Durant plus d’un siècle les Anglais avaient cherché à s’emparer de la Nouvelle France et avaient tenté en vain, de mille manières violentes de se l’approprier.
C’est alors que le moment d’arriver à leur but se profila vraiment. Une guerre éclata bien à propos en Europe, favorisant par contrecoup, parfaitement bien leur projet. La guerre de Sept Ans, opposa la Prusse de Frédéric II, alliée des Anglais, à une coalition soutenant l’Autriche, réunissant par le jeu des alliances, Russes, Français, Suédois et Polonais.
Cela permit aux dirigeants de Londres de transporter immédiatement ce conflit européen également sur le sol de l’Amérique septentrionale, afin croyaient-ils, d’avoir toute légitimité pour attaquer cette fois, pour de bon, la Nouvelle France.
Leurs actions avaient commencé depuis 1753 dans la vallée de l’Ohio et se poursuivirent toutes ces années, comme celles du lac George en 1755, d'Oswego en 1756, du fort William Henry en 1757, du fort Carillon en 1758, mais dès le mois de juin 1759 les Anglais changèrent de stratégie, poussés par le premier ministre britannique William Pitt. Ce dernier avait parfaitement compris qu’aussi longtemps que les Français combattaient sur terre à la manière amérindienne et entourés de leurs alliés amérindiens ils avaient toujours gagné, alors il décida d’envoyer une flotte puissante devant Québec. Ainsi dès juin 1759 les bombardements se succédèrent sur la ville de Québec qu’ils attaquèrent sans discontinuer, la transformant en ruines fumantes.
Dans les derniers jours du mois d’Août 1760 la défaite de la Nouvelle France paraissait de plus en plus inévitable. Québec était alors tombée le 13 septembre 1759 pourtant la magnifique victoire française de Sainte Foy du 28 avril 1760 avait eu lieu, les Canadiens français, leurs alliés amérindiens, et les troupes de la marine française emmenés par le chevalier de Lévis avaient alors réussi à faire plier l’armée anglaise de James Murray qui n’avaient pu que se replier en catastrophe dans la ville de Québec. Les Canadiens retenaient leur souffle, certes les Anglais étaient à nouveau dans la ville mais Montréal n’était pas encore tombée… La Nouvelle France était encore au Roi…
Pourtant le destin allait en décider autrement.
Mais en attendant, les autorités anglaises avaient commencé à prendre les devants.
Les Anglais avaient fort rapidement et fort habilement mis les tribus des Six Nations Odinossonis/Iroquoises proches d’eux de leur côté. Cela fut un peu moins rapide pour les Iroquois domiciliés, en effet quelques années plutôt, lors d’une réunion à New York, des représentants iroquois de ces domiciliés de Kahnawake avaient refusé de rester neutres dans le conflit : « Les Français et nous sommes un seul et même sang, ont-ils répondu, et où ils mourront, nous mourrons aussi. Nous sommes comme les deux doigts de la main; là où iront les Français, nous irons aussi ».
Un millier d’Amérindiens auxquels s’étaient rajoutés les Iroquois domiciliés avaient encore participé à la campagne de Québec aux côtés des Français. Mais les évènements récents faisaient maintenant craindre le pire à toutes ces tribus des bords du Saint Laurent, fidèles alliées des Français depuis plus de cent cinquante ans. En effet si les Français devaient partir, ils allaient ensuite rester seuls face à leur ennemi. Pour pouvoir préserver leur place dans la vallée du Saint Laurent les nations amérindiennes n’ont pas eu d’autre choix que de faire allégeance à ce pouvoir colonial étranger qui se mettait en place, c’était loin d’être par solidarité avec les nouveaux venus, c’était plutôt par nécessité absolue et sous la contrainte !
Suivant en cela la logique d’une stratégie britannique bien caractéristique celle de l' « indirect rule », ou gouvernement indirect, cela permettait d’offrir à une première catégorie de personnes parmi les peuples conquis, une sorte d’association du pouvoir. Ce gouvernement par personne interposée a toujours été scrupuleusement appliqué dans toutes leurs colonies par les Anglais. Ils placent ainsi les premières catégories en position privilégiée, mais une réelle position de subordination au pouvoir anglais, par rapport aux deuxièmes catégories jugées inférieures.
Les Iroquois furent ainsi soumis à ce processus de subordination, qui est une stratégie d’assimilation aussitôt mise en place par le gouvernement anglais, avant même la chute de la Nouvelle France, afin de pouvoir les empêcher de soutenir encore les Français mais aussi de mieux les contrôler par la suite. Les Iroquois, principalement la tribu des Agniers *, choisis pour leurs anciens rapports de bon voisinage avec les colonies anglaises de Nouvelle Angleterre, furent ces privilégiés du pouvoir anglais, ils furent choisis pour être élevés au-dessus des autres Amérindiens et les commander en lieu et place des Anglais !
Cela permettait de mieux les diriger et à travers eux de pouvoir gouverner toutes les autres nations amérindiennes et principalement tous les peuples amérindien alliés des Français.
Ces autres nations ont été placées ainsi en position subordonnée par rapport aux Iroquois, seuls interlocuteurs entendus et reconnus des Anglais. Cette union toute fictive des Iroquois avec les Anglais, si elle leur donna quelques pouvoirs et un peu de prestige, fut surtout une source de servitudes et d’assujettissements, elle fut même encore davantage, elle fut le départ de leur dépendance ! Une dépendance qui perdure encore aujourd’hui, une subordination qui caractérise toujours les relations entre les Amérindiens et l’état fédéral.
Cet interventionnisme du gouvernement anglais dans les affaires amérindiennes devint effectif dès 1760, avant même la chute de Montréal, il sera suivi du « traité de Murray » du 5 septembre 1760, par lequel James Murray avait délivré non pas un traité, mais un simple sauf-conduit aux Wendat/Hurons de Lorette leur permettant de circuler librement, sans être arrêtés par les soldats anglais et absolument libres de pratiquer leurs coutumes.
Puis pour confirmer le traité d’Oswegatchie, aura lieu le traité de Kahnawake le 16 septembre 1760
Et enfin cela s’affirma totalement en 1763 avec le traité de Paris laissant la Nouvelle France définitivement entre les mains anglaises. Au fur et à mesure que la tutelle anglaise s’est resserrée, leurs choix politiques ont été de plus en plus amputés. Parce que derrière ces liens factices il y a eu la domination du conquérant qui ne disait pas son nom, et cette exclusion des conquis amenant à l’apartheid.
C’est-à-dire un fort triste processus qui engendrait déjà, dès le début de ces étranges relations, les racines mêmes de l’instauration des futures réserves.
Traités d’Oswegatchie puis de Kahnawake
Par ces deux traités, celui d’Oswegatchie le 30 août 1760 puis celui de Kahnawake le 16 septembre 1760 a lieu la confirmation de la création d’un Grand Conseil regroupant sept Nations Amérindiennes du Canada appelées la confédération des Sept nations ou des Sept Feux.
Cette confédération a donc une origine uniquement coloniale anglaise, permettant un rapport diplomatique Anglo-iroquois depuis Kahnawake. Elle regroupa tous les Amérindiens chrétiens des missions catholiques de la vallée du Saint Laurent que ce soit des Iroquois, des Algonquins, des Nipissings, mais aussi les Abénaquis et les Hurons, depuis leurs villages d’Akwesasne, de Kahnawake, Kanesatake, d’Odanak, de Wölinak et de Wendake.
Le siège de la Confédération des Sept feux fut situé au village Iroquois de Kahnawake « le Grand Conseil » de l’alliance, où les sept chefs, des sept nations principales, siégèrent et se rencontrèrent.
En 1760 les Iroquois « domiciliés » avaient compris que les Français n’avaient plus beaucoup de chance de conserver la Nouvelle France, ils acceptèrent les propositions du pouvoir anglais avec qui ils commencèrent à engager des négociations au nom de tous les Amérindiens catholiques de la vallée du Saint Laurent. Jeffrey Amherst, le général anglais, avait rédigé dès le 26 avril précédent, une proclamation visant à mettre de leur côté les alliés de la France, dans laquelle il déclarait que « Sa Majesté ne l'a pas envoyé pour priver quiconque de ses terres ou de ses biens et promet que, en retour pour leur soutien, les alliés conserveront les droits qui leur reviennent, y compris leurs territoires de chasse. »
William Johnson surintendant anglais des Affaires indiennes, rencontra alors les délégués des «Sept nations confédérées du Canada » et leur promis solennellement de leur garantir l’absence de représailles, mais aussi celle de la protection de leurs terres, le libre exercice de la religion catholique et de tous les droits et appuis et assistances dont ils bénéficiaient avec les Français, en contrepartie les anciens alliés de la France promettent de rester neutres durant le reste de la guerre en retour de la promesse de ne pas être traités comme des ennemis par la suite.
Les Anglais obtinrent ainsi leur neutralité militaire absolue par le traité de neutralité signé à Oswegatchie (aujourd’hui dans l’état de New York) le 30 août 1760, traité signé et conclu au nom de l’ensemble des Amérindiens de la Vallée du Saint Laurent. Ainsi ces derniers totalement neutralisés, l’armée anglaise a pu aisément poursuivre sa conquête de la Nouvelle France en prenant Montréal le 8 septembre suivant !
Sans en rester là, les 15 et 16 septembre 1760 Iroquois et Anglais se rencontrèrent à nouveau mais à Kahnawake cette fois. Le but des Anglais étant alors d’établir un traité d’alliance politique et militaire. Cet acte sera la fondation de leur nouvelle relation, entre la couronne d’Angleterre et tous les Amérindiens de la Vallée du Saint Laurent.
Les Wendat de Lorette,
Les Abénaquis de Wölinak et d’Odanak,
Les Algonquins de Trois Rivières
Les Iroquois, les Algonquins et les Nipissing de Kahnawake, Kanesatake et Akwesasne
Et enfin les Iroquois d’Oswegatchie
Par ce traité de Kahnawake du 16 septembre 1760 ces peuples s’étaient définitivement liés au conquérant et étaient devenus les alliés du roi d’Angleterre… Avec quel enthousiasme et quelle chaleur les Anglais le soulignèrent alors, par des écrits, aussi nombreux que variés, jusqu’aux autorités de Londres !
Il ne fallait peut-être pourtant pas aller si vite !
A peine un mois plus tard, au mois d’octobre 1760, Daniel Claus, agent du département des affaires indiennes, soulignait l’importante dégradation de ces toutes nouvelles relations, Anglos amérindiennes.
Cela n’avait pas mis bien longtemps !
Les Iroquois étaient particulièrement mécontents, loin de les considérer un tant soit peu, les soldats ou les officiers anglais les méprisaient ouvertement, sans respecter non plus les termes des traités.
Décidément cela ne passait pas ! Jamais les Français ne les avaient traités ainsi !
Ils récriminèrent, proférèrent même des menaces disant que la couronne anglaise n’était pas capable de les protéger correctement, d’ailleurs Thomas Gage, le gouverneur militaire de Montréal refusait même de leur autoriser la liberté de circuler pour pratiquer la chasse. William Johnson, surintendant aux affaires indiennes, arriva à les amadouer car les Anglais devaient maintenant, après avoir pris la Nouvelle France, faire face à des milliers d’Amérindiens qui s’étaient soulevés autour des grands lacs, aux côtés d’un grand chef Outaouais, Obwandiyag, appelé Pontiac par les Français.
Ces nations semblaient fermement résolues à faire repartir définitivement les tuniques rouges dans leur pays d’Angleterre, espérant en les chassant voir revenir les Français ! Les troupes anglaises parvinrent à soumettre in extrémis Pontiac mais cela ne fut pas grâce aux six cent trente guerriers que représentaient les Odinossonis (Iroquois) et tous ceux de la vallée du Saint Laurent qu’ils étaient arrivés à décider, ce fut dû au machiavélisme du général Amherst et à son subalterne le colonel Henri Bouquet avec cette ignominieuse distribution de couvertures infectées. Elles terrassèrent immédiatement les Amérindiens dont les organismes n’étaient pas immunisés contre les maladies européennes !
Les Iroquois de la vallée du Saint Laurent et les Wendat/Hurons qui avaient prêté leur collaboration pour combattre le grand chef des Outaouais Pontiac, regrettèrent leur décision amèrement !
Les Anglais les avaient envoyés sur le terrain se faire massacrer à leur place, cette première expérience aux côtés des tuniques rouges était des plus décevantes, d’autant plus que le colonel Bouquet leur refusa toute reconnaissance de leurs efforts. « Nous n’avons jamais éprouvé de telles privations et de tels mauvais traitements, avec les Français ! »
Les autres grands chefs l’avaient compris avant les Iroquois et les Hurons, en effet bien leur en avait pris, ils n’avaient envoyé personne se battre pour les Anglais et surtout pas combattre leurs frères des grands lacs et de l’Ohio.
La paix signée avec Pontiac, les Anglais victorieux ne laissèrent aux Iroquois et aux Hurons qu’un rôle secondaire, ils ne s’en servirent que pour diriger les autres Amérindiens. Ils firent encore appel aux Sept Nations au moment de l’appropriation de leurs terres puisque cela allait affecter tous les Amérindiens. Si les Iroquois de Kahnawake avaient accepté la « hache des Anglais » en septembre 1763 ce fut dans l’espoir d’être ensuite favorisés. Ils reçurent bien en effet quelques menus honneurs et sans doute un peu de prestige pour avoir collaboré plus que les autres !
Le 8 mars 1768 aura lieu un nouveau traité de paix et d’alliance avec les Iroquois des Six Nations comprenant les Agniers. Cela signera désormais l’alliance de toutes les nations amérindiennes avec les Anglais par une « grande chaîne d’alliance » mais aussi les mêmes obligations.
Ils seront désormais subordonnés et soumis aux traités de la Conquête puis assujettis à la couronne anglaise. Les Iroquois les auront entraînés malgré eux à combattre non seulement les Français mais également leurs frères amérindiens des grands lacs, permettant aux Anglais de finaliser leur projet d’Empire.
Même si la seule chose que les Odinossonis/Iroquois entraînant les autres Amérindiens avec eux ont essayé de faire en se mettant du côté du Conquérant, en faisant son jeu, a été d’essayer de survivre, ignorant totalement où allait les emmener l’Histoire.
* Les Kanien'kehá:ka, une des tribus de la confédération iroquoise des Cinq Nations ou Cantons Odinossonis/Iroquois comprenant les Onneiouts, les Tsonnontouans, les Onontagués, les Goyogouins qui deviendra plus tard les Six Nations lorsque leurs frères Tuscaroras les rejoindront, chassés de Caroline vers 1720 par les Anglais. Leur nom avait été prononcé phonétiquement par les Français « Annierronnons » puis par le raccourci d’Agniers mais ils sont plus connus aujourd'hui sous celui de Mohawks le nom anglais, signifiant mangeur de chair, ce terme désignera finalement tous les autres Odinossonis/iroquois des Six Nations sans réelle distinction.
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