’échec.
Même si Jean Charest avait fait partie du triumvirat qui dirigeait le camp du non durant la campagne référendaire de 1995, M. Chrétien lui a claqué la porte au nez quand il est devenu chef du PLQ. Dès que M. Charest a manifesté son désir de voir la spécificité du Québec reconnue dans la Constitution canadienne, l’autre a répliqué que la Constitution n’était pas un « magasin général ». Le chef du PLQ a dû traîner ce boulet durant toute la campagne de 1998.
La Loi sur la clarté pesait trop lourd pour qu’une quelconque alliance avec Stéphane Dion puisse être envisageable. L’arrivée de Michael Ignatieff - autre anglophone - a semblé amorcer un rapprochement entre les cousins libéraux, mais il a vite mesuré l’étroitesse de la marge de manoeuvre que lui laissait l’état de l’opinion publique au Canada anglais. De toute manière, il n’a fait que passer.
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Si l’objectif de Jean Chrétien était de démontrer la nécessité de tourner la page sur les « vieilles chicanes », comme le répète Justin Trudeau chaque fois qu’il ouvre la bouche, il faut reconnaître que son discours caricatural de dimanche était très efficace.
L’histoire est cependant têtue et la politique a ses impératifs. Philippe Couillard semble regretter un peu plus chaque semaine d’avoir proposé de rouvrir le dossier constitutionnel, mais le voilà soudainement embarqué dans une croisade pour faire la lumière sur les circonstances obscures du rapatriement de 1982, que son nouvel homologue fédéral ne voit pas d’un très bon oeil.
Dans une étonnante entrevue accordée au Devoir en janvier dernier, M. Couillard avait développé une approche de la « nouvelle identité québécoise » très semblable au multiculturalisme préconisé par M. Trudeau. La majorité francophone devait « faire attention à la tentation d’imposer sa vision aux autres communautés », disait-il.
Une semaine plus tard, lors du deuxième débat entre les candidats à la succession de Jean Charest, il avait senti le besoin de rectifier le tir. « Quelque chose de profond » avait changé avec le rapatriement de la Constitution, avait-il déploré. « C’est l’abandon de la dualité, l’abandon des deux peuples pour un concept de multiculturalisme. »
En son for intérieur, M. Couillard ne demanderait peut-être pas mieux que de se joindre à Justin Trudeau pour « écrire un nouveau chapitre dans l’histoire de notre pays ». Leurs situations sont cependant bien différentes. Pour M. Trudeau, le chemin du pouvoir passe indéniablement par Québec, mais M. Couillard, qui sera le premier à se présenter devant l’électorat, a-t-il intérêt à cheminer en sa compagnie ?


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