Le Tabou

Chronique d'André Savard


Jean Charest est un homme qui gouverne par tempérament. Ceci ne signifie pas qu’il soit du type affirmatif dans le bon sens du terme. Il n’affirme pas par exemple l’existence de la nation québécoise et moins encore celle de son gouvernement national. Le tempérament de Jean Charest cherche à se prouver lui-même dans des batailles de tranchée qu’il se fait fort de remporter.
Il ne fallait avoir aucune notion de psychologie ou de politique, le parti Libéral restant identique à lui-même autant que son chef, pour penser que le statut de gouvernement minoritaire y changerait quelque chose. Le gouvernement de Jean Charest est aussi inapte à gouverner qu’il ne l’était il y a quatre ans. Le gouvernement Charest ne pense qu’en termes de petites victoires dans l’opinion publique.
Jean Charest a ouvert son premier mandat par une sortie publique contre les syndicats car il croyait à un effet de ralliement autour du sentiment antisyndical. Il a voulu produire le même effet avec le ras-le-bas du payeur de taxes. Encore une fois, le problème ce n’est pas que le gouvernement libéral ne communique pas. C’est qu’il croit trop dans le langage qui s’adresse aux préjugés populaires.
Jean Charest répète : « L’important c’est les baisses d’impôts » comme il disait « La souveraineté ou la santé ». Pour lui, certaines formules ont une portée intrinsèque sur l’opinion publique et il est plus important de s’aligner sur elles que de reconnaître la véritable nature des problèmes. Pour Jean Charest, ce n’est pas une question de sens et de non-sens mais d’expérimenter avec les bons mots. La dispute concernant le déséquilibre fiscal, la pénurie des services, tout cela est insignifiant en regard du souci de Jean Charest de constamment jeter de la poudre aux yeux.
Évidemment, Jean Charest, tout à sa joie des mots qui déplacent, a déguisé son entreprise avec des interprétations nationalistes. Il détourne un transfert fédéral réservé aux premières nécessités et il clame comme alibi sa fierté de décider seul en tant que premier ministre québécois. Songez : faire sauter un milliard de dollars de transferts fédéraux de la rangée comptable réservée aux premières nécessités. Ensuite se frapper la poitrine, se marteler le visage, en alléguant le droit du premier ministre québécois à faire ce qu’il veut. À quel épisode aurons-nous encore droit de la part de ce gouvernement qui risque de frapper d’incrédibilité les prochaines revendications du Québec touchant les transferts fédéraux?
Les précédents gouvernements du Québec, au bout du compte, n’ont pas été au front pour rien. Leurs interminables pourparlers avec le Fédéral servent à financer Jean Charest, son honneur du guerrier et sa promesse électorale saisonnière. Jean Charest veut tromper en posant comme nationaliste parce que le Maître à Ottawa, non content de voir l’argent détourné, apprécie la situation différemment. Jean Charest veut produire un effet nationaliste car tout ce qui compte pour lui c’est jouer avec la perspective.
Sa dernière façon de tromper, c’est de faire passer l’exigence de ne pas détourner des fonds comme le symbole du pouvoir autocratique du Fédéral. Toujours ferme pour défendre les principes idéaux, les femmes au conseil des ministres, la patrie s’il le faut, du moment qu’on le laisse aller en paix dans l’ornière tranquille où s’enlise le Québec. Il faut juste de l’entraînement, une certaine pratique de la langue pour que ce soit bien vu de l’extérieur.
Jean Charest fait de la politique en croyant ferme dans les formules courtes car il se maintient dans ce point de vue : les citoyens manquent de temps, ils sont contraints de subir réunions et fins de mois. Conséquemment ils sont au bout de leur exaspération pour les vieilles histoires. Ils n’ont pas assez de force pour l’observation et leur perception est immédiate.
Il faut donc leur promettre la gratification après les sacrifices. On ne leurre pas quand on va seulement à la rencontre de ce que les gens veulent entendre. Les gens veulent des baisses d’impôts et pas d’élections. Alors Charest prend des airs de matamore et prétend chevaucher les thèmes favoris. Pour conduire un gouvernement, c’est toute la vision dont il est capable.
Arrive un sondage qui révèle la vraie tendance. Les gens ne veulent pas de baisses d’impôts qui proviennent de l’argent détourné. Alors tout à coup le gouvernement libéral trouve dans les coulisses des millions pour accommoder quelques secteurs en perdition. Charest fait un numéro, toujours et partout.
Les souterrains apparaissent facilement à la surface. Par exemple l’expression « modèle alternatif » sert à masquer en ce moment les tendances conservatrices. On dit qu’il faut libérer le capital, cheville ouvrière de la prospérité. Sur ce point l’Action Démocratique et le Parti Libéral s’entendent. Cela signifie notamment exonérer les profits milliardaires des banques. Le budget Jérome-Forget ne l’a pas oublié et c’est ce que recommandait l’Action Démocratique.
Avec l’expression « modèle alternatif », Jean Charest et Mario Dumont partagent les mêmes coulisses. La règle du profit fonctionne pour les banques. Alors pourquoi cela ne marcherait pas en santé? On nomme l’ancien ministre Castonguay pour explorer ledit « modèle alternatif ». L’expression a remplacé le concept moins emballant de la règle du profit. Parions que la Commission Castonguay aura aussi son dialecte de substitution pour asseoir la règle du profit : on définira un programme de « souplesse » par « phases versatiles ». Ainsi on peut tous s’illusionner sur ce qui est en train de se faire en réalité.
Le budget de Monique Jérome-Forget marque le début d’un stratagème pour démettre bel et bien le diffamé monopole dictatorial en santé. Étape par étape, tout le temps que la loi du profit se répandra dans ce domaine, on parlera surtout de « plus de liberté » selon les recommandations du président de la Commission Castonguay. Tous ceux qui aspirent à des gains faciles vont témoigner, des chercheurs de talents aux charlatans complets, ils vont assurer que ce serait acceptable que ceux qui sont prêts à les payer au quintuple taux horaire se sentent bien libres de le faire. Et le président de la Commission Castonguay, lequel n’a pas caché ses sympathies adéquistes, hochera la tête.
Ce n’est pas Mario Dumont ni Jean Charest qui vont citer la conférence de presse du cinéaste Michael Moore la semaine dernière. L’auteur du célèbre documentaire 9/11 a présenté son film sur les soins de santé aux Etats-Unis au Festival de Cannes et il relate en ces termes un échange fort significatif pour nous dans son compte-rendu : «À ma conférence de presse, le seul mot négatif vint des Canadiens. Deux critiques n’aimèrent pas toutes les bonnes choses que j’aie dites à propos de leur système de soins de santé. Oui le système canadien comporte des lacunes mais quand j’ai demandé aux deux critiques s’ils échangeraient leur carte d’assurance-maladie pour la mienne, ils répondirent : Non! Bien sûr qu’ils ne le feraient pas. Les Canadiens vivent plus longtemps que nous et leur taux de mortalité infantile est moins élevé que le nôtre. Leur système est sous-financé parce que leurs leaders ont essayé d’imiter le système américain. »
Avec le règne partagé du parti Libéral et de l’Action Démocratique, on a de plus en plus la réputation d’un progressiste et d’un homme de bien lorsqu’on pousse vers la loi du profit au détriment de celle de la solidarité. Il est même en train de se créer un nouveau type de commentateur, le pseudo-réprimé, lequel dit que la solidarité l’empêche de déployer ses immenses talents, ses énormes capacités de travail à cause du socialisme rampant. C’est plus chic de se dire en faveur du « modèle alternatif » que de dire carrément que l’on veut bouffer des brochettes dans des restaurants, boire des bons vins.
Chacun veut marcher à l’avant-garde du progrès. On nous refait le coup du « modèle alternatif» en matière constitutionnelle aussi. Il faut oublier la vieille dualité entre indépendantistes et fédéralistes et créer, à la place, des domaines de recherches entiers pour mieux faire avec ce que l’on a, paraît-il. On va faire concrètement avec ce que l’on a et on va parler d’autonomie comme on donne la météo et les nouvelles sur la lune. Vive le modèle alternatif! Vive la classe moyenne!
Jean Charest a passé son premier mandat à dire qu’il voulait réaliser l’unité de tous les Québécois. Pour réaliser l’unité de tous les Québécois, il gomme la réalité de sa majorité francophone. Le « plus fédéraliste des premiers ministres québécois jamais connu » comme le qualifiait Stephen Harper, ne voit même pas la nation québécoise. Il ne songe qu’aux rapports d’inclusion dans l’ensemble canadien car pour lui le Québec est un sous-ensemble dans un diagramme triangulaire entre le Fédéral, les provinces et les municipalités. Il n’y a pas de nation québécoise, aucun gouvernement qui la représente; il n’y a que des cellules qui rencontrent leur fonction.
Il est tabou de déclencher des élections en plein été. Il est tabou de renverser un gouvernement quelques semaines à peine après les dernières élections. De cela on peut déduire que, quoi que le gouvernement fasse au seuil de la belle saison, il n’y a qu’à encaisser avec une grimace. L’occasion est idéale pour obliger le parti Québécois à appuyer un détournement de un milliard en baisses d’impôts assorti d’un programme d’emprunts de vingt milliards pour rescaper des bâtiments avant qu’ils ne s’effondrent.
Pourquoi ne pas apprendre aux écoliers à bâtir un igloo avec un canif pour tailler les blocs de neige? Il paraît qu’il est très rare que le toit tombe sur la tête dans ce genre d’habitation. En plus, il n’y a pas d’escaliers à rénover. Il n’y a pas à colmater quand le vent passe dans les intervalles. À coup sûr, l’objectif est atteignable en faveur du nouveau fétiche de ce gouvernement: la famille de la classe moyenne.
André Savard


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4 commentaires

  • Nicolas Rodrigue Répondre

    29 mai 2007

    La baisse d'impôt annoncé est indécente lorsqu'on sait que près de 43 % des revenus déclarés sont inférieur au seuil d'imposition parce que trop pauvre pour en payer. Et que le troisième quintile (40%-60%) en paye tellement peu qu'une baisse de 4% est insignifiante et que le deux tiers de cette argent vont se retrouver dans la poche des deux dernier quintile (60%-100%) des revenus les plus élevés. On creuse l'écart entre les riches et les pauvres.
    On a déjà baisser les impôts dans le passé de 15 milliards récurent, en coupant dans la santé et l'éducation. 15 milliards récurents sur dix ans donne une perte de 150 milliards en revenu pour l'états et les deux tiers de cet argent est allés dans les poches des 40% des plus riches. Le résultat du sondage contrairement à plusieurs ne me surprend pas. On devrait plutôt couper dans les tarifs d'hydro sa redonne à tout le monde pas seulement les riches.

  • Archives de Vigile Répondre

    29 mai 2007

    M. André Savard, j’apprécie votre analyse.
    Je crois qu’il serait préférable de renverser le présent gouvernement. Imputer uniquement au parti québécois la responsabilité de maintenir ou non le présent gouvernement relève d’une fiction irrecevable. Le parti québécois ne devrait pas renoncer à ses valeurs, ni à ses principes parce que l’opposition officielle (ADQ), ne consent à aucun accommodement raisonnable au budget de Jean Charest. Le seul et unique responsable du renversement du gouvernement reste Jean Charest lui-même et le parti libéral du Québec. Ils doivent en porter l’odieux. Surtout que ce budget va à l’encontre de ce que désire les québécois (sondages).
    Dumont au pouvoir. Oui, peut-être, mais certainement pas majoritaire. Pire que le PLQ et Jean Charest ? Peut-être. Attendons après l’élection pour voir quelle position de force il occupera dans l’enceinte de l’assemblée nationale. Entre un fédéraliste qui ne croit pas à la nation québécoise et désire sournoisement son assimilation progressive dans le grand canada (Charest un enfant de Durham), je préfére un autonomiste qui ira se frapper la gueule sur l’intransigeance des fédéralistes unitaristes d’Ottawa, ouvrant ainsi un chemin pour la seule et unique solution pouvant conduire une nation à son mode de vie naturel, à savoir vivre dans un pays, le sien.
    Pour le coût de quelques pizzas en moins par habitant au Québec, faudrait-il se priver d’une nouvelle élection ? Réponse non. Pensons à l’avenir de notre nation en marche vers un pays.

  • Archives de Vigile Répondre

    29 mai 2007

    Avec au plus 20 % d'appuis chez les francophones (certainement les derniers irréductibles vendus irrécupérables dans leur genre) le PLQ ne devrait pas faire son jare. Le seul parti qui y laisserait ses plumes - malgré tous les faux "spins" ambiants et la désinformation omniprésente entretenus par les médias fédérastes et leurs affidés - avec cette probable élection estivale serait bien lui ... L'ADQ accédera le premier au podium suivi des deux autres qui ne pourront que se disputer pour la seconde place ... Les deux partis d'opposition ont donc tout à gagner et rien à perdre avec une élection imminente et prétendue faussement impopulaire par les Richard Desmarais et autres "petits faizeux d'opinions" !

  • Normand Perry Répondre

    29 mai 2007

    La question que doivent avoir à l'esprit les stratèges péquistes est de savoir, qu'est-ce d'une élection hâtive et estivale ou de l'appui aux baisses d'impôts (impopulaire) risque de devenir un boulet politique ?
    La démonstration de la présente chronique montre qu'un appui du PQ aux baisses d'impôts est un risque beaucoup trop dangereux à long terme.
    A ce compte-là, ne vaut-il pas mieux provoquer l'élection hâtive ? De toute façon, après trois jours de campagne électorale, le public aura oublié qui et pourquoi nous en sommes arrivé à des élections estivales.
    Alors vaut mieux opter pour une défaite du gouvernement à l'Assemblée nationale vendredi prochain.
    Normand Perry.