Le rasoir d'Occam

Élections fédérales du 14 octobre 2008

«Entia non sunt multiplicanda praeter necessitatem.» (Les entités ne devraient pas être multipliées sans nécessité.)
C'est en ces termes que le franciscain anglais Guillaume d'Occam avait énoncé, au début du XIVe siècle, le principe dit du «rasoir d'Occam», qui a été repris sous diverses formes par des penseurs et des scientifiques aussi éminents que Leibniz, Newton et Einstein.
Le «rasoir d'Occam» a changé de nom en entrant dans le langage courant. Le principe de KISS (Keep it simple, stupid) est devenu une règle universelle en matière de communication, tout particulièrement de communication politique. Tout le fla-fla qui risque d'obscurcir le message doit impérativement être rasé.
Le maître à penser de Stephen Harper, Tom Flanagan, a très bien expliqué la chose dans son livre intitulé Harper's Team, qui raconte les dessous de la prise du pouvoir par les conservateurs: «Les politiques doivent être formulées de manière à pouvoir être communiquées au grand public et à recevoir l'appui d'électeurs qui consacrent peu de temps à les étudier.»
Durant la campagne de 2005-06, M. Harper a appliqué cette recommandation à la lettre. N'importe qui pouvait comprendre la promesse d'abaisser la TPS ou de verser une allocation annuelle de 1200 $ pour chaque enfant âgé de six ans ou moins, sans exception. Tout porte à croire qu'il pratiquera la même simplicité au cours de la prochaine campagne.
Le professeur Stéphane Dion connaissait certainement l'oeuvre de Guillaume d'Occam. Le problème est que le chef libéral semble en avoir oublié les préceptes depuis. Après deux mois de longues explications, son «tournant vert» semble demeurer une énigme pour le commun des mortels. Et plus ils en entendent parler, moins les électeurs y sont favorables.
Le projet est maintenant devenu évolutif, ce qui risque de miner sa crédibilité encore un peu plus. Hier, M. Dion a annoncé de nouveaux crédits de réduction d'émission de GES totalisant 400 millions de dollars au profit des agriculteurs et de l'industrie forestière, de même que des fonds spéciaux destinés aux camionneurs et aux pêcheurs. Qui seront les prochains gagnants de la prochaine loterie verte du PLC?
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Les conservateurs se sont fait un devoir d'éclairer la population sur les intentions libérales. Qu'elles soient vraies ou fausses, leurs explications ont le grand mérite d'être faciles à comprendre. D'autant plus qu'elles s'appuient sur la méfiance instinctive des électeurs: M. Dion a beau assurer que les profits de la nouvelle taxe sur le carbone seraient retournés aux contribuables, quand a-t-on déjà vu un gouvernement redonner d'une main ce qu'il avait pris de l'autre? C'est plutôt l'inverse qui est la règle.
L'instauration de la TPS par le gouvernement Mulroney, en 1991, était sans aucun doute un geste courageux, qui s'est révélé bénéfique pour le Canada, mais elle a aussi constitué un facteur important de la plus sévère défaite subie par un des grands partis nationaux depuis la naissance de la fédération.
En ces matières, le cynisme a toujours été plus profitable. Alors qu'il était chef de l'opposition, Jean Chrétien avait promis d'abolir la TPS, tout comme il avait promis de déchirer l'accord de libre-échange. Bien entendu, il n'en a rien fait, ce qui ne l'a pas empêché d'être réélu facilement à deux reprises.
Durant la campagne électorale de 1974, Pierre Elliott Trudeau avait ridiculisé le chef conservateur Robert Stanfield, qui proposait de geler les prix et les salaires pour juguler l'inflation. Dès qu'il s'était retrouvé à la tête d'un gouvernement majoritaire, M. Trudeau s'était empressé de reprendre la mesure à son compte.
Au moment où les consommateurs sont encore sous le choc de la hausse des prix pétroliers, on se demande s'il faut admirer l'audace du chef libéral ou se désoler de sa naïveté. L'expérience passée démontre que le souci de la protection de l'environnement diminue considérablement quand l'économie donne des signes de ralentissement. Plus encore qu'une réforme fiscale audacieuse, c'est un véritable changement des mentalités que cherche à provoquer M. Dion.
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Un leader plus charismatique y parviendrait peut-être. Il y a une douzaine d'années, Lucien Bouchard était sans doute le seul qui pouvait embrigader le Québec tout entier dans la quête du déficit zéro, et cela ne s'est pas fait sans peine.
M. Dion semble malheureusement le moins apte à convaincre qui que ce soit. Les sondages sont accablants pour le chef libéral. Selon le dernier Ipsos Reid, seulement 20 % des Canadiens voient en lui le meilleur candidat au poste de premier ministre, très loin derrière Stephen Harper (50 %) et Jack Layton (31 %).
Pour mener la lutte contre les changements climatiques, la population fait moins confiance au chef libéral (30 %) qu'à M. Layton (38 %) et à peine plus qu'au premier ministre (27 %), qui porte pourtant le bonnet d'âne depuis longtemps.
Même si les électeurs tiennent généralement pour acquis que les promesses des politiciens sont faites pour être brisées, M. Dion constituerait peut-être l'exception à la règle. Au bout du compte, il se pourrait très bien que son projet se révèle avantageux à la fois pour les contribuables, pour l'économie et pour l'environnement.
On peut reprocher plusieurs choses au père de la Loi sur la clarté, mais pas l'accuser d'avoir agi avec cynisme ou hypocrisie dans le passé. Dès son entrée en politique, il avait clairement indiqué son intention d'imposer de nouvelles règles du jeu en prévision d'un troisième référendum sur la souveraineté. Il a fait exactement ce qu'il avait dit. Il est vrai que les Canadiens n'avaient pas eu besoin d'un dessin pour comprendre ce dont il s'agissait.
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mdavid@ledevoir.com


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