Guillaume Bourgault-Côté Ottawa — «Just watch me.» Trois mots. Pierre Elliott Trudeau dans les marches du parlement pendant la Crise d'octobre. Une formule lapidaire qui a traversé le temps. De fait, plusieurs Canadiens anglais ont regardé aller Trudeau sans trop poser de questions. Mais d'autres ont aussi vivement dénoncé l'imposition des mesures de guerre.
Ce sont les témoignages de ces objecteurs de conscience canadiens-anglais que les politologues souverainistes Guy Bouthillier et Édouard Cloutier ont rassemblés dans [Trudeau's Darkest Hour->30575] (en anglais seulement). Vingt-cinq auteurs et des textes écrits entre les années 1940 et la décennie 2000, pour déboulonner un grand mythe: celui voulant que le ROC ait été tout d'un bloc derrière Trudeau et sa décision d'imposer la Loi sur les mesures de guerre au plus fort de la Crise d'octobre.
Certes, reconnaissent MM. Bouthillier et Cloutier, les premières semaines, l'application de la loi a reçu un soutien large à l'extérieur du Québec. Mais il y avait des «craques dans cette réception monolithique», écrivent les auteurs, venus présenter le livre au Parlement hier matin.
À l'approche du 40e anniversaire de l'événement, ils ont donc voulu creuser pour vérifier si les Québécois ont raison de se souvenir de cet épisode comme «d'une raison de plus de blâmer les "Anglais"». Leur présomption était que «des gens au Parlement, dans les médias, dans la population en général ont refusé de marcher avec le gouvernement Trudeau. Et notre hypothèse était bonne. Certains ont parlé dès octobre 1970, d'autres l'ont fait plus tard. Plusieurs Canadiens anglais ont agi, réfléchi et écrit avec bien moins d'unanimité [qu'on le pense], avec nuance, et parfois en forte opposition d'avec la vérité officielle.»
Le panorama proposé ratisse large. Dans le temps d'abord, puisque les premiers textes datent des années 1940. Quel intérêt pour mesurer la réception du ROC aux mesures de guerre d'octobre 1970? Fort simple: c'est l'occasion, par exemple, de lire un texte de Pierre Elliott Trudeau datant de 1948 dénonçant avec éloquence l'imposition de la même loi (jugée «tyrannique») par Mackenzie King...
Durant la Deuxième Guerre mondiale, la loi a notamment servi pour interner dans des camps quelque 22 000 Japonais établis au Canada, précisément parce qu'ils étaient Japonais. Adrien Arcand y a aussi goûté. Et pour Trudeau, cela était ignoble. Rien ne justifie, écrivait-il, que le gouvernement «procède en dehors des limites du droit, en violation de la justice, sans offrir de défense [aux accusés].» Vingt-deux ans plus tard, Trudeau trouvera pourtant une justification dans cet état «d'insurrection appréhendée».
Large panorama dans le choix des textes colligés (et annotés), aussi. Plusieurs anciens politiciens sont présents: le chef du Parti conservateur de l'époque, Robert Stanfield, deux anciens ministres du cabinet Trudeau, Eric Kierans (qui parle d'une «période lamentable de l'histoire canadienne» et affirme que «nous avons perdu notre sang froid et notre bon sens») ou Don Jamieson (qui raconte à quel point il n'y avait aucune justification factuelle à l'application de la loi, et que le cabinet s'est fait berner par Trudeau).
Le premier chef du NPD, Tommy Douglas, a bien sûr une place de choix dans l'ouvrage, qui lui est d'ailleurs dédié. Don Jamieson dit de lui qu'il «a fait preuve d'un courage politique du plus haut niveau» lors des événements, parce qu'il a été le seul à s'opposer haut et fort dès le début.
Le livre reprend un de ses discours présentés en Chambre, où il fustige le gouvernement Trudeau et dénonce vivement son incapacité à «avancer la moindre preuve» d'un état «d'insurrection appréhendée».
L'ancien rédacteur en chef du Toronto Star, Peter C. Newman, revient avec amertume sur cette époque. C'est lui qui a le premier lancé la fausse rumeur voulant qu'un coup d'État fût en préparation au Québec. Un groupe mené notamment par Claude Ryan (alors directeur du Devoir) et René Lévesque aurait travaillé dans l'ombre pour remplacer le gouvernement Bourassa, a écrit Newman... pistonné par nul autre que Pierre Elliott Trudeau et son chef de cabinet, Marc Lalonde. Quand Trudeau a formellement démenti cette rumeur, quelques jours plus tard, Newman s'est senti «trahi»...
Parmi les autres signataires, on note les noms de la romancière Margaret Atwood, de l'universitaire James Eayrs, des historiens John Conway et Ramsay Cook, ou encore du philosophe du libéralisme C. B. Macpherson (cosignataire en mars 1971 d'une lettre affirmant que la loi a été imposée «non pas pour empêcher des activités criminelles, mais pour supprimer le droit à une opinion politique dissidente, de la même façon dont les États communistes et fascistes le font»).
Aucun souverainiste connu: mais des Canadiens anglais prêts à dénoncer une mesure qualifiée de «dictatoriale», «totalitaire», ou même de «fasciste», et à s'interroger sur «l'hystérie et la peur» que le gouvernement Trudeau a créées en agissant de la sorte il y a 40 ans.
Mesures de guerre
Le ROC aussi a eu ses doutes
Une anthologie de textes écrits par des Canadiens anglais montre que la décision de Trudeau a choqué en dehors du Québec
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