Ainsi, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) a décidé en douce que les minorités religieuses pouvaient choisir le sexe de leur évaluateur lors de leur examen de conduite à la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ)!
Cette décision, et les arguments invoqués par la Commission, montrent clairement que les décideurs n'ont rien compris à la crise des accommodements raisonnables. La vaste majorité de la population avait alors manifesté une opposition de principe à de tels accommodements, qui accordent des traitements de faveur à des minorités qui refusent de s'adapter aux normes québécoises en matière de rapports publics entre les hommes et les femmes. S'appuyant sur des critères purement techniques, la Commission décrète que ces accommodements ne vont pas à l'encontre de l'égalité entre les hommes et les femmes puisque les demandes ne sont pas suffisamment nombreuses pour avoir une incidence sur l'embauche d'examinateurs d'un sexe donné ou sur leurs conditions de travail.
Message envoyé
La Commission continue donc de prendre ses décisions comme elle l'a toujours fait: en s'appuyant sur des critères administratifs pour déterminer s'il y a «contrainte excessive», autrement dit, si l'accommodement est raisonnable ou non. Or, si cet accommodement avait soulevé un tollé en 2007, c'est bien parce que la population refusait que la SAAQ doive plier devant ces demandes d'accommodement, quelles que soient par ailleurs ses conséquences sur les conditions de travail et les chances d'embauche des examinateurs masculins ou féminins.
L'essentiel du problème ne réside pas dans ces considérations administratives, mais plutôt dans le message qui est envoyé aux minorités ethniques et religieuses lorsque de tels accommodements sont accordés. Ce que l'on dit aux juifs hassidiques, c'est que l'on respecte leur conviction profonde selon laquelle une femme ne peut pas être en position d'autorité par rapport à un homme. Ce que l'on dit aux femmes musulmanes, c'est que l'on comprend qu'elles ne souhaitent pas être en contact avec des hommes en l'absence de leur mari. Ce que l'on dit aux immigrants récemment arrivés au Québec, c'est qu'ils n'auront pas à s'adapter à la manière dont les rapports hommes femmes se vivent au Québec. Au contraire, c'est le Québec qui s'adaptera!
Culture commune
Au-delà des particularismes de chacun, le Québec a une culture publique commune sur laquelle nous devons nous entendre afin d'assurer des rapports fonctionnels et harmonieux dans l'espace public, et plus largement, de nous reconnaître comme membres d'une même nation. Cette culture publique commune comprend des éléments tels que nos formules de politesse, le niveau de langue acceptable selon les situations, les circonstances dans lesquelles il est permis de rire, de sourire ou de se moucher, bref, tous ces codes que nous avons développés au fil du temps et qui régissent nos rapports sociaux de façon naturelle et souvent inconsciente.
Cette culture publique commune comprend aussi une certaine conception des rapports hommes femmes dans l'espace public et des circonstances où les hommes et les femmes peuvent être séparés. Oui à la femme qui demande à ne pas être soignée par un homme parce qu'elle a vécu un traumatisme. Non à l'homme qui refuse de serrer la main d'une femme sous prétexte qu'elle est impure. Pourquoi? Parce que ce sont pas nos valeurs, parce que c'est ainsi que nous concevons les rapports hommes femmes, ici et maintenant. Nous pouvons diverger d'opinion sur certains enjeux relatifs au féminisme, mais nous nous entendons sur ces règles qui permettent aux hommes et aux femmes d'interagir au quotidien sans devoir constamment se demander si leurs faits et gestes seront bien interprétés par leur interlocuteur.
Donner l'exemple
Bien entendu, un immigrant récemment arrivé au Québec ne connaît pas ces codes, ce qui peut donner lieu à des malentendus. Que faire, alors? Deux logiques diamétralement opposées s'affrontent ici. Selon le sens commun, la solution consiste à enseigner aux immigrants les codes de leur société d'accueil afin qu'ils se les approprient. Cela implique que les institutions publiques, comme la SAAQ, à laquelle tous les conducteurs du Québec ont affaire, doivent être les premières à donner l'exemple. L'autre option est celle choisie par la CDPDJ.
Selon elle, la présence de minorités qui ne connaissent ou ne partagent pas les normes de la majorité devrait obliger les institutions à appliquer des normes à géométrie variable afin de n'incommoder personne. Plutôt que de faire connaître les règles communes dont nous nous sommes dotés au fil de notre histoire, il faudrait plutôt les abandonner lorsqu'elles ne conviennent pas à certains individus. Mais à quoi servent donc les normes si chacun peut s'y soustraire?
Lorsque le rapport Bouchard-Taylor a été publié, plusieurs avaient eu l'impression désagréable que la grogne populaire avait été ignorée et que les institutions allaient continuer d'accorder des accommodements que les Québécois rejettent pourtant massivement. Avec sa récente décision concernant les examens de conduite à la SAAQ, la CDPDJ vient de nous prouver que cette intuition était fondée.
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Véronique Lauzon, Candidate à la maîtrise en sociologie à l'Université de Montréal
Joëlle Quérin, Candidate au doctorat en sociologie à l'UQAM
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