Les décisions prises par les pays du G-20 réunis à Toronto vont contribuer à plonger l’économie mondiale dans une dépression, soutient dans sa chronique du lundi 28 juin, publié dans le New York Times, l’économiste Paul Krugman, prix Nobel d’économie.
Les pays du G-20 se sont en effet engagés à couper de moitié leur déficit d’ici 2013, en prédisant que cela ne nuira pas à la relance de l’économie mondiale. Krugman, qui favorise plutôt la poursuite d’une politique keynésienne de stimulants économiques, est d’avis contraire.
Il constate avec stupeur que les dirigeants des pays les plus puissants de la planète reprennent en chœur le credo néolibéral des dernières décennies : l’augmentation des taxes et les compressions budgétaires vont permettre une expansion de l’économie en créant un climat favorable aux milieux des affaires.
Le trio Canada/Grande-Bretagne/Allemagne
De toute évidence, la politique de lutte au déficit a été imposée au Sommet du G-20 par le trio Canada/Grande-Bretagne/Allemagne. Les États-Unis semblaient récalcitrants à mettre le focus sur le déficit, mais le président Obama sait que les Républicains et les Démocrates conservateurs, qui forment la majorité au Congrès, n’autoriseront jamais d’autres stimulants économiques.
Le président français Nicolas Sarkozy a bien exprimé quelques réserves, mais le premier ministre Stephen Harper lui a rappelé les engagements pris lors d’une rencontre bilatérale entre les deux hommes à Paris.
Il faut dire que, dès 9 heures le dimanche matin, la chancelière Angela Merkel, dans un scénario concocté avec le Canada, avait donné le ton en s’adressant la toute première aux médias pour exprimer son accord avec le communiqué final.
Elle n’a fait que porter à une échelle supérieure la politique de l’Allemagne à l’égard de pays européens en difficulté comme la Grèce, l’Irlande, le Portugal et l’Espagne.
Dans les coulisses
Le premier ministre Harper a déclaré que la politique d’austérité était celle qu’exigeaient les marchés financiers.
En fait, la main invisible s’est exprimée, si on peut dire, par le biais d’un rapport du Fonds monétaire international (FMI) produit pour l’occasion. Le FMI mettait en garde contre les conséquences de ne pas s’attaquer au problème de la dette dans les pays industrialisés avancés : croissance lente, chômage élevé, important service de la dette et de plus gros déficits commerciaux.
Il ne faudrait pas croire naïvement que le FMI en soit arrivé à ces conclusions en consultant sa boule de cristal. Une rencontre, qui s’est tenue à Toronto, en parallèle à celle du G-20, nous indique qui tenait la main des auteurs du rapport du FMI.
« La dette excessive des gouvernements est la plus grande inquiétude de la communauté mondiale des affaires à l’heure actuelle, bien avant toute préoccupation à propos de l’insuffisance des stimulants fiscaux. » Voilà le message urgent que 43 des hommes d’affaires, parmi les plus importants de la planète, avaient à transmettre aux ministres des Finances du G-20 et au premier ministre Harper, nous apprend le Globe and Mail du 28 juin.
Ces hommes d’affaires, choisis par leur gouvernement, étaient arrivés à Toronto la veille du Sommet et ils ont rencontré 16 des 20 ministres des Finances des pays présents dans la métropole du Canada pour leur faire part de « leurs préoccupations ».
Au sein de la délégation internationale, on retrouvait les pdg de Sinosteel Corp. de la Chine, BASF de l’Allemagne, de Sumitomo Mitsiu Banking du Japon, de OAO Severstal de Russie, de Compania Telefonica d’Espagne, de GlaxoSmithKline de Grande-Bretagne.
La délégation canadienne comprenait, entre autres, John Manley du Conseil canadien des chefs d’entreprises, Perrin Beatty, pdg de la Chambre de commerce du Canada, Pierre Beaudoin de Bombardier et des représentants de Suncor et des banques Royale et de Montréal.
Le message de ces représentants des milieux financiers était le suivant: « L’effet des stimulants s’estompe. C’est au tour du secteur privé de prendre la relève ».
Autrement dit, après s'être endetté pour venir en aide aux banques et autres monopoles industriels, les gouvernements doivent réduire leurs déficits en privatisant les institutions publiques et les financiers vont se faire un plaisir de les acheter à prix d’aubaine et en prendre le contrôle.
Du déjà vu, en pire
L’exemple de la Grande-Bretagne illustre bien le scénario prévisible. Son nouveau premier ministre, David Cameron, est présenté par le Globe and Mail comme ayant été le meilleur allié de Stephen Harper au Sommet du G-20.
Cameron vient de déposer en Grande-Bretagne un budget anti-déficit où les compressions atteignent jusqu’à 25% du budget de certains ministères. Il s’est vanté, à Toronto, d’avoir modelé sa politique sur celles du tandem Chrétien-Martin des belles années de la lutte anti-déficit au Canada.
Le Québec se souvient de ce qu’a été le pelletage du déficit canadien dans sa cour. Cela a donné entre autres la politique du Déficit zéro de Lucien Bouchard et la mise au rancart du projet d’indépendance nationale.
La situation risque d’être encore pire cette fois, étant donné le nouveau positionnement stratégique du Canada qui, délaissant le libre-échange avec les États-Unis, se tourne de plus en plus vers l’Asie. Cela était manifeste au Sommet du G-20.
Un déplacement de l’économie vers l’Ouest
Le président chinois s’est voulu très discret au Sommet du G-20, au point de faire biffer dans la Déclaration finale le paragraphe qui saluait la décision de son gouvernement de permettre l’appréciation de la monnaie chinoise.
Cette discrétion n’est pas synonyme d’effacement. Selon plusieurs observateurs, la Chine manœuvre pour faire modifier au prochain sommet du G-20 à Séoul les règles de participation au FMI et à la Banque Mondiale. À l’heure actuelle, les pays émergents ont 43% des droits de vote au FMI et 44% à la Banque mondiale. Ils veulent évidemment la majorité des voix.
La discrétion du premier ministre chinois ne l’a pas empêché non plus d’affirmer son intention d’intensifier les échanges avec le Canada. En 2004, le volume des échanges entre les deux pays atteignait 20 milliards. L'an dernier, il avait bondi à 51 milliards.
La Chine reluque les richesses naturelles du Canada et plus particulièrement les sables bitumineux de l’Alberta. Un projet existe de construire un pipeline jusqu’au Pacifique pour exporter le pétrole vers la Chine.
De plus, la Chine vient d’accorder au Canada le statut de « destination approuvée » ce qui va augmenter considérablement le nombre de touristes au Canada. Air Canada a tout de suite annoncé qu’elle doublera le nombre de ses vols entre Toronto et la Chine.
Le développement des échanges commerciaux avec l’Inde est un autre objectif du nouveau positionnement stratégique canadien. Pas étonnant que les premiers ministres canadien et indien aient signé un accord pendant le Sommet du G-20 pour l’exportation d’uranium canadien, Ottawa mettant de côté toutes ses réserves passées à cause du programme d’armements nucléaires de l’Inde.
Un défi pour le Québec et le mouvement souverainiste
Récemment, nous avons attiré l’attention des souverainistes québécois sur ce nouveau positionnement stratégique du Canada , tel qu’exprimé, entre autres, dans un rapport du très influent Conseil international du Canada et de ses conséquences pour le Québec et, plus particulièrement, pour le mouvement indépendantiste.
Aussi, c’est avec beaucoup d’étonnement que nous avons lu l’opinion de Jocelyn Coulon parue dans La Presse du samedi 26 juin. Se référant au même rapport , il écrit que, parmi les quelques idées produites par les 13 chercheurs, « la première et, sans aucun doute, la plus importante de ces idées est d'approfondir nos relations avec les États-Unis ».
En fait, sans nier l’importance de cette relation, le rapport plaide plutôt pour une alternative, étant donné le déclin économique relatif des États-Unis et les tracasseries administratives, découlant de l’obsession sécuritaire de nos voisins du sud, qui sont en train de miner le traité de libre-échange.
Jocelyn Coulon termine son article par ces mots : « Pour le reste, le rapport du CIC - dont la traduction française est médiocre - fait un certain nombre de recommandations très concrètes et dont la mise en oeuvre devrait nous permettre d'exercer une certaine influence ».
En fait, ce sont ces autres « recommandations très concrètes » qu’il se garde bien d’énumérer qui constituent l’originalité du rapport. Et pourquoi parler de la traduction française – qui est loin d’être médiocre – sinon pour décourager les gens d’aller le lire.
Étrange.
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