Le talon d'Achille

CAQ - c'est parti



En 1970, les stratèges libéraux ont poussé un soupir de soulagement quand Jean-Jacques Bertrand a déclenché des élections à peine trois mois après le congrès qui avait permis à Robert Bourassa de succéder à Jean Lesage.
Encore peu connu, âgé de seulement 36 ans, le député de Mercier incarnait certes le changement, mais on craignait que, sous les feux des projecteurs, l'image du jeune et brillant économiste ne s'efface rapidement pour laisser apparaître celle du technocrate sans éclat, pour ne pas dire ennuyeux.
«Jean Charest pourrait profiter du fait qu'on n'est pas totalement prêts pour lancer une campagne [au printemps]», a déclaré François Legault en fin de semaine dernière. En réalité, comme les libéraux de 1970, il souhaite probablement que le premier ministre précipite les choses.
M. Legault n'est pas beaucoup plus coloré que le Bourassa première manière, et il n'y a pas, dans le plan d'action qu'il a rendu public la semaine dernière, l'équivalent des 100 000 emplois qui avaient frappé les imaginations il y a quarante ans.
Le sondage de Léger Marketing, dont Le Devoir publie aujourd'hui le deuxième volet, montre que l'ambiguïté des idées de la Coalition avenir Québec (CAQ) est le point faible du nouveau parti, même s'il domine dans les intentions de vote.
Après trois mandats, M. Charest ne manque pas de culot pour se présenter lui-même comme l'incarnation du «bon changement», mais il serait sans doute bien aise de laisser à la population le temps de découvrir tous les problèmes que posent les solutions de M. Legault, si seulement les perspectives inquiétantes de l'économie mondiale lui en laissaient le loisir.
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Il n'y a pas à se surprendre que la CAQ soit jugée moins convaincante dans la défense des intérêts du Québec et de la langue française, puisque ce sont les deux dossiers les plus étroitement liés à la question nationale, que M. Legault prétend mettre en veilleuse.
Non seulement il n'entend pas rouvrir le dossier constitutionnel avant dix ans, mais il prétend même être en mesure d'établir de meilleures relations avec Stephen Harper que le premier ministre Charest et, bien entendu, que Pauline Marois.
Se présenter comme l'ami du premier ministre canadien n'est peut-être pas la meilleure carte de visite par les temps qui courent. Qu'il s'agisse du registre des armes à feu, du projet de loi C-10 ou encore de la nomination d'unilingues anglophones à la Cour suprême et au poste de Vérificateur général, le sondage Léger Marketing-Le Devoir indique que le gouvernement Harper est aux antipodes de l'opinion publique québécoise.
Soucieux de ne pas indisposer son homologue canadien avant que le dossier de l'harmonisation de la TPS et de la TVQ soit réglé, M. Charest s'était bien gardé de l'indisposer au cours de la dernière campagne fédérale.
Cela risque cependant de changer d'ici le printemps prochain. M. Charest ne se fait sûrement aucune illusion sur le résultat des visites répétées que ses ministres ont effectuées à Ottawa au cours des derniers jours, mais une défense énergique des intérêts du Québec devient une figure imposée à l'approche d'élections générales, même si tout le monde sait que M. Charest ne dépassera jamais le stade des aboiements.
M. Harper ne doit pas s'inquiéter davantage de l'élection d'un gouvernement Legault. Une coalition de fédéralistes et de souverainistes serait condamnée elle aussi aux protestations de pure forme, sous peine d'éclater.
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Un précédent sondage de Léger Marketing indiquait que le quart (24 %) des électeurs non francophones s'apprêtaient à voter pour la CAQ. Ce chiffre étonnant résultait peut-être de la faiblesse de l'échantillon. À moins que M. Charest n'ait réussi à les convaincre que M. Legault demeure un dangereux séparatiste, même s'il promet un moratoire de dix ans sur la question constitutionnelle.
Quoi qu'il en soit, le dernier sondage ne crédite plus la CAQ que de 12 % des intentions de vote des non-francophones, qui préfèrent d'emblée voir M. Charest (34 %) à la tête du gouvernement plutôt que M. Legault (10 %).
Cela signifie que la CAQ devra compter essentiellement sur le vote francophone. À 40 %, elle devance largement le PQ (24 %) à ce chapitre, mais les Québécois font nettement plus confiance au parti de Pauline Marois (39 %) qu'à la CAQ (14 %) pour assurer la vitalité du français.
À l'époque où il était au PQ, M. Legault faisait partie des «impatients» qui plaidaient en faveur de la tenue d'un référendum sur la souveraineté le plus rapidement possible. En revanche, sur la question linguistique, il n'a jamais fait partie des faucons qui voulaient renforcer la Charte de la langue française.
L'inquiétude grandissante pour l'avenir du français, conjuguée avec l'indifférence du gouvernement Harper pour les «valeurs» québécoises, risque toutefois de faire percevoir la modération de M. Legault comme de la tiédeur. Son talon d'Achille demeure la question identitaire, qui refuse obstinément d'être subordonnée aux «vrais problèmes».


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