Le retour de la charte

Chronique de Gilles Verrier

Le retour dans le débat public de la charte de laïcité cette semaine a toutes les apparences encore une fois d'un débat mal parti, reflétant le décochage opportuniste de flèches à droite et à gauche, sans aucune perspective et encore moins de plan d'ensemble en ce qui concerne le rétablissement du bien public. Il démontre que les longs mois que s'accorde le PQ pour se trouver un chef se révèlent inutiles dans la mesure où ces mois, idéalement réservés à la réflexion sur le fond, n'ont pas permis de rehausser qualitativement le débat.

Pour discuter du re-débat sur la laïcité et ses contours, je vais prendre pour point de départ le premier paragraphe de l'éditorial de Vigile sur le sujet, paru cette semaine, que je cite in extenso. On aura intérêt à lire l'édito au complet pour se faire son propre jugement.

«La remise à l’agenda politique du projet de Charte de la laïcité par Bernard Drainville est un geste citoyen on ne peut plus pertinent et à-propos à l’heure où de méprisables assassins ont visé le cœur d’un grand principe de nos sociétés démocratiques, celui de la liberté d’expression. Cette charte ne sera évidemment pas la potion magique qui mettra un terme à l’islam politique, mais elle aura au moins le mérite de tracer noir sur blanc les valeurs citoyennes qui animent le Québec.»

Commettre une erreur une fois c'est triste, mais la commettre deux fois c'est une farce. Nos chefs de file souverainistes devraient comprendre après ce que nous avons vécu sous la gouvernance de Pauline Marois qu'il faut faire sortir impérativement la revendication de la laïcité de l'État de son cadre provincial. Il faut également la faire sortir de son cadre qui a toutes les apparences de ne viser que les musulmans pour étendre cette volonté dans une revendication plus englobante qui sort le Québec du Canada. Si cela n'est pas fait, à quoi bon demander le renversement du gouvernement Couillard?

Voici comment, selon moi il faut de toute urgence élargir la question.

Même si son portrait nous est imposé tout le temps quand nos mains sortent de nos poches de quoi payer ou qu'on achète des timbres postes, comment la reine Élizabeth II, figure omniprésente de notre quotidien colonial, qui se trouve être aussi chef de l'église anglicane, peut-elle être tenue dans notre inconscient passif par des souverainistes, comme s'il s'agissait d'un non sujet? Ne sommes-nous pas là dans le déni d'un anglicanisme politique au sommet de l'État qui est bien réel? Ce poids politique de l'anglo-protestantisme WASP n'a-t-il pas un poids politique peu légitime chez nous, qui passe bien avant un islam politique qui, pour être aussi réel, est une menace largement sur estimée, pas encore matérialisée dans le pouvoir de l'État et ses institutions sauf peut-être de façon anecdotique. La limitation de l'immigration en viendra facilement à bout et c'est tout ce dont nous avons besoin.

Mais puisque, nous dit-on, il faut «mettre un terme» à l'islam politique, ce qui est la deuxième partie du plan annoncé en éditorial, il ne faudrait pas continuer d'ignorer l'influence du judaïsme politique au sein de l'appareil d'État, et c'est là que le bât blesse. Car s'il n'y a pas de conséquence à insulter la pudeur des musulmans, ceux que l'on dit redouter le plus ne sont pas nécessairement ceux à qui l'on pense! En effet, ce n'est tout de même pas l'islam politique qui a réussi à mobiliser la presque totalité de l'Assemblée nationale pour condamner un citoyen bien connu, M. Yves Michaud, qui avait eu l'outrecuidance de poser une question apparemment interdite, perçue comme trop tendancieuse? Où est la liberté de parole au Québec ? Il faudra donc avoir le courage de remettre à plat tous les pouvoirs politico-religieux au sein de l'État. Mais le Québec en est-il prêt? En est-il prêt compte tenu de sa fixation infantile sur l'islam, qu'il magnifie, et de sa négation du pouvoir judaïque sur lesquels trône la Reine des Anglicans chez-nous? Ce n'est donc pas une charte de la laïcité qu'il nous faut mais un véritable changement de régime, dans le bon sens du terme.

Bref, ma modeste opinion est que l'éditorial sur la laïcité, comme trop d'autres opinions émises hâtivement sur la question, se cantonne dans une approche conformiste et politicienne à courte vue qui ne rend pas du tout compte de la réalité objective des forces en présence. L'insistance de l'édito sur Charlie hebdo, «convoqué» pour faire la promotion de la laïcité de l'État du Québec m'apparaît d'ailleurs comme un rapprochement déplacé dans ce cas, compte tenu du fait qu'il est impossible de tenir ce magazine controversé pour modèle d'équité. Il fessait particulièrement dur à l'endroit des musulmans avec lesquels il recherchait la provocation plutôt que le dialogue. Il était acerbe envers les catholiques et plutôt sympathique avec les juifs. Ce qui était tout à fait son droit. Et de ça tout le monde en conviendra, tout en remarquant le biais. Mais de là à congédier brutalement le populaire dessinateur Siné pour avoir écrit une satire qui visait une juive, une des rares piques sur les juifs parues dans le journal, il y a une marge. Et cette marge laisse une grosse tache sur l'indépendance d'esprit des chefs de file de Charlie hebdo. Il faut le rappeler systématiquement pour faire justice aux faits. Il faudrait donc prendre garde de ne pas faire de cette feuille de choux le parangon a posteriori de la liberté d'expression, même si on ne peut que réprouver avec horreur le crime qui en a décimé l'équipe de direction.

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Gilles Verrier139 articles

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Entrepreneur à la retraite, intellectuel à force de curiosité et autodidacte. Je tiens de mon père un intérêt précoce pour les affaires publiques. Partenaire de Vigile avec Bernard Frappier pour initier à contre-courant la relance d'un souverainisme ambitieux, peu après le référendum de 1995. On peut communiquer avec moi et commenter mon blogue : http://gilles-verrier.blogspot.ca





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2 commentaires

  • Danièle Fortin Répondre

    19 janvier 2015

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    _ Merci à Gilles Verrier de nous rappeler, dans cet excellent texte, qu'au-delà de la charte des valeurs ou de la laïcité, il n'en demeure pas moins que la chef de la province de Québec ( véritable chef de l'état québécois ) est aussi la gouverneure d'une Église étrangère et reine toute aussi étrangère.
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    Jean-Claude Pomerleau, mais de quelle « doctrine d'état » parlez-vous ? Depuis sa fondation en 1968, jamais le Pq de René Lévesque à Pauline Marois ne s'est doté de quelque doctrine ou armature idéologique que ce soit ; une doctrine qui ferait barrage à celle du multiculturalisme canadian !
    _ Donc opposer au repli communautariste, la cohésion républicaine. Une république une et indivisible sans égard aux particularismes ethniques et/ou religieux.
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  • Jean-Claude Pomerleau Répondre

    19 janvier 2015

    « Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde » (A. Camus)
    Il ne s'agit pas d'une charte de la laité, mais bien d'une charte des valeurs du Québec, telle que proposée dans le projet de loi avant les élections.
    Cette Charte des valeurs proposait la modification de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec pour y inclure une clause d'interprétation (critères : neutralité de l'État et égalité homme-femme).
    Notons qu'il s'agit bien de neutralité de l'État et non pas de laïcité (en conflit avec les institutions religieuses qui sont au coeur de la genèse de notre nation).
    Cette Charte des valeurs comme composante importante de notre doctrine d'État du Québec se serait opposé à la Charte des droits de Trudeau. Plus précisément, sur la clause d'interprétation (art. 27) qui accorde la primauté au multiculturalisme ; une composante essentiel de la doctrine d'État du Canada.
    Deux doctrines d'État qui s'opposent, (donc principe d'équivalence) qui aurait mené à un conflit de légitimité.
    Je ne vois pas, sur l'essentiel et non les modalités, en quoi la nouvelle proposition de Bernard Drainville est différente du projet de loi précédent du Parti Québécois. Nous sommes donc dans les mêmes perspectives (doctrine d'État et conflit de légitimité). Et pour bien comprendre la game il importe de bien nommer les choses et s'en tenir au langage statutaire.
    Le langage statutaire très utile ici : la souveraineté ne consiste pas à » créer un pays » mais, bien à changer le statut d'un État : de province à État souverain.
    M Verrier, merci pour votre texte très courageux.
    JCPomerleau
    N.b. Ce commentaire n'engage que ma personne et non la ligne éditoriale de Vigile.