Le temps de la méthode

Application de la raison médicale en politique

Penser le Québec - Dominic Desroches

« On ne peut se passer d'une méthode

pour se mettre en quête de la vérité des choses »
« Ce n'est pas assez d'avoir l'esprit bon,

mais le principal est de l'appliquer bien »
René DESCARTES
***
Quand on sent l’urgence d’un changement, quand on veut se dégager d’une
emprise psychologique ou quand on veut faire tabula rasa pour tout
recommencer à zéro, l’on se doit d’éviter des erreurs classiques. Réussir
une cure de désintoxication demande un certain temps et exige plus que la
bonne volonté : sa réussite complète demande une rigoureuse planification.
Le bon médecin, à commencer par celui qui veut se guérir lui-même, sait
qu’il doit se munir d’une méthode afin d’éviter de prendre, sous le coup de
l’émotion, le symptôme pour la maladie ou la thérapie pour la guérison.
Actuellement, on veut sortir de la crise, mais on semble vouloir proposer
des remèdes sans comprendre la profondeur de la blessure. Ce texte veut
rappeler, à l’encontre des adeptes de la pensée magique et des agitateurs
professionnels, les quatre erreurs qu’il convient d’éviter si l’on veut
retrouver la santé politique.
Éviter la précipitation dans le diagnostic et sa solution
Avec les animaux blessés, il faut éviter à tout prix – et le quotidien
montre que c’est difficile –, de décider rapidement ce qui est vrai et
assuré. Pour trouver le chemin de la vérité, y compris en politique, il
faut d’abord voir « clairement » le portrait d’ensemble. La première erreur
consiste à se précipiter pour trouver une solution facile à une situation
complexe. Quand il n’y a pas d’évidence, le médecin sait qu’il doit
suspendre provisoirement son jugement. Comme le dit l’adage : dans le doute
on s’abstient et, devons-nous ajouter, dans la confusion générale, on évite
de la justifier. Tout cela pour dire que l’émotion est mauvaise
conseillère, que la vérité est évidente, que lorsque l’on est beaucoup trop
proche du miroir l’on ne se voit pas et enfin que seul celui qui connaît la
profondeur blessure sera en mesure de proposer un remède approprié.
Éviter la solution rapide en divisant les problèmes en parties
Avec une population malade, schizophrène politiquement et de plus en plus
« bordeline » individuellement, il faut à tout prix éviter de multiplier
des réalités afin de ne pas créer de « vies parallèles », ce qui rend
impossible la sortie des problèmes politiques. Si la peur nous fait faire
des gestes que l’on peut regretter amèrement ensuite, il importe alors de
ne pas augmenter les problèmes en voulant tout régler d’un seul coup, mais
plutôt diviser les problèmes en parties, de manière à travailler lentement
à leur solution. Il ne faut pas tout confondre, mais regarder les problèmes
en face.
Éviter de vouloir tout changer en même temps
Avec les citoyens intoxiqués aux médias de masse et blessés par leur
récit historique, il faut éviter de tout vouloir changer d’un seul coup,
comme si l’idée du changement justifiait toutes les actions. Au contraire,
lorsque la situation est complexe et que le cycle ne nous favorise pas,
l’on s’avisera de travailler avec des priorités et éviter de tout changer
en même temps. Le citoyen a beau être malade, il peut être encore
fonctionnel… Ici, il convient de ne pas céder à la panique à la seule idée
d’avoir à entreprendre une cure, c’est-à-dire une thérapie qui, comme le
veut la raison, progressera du simple au complexe. Car quand la blessure
est profonde, elle ne se guérit pas du jour au lendemain : elle exige que
la personne malade mette au langage son récit et qu’elle cherche, dans les
limites de ses propres associations, à retrouver une partie de sa douleur
afin de la dépasser et de se choisir elle-même. S’il y a un temps pour
chaque chose, alors il faudra suivre des étapes dans la sortie de la
maladie. Actuellement, le temps à la mise au point d’une méthode favorisant
la guérison et non pas aux discussions stériles portant sur les résultats
d’une hypothétique démarche référendaire. Qu’il est triste de voir les plus
ardents défenseurs du Québec s’attaquer publiquement au lieu de s’unir dans
la recherche de solutions pratiques. À quoi peuvent bien servir les
discussions sur les modalités d’un référendum quand les toxicomanes devront
passer par une période de sevrage avant d’aller voter ?
Éviter de sauter des étapes dans l’évaluation de la thérapie
Dans la marche historique du peuple vers sa liberté, l’erreur ultime
consiste à ne pas suivre le rythme du peuple qui doit se guérir lui-même et
de déclarer « unilatéralement », sans tenir compte de la réalité, la
thérapie terminée, c’est-à-dire sans avoir respecter les étapes nécessaires
au travail de guérison. Le médecin responsable en effet, qui connaît bien
les humains et la vulnérabilité de la maladie à laquelle est confronté le
peuple, préférera vérifier au fur et à mesure les résultats de la démarche
plutôt que de crier victoire sans en être sûr. En médecine comme en
politique, il faut savoir profiter des cycles, trouver les opportunités,
adapter les médicaments aux patients et ne jamais oublier que les choix
sont décisifs parce qu’ils engagent le futur des personnes appartenant à un
État toujours en rapport avec d’autres États. Il faut assurément réveiller
les malades et les confronter, fort bien, mais il ne sert à rien de
brusquer tous les Québécois qui tournent en rond dans la cage. En période
de crise, les solutions radicales ou totales peuvent tuer les malades
eux-mêmes.
Application de la raison médicale en politique

Une fois que l’on a compris à quel point la réalité politico-historique
est complexe et que l’intoxication volontaire est difficile à guérir,
c’est-à-dire à quel point certains de nos citoyens se sont abîmés dans les
substances toxiques pouvant être potentiellement mortelles, le médecin ou
l’homme politique trouvera un grand intérêt à limiter la précipitation et à
valoriser le recul nécessaire à la guérison. Il comprendra que le temps
n’est plus au jeu, mais à la mise sur pied d’une méthode afin de faire
converger le malade vers son remède. Sans surprise : nous plaiderons donc
pour la réflexion contre la précipitation, la méthode contre l'engagement
dans des solutions totales, l'ordre économique plutôt que la dépense
énergétique illimitées des affairés. Et que celui qui refuse de saisir
l'urgence et la pertinence de la médecine politique laisse sa place…
Ici donc, qu’importe le type de médecine, le genre de médicament ou le
style de thérapie, la raison médicale appliquée sait que la construction de
la vérité politique exige du temps, de la méthode, de la transparence et le
respect de la posologie, et ce jusqu’à la fin du travail entrepris.
Aujourd’hui, alors que l’on attend le sursaut, l’invisible travail de
redressement, et l’élan favorisant le saut hors de la cage, la dernière
chose à faire est de se précipiter dans les disputes publiques. Au
contraire, ceux qui veulent réellement sortir de la spirale infernale et du
cycle « chronique » de la disparition ont intérêt à penser par deux fois
avant de solliciter les médias, répondre à des questions, surtout s’ils ont
l’intention d’assister à une troisième aventure de libération.
Dominic DESROCHES

Département de philosophie / Collège Ahuntsic
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --

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Dominic Desroches est docteur en philosophie de l’Université de Montréal. Il a obtenu des bourses de la Freie Universität Berlin et de l’Albert-Ludwigs Universität de Freiburg (Allemagne) en 1998-1999. Il a fait ses études post-doctorales au Center for Etik og Ret à Copenhague (Danemark) en 2004. En plus d’avoir collaboré à plusieurs revues, il est l’auteur d’articles consacrés à Hamann, Herder, Kierkegaard, Wittgenstein et Lévinas. Il enseigne présentement au Département de philosophie du Collège Ahuntsic à Montréal.





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