18 janvier 2005
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Compte tenu de la tradition parlementaire britannique et de la jurisprudence, il était hautement prévisible que la Cour supérieure rejette la requête d'Yves Michaud, comme le feront très probablement les autres instances auxquelles il pourrait encore s'adresser.
Dans son jugement, le juge Jean Bouchard se défend bien de vouloir banaliser ce qu'il a pu ressentir lors de la présentation de la motion de blâme que l'Assemblée nationale a adoptée le 14 décembre 2000.
Malheureusement, il n'avait pas à se prononcer sur le bien-fondé de cette motion, mais simplement sur sa légalité. S'il fallait que les tribunaux soient appelés à sanctionner toutes les mauvaises décisions des parlements, le système judiciaire serait vite paralysé.
La cour a statué que la Commission des États généraux sur l'avenir de la langue française, où M. Michaud a tenu les propos qu'on lui a si vivement reprochés, relevait bel et bien de la fonction de surveillance du pouvoir exécutif confiée à l'Assemblée nationale, puisqu'elle était la créature du gouvernement.
Que les députés n'aient pas pris la peine de vérifier ce que M. Michaud avait dit avant de le condamner ne regardait pas le juge. Encore une fois, on n'a jamais vu un tribunal annuler la décision d'un parlement sous prétexte qu'elle était idiote.
L'immunité dont disposent les députés dans l'exercice de leurs fonctions est un privilège qui appelle un sens aigu des responsabilités. Dans le feu de l'action, il leur parfois arrive de tenir des propos qui leur vaudraient des poursuites judiciaires s'ils étaient tenus en dehors de l'enceinte parlementaire, mais ils n'engagent qu'eux-mêmes.
Un dérapage collectif comme celui qui a conduit à une motion de blâme unanime contre un individu dont on ignorait totalement les propos était cependant du jamais vu. Un véritable abus de pouvoir à l'aveugle. L'Assemblée nationale aurait dû prendre elle-même l'initiative de réparer cette injustice et faire en sorte que cela ne puisse pas se reproduire.
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Dans sa requête, M. Michaud avait choisi de se présenter comme un simple «quidam». Cette modestie, assez inhabituelle chez lui, n'a pas convaincu le juge Bouchard. Avec raison. S'il avait été un citoyen anonyme, son cas n'aurait jamais intéressé l'Assemblée nationale.
En réalité, il a été victime d'un règlement de compte politique. Lucien Bouchard et la majorité des députés péquistes étaient catastrophés à la perspective de sa candidature à l'élection partielle dans Mercier. À titre de simple militant, M. Michaud causait déjà un embarras considérable à la direction du PQ; une fois élu député, il serait devenu carrément insupportable.
Dans ce contexte, la motion de blâme présentée par le député libéral de D'Arcy McGee, Lawrence Bergman, est apparue comme un véritable cadeau du ciel. Les libéraux ne soupçonnaient sûrement pas l'ampleur que prendrait l'affaire, mais c'était le genre de situation où ils gagnaient à coup sûr. Si le gouvernement refusait de blâmer M. Michaud, ils l'auraient accusé de partager ses vues prétendument antisémites; s'il appuyait la motion, le PQ serait divisé.
Malgré les pressions du conseil national de son parti et les promesses faites à son ami Michaud, Bernard Landry n'a jamais osé prendre les moyens d'en finir une fois pour toutes avec cette triste affaire. Son leader parlementaire, Jacques Brassard, ne voulait rien entendre, et il était loin d'être le seul.
L'automne dernier, il s'était engagé à faire une déclaration officielle à l'Assemblée nationale, mais il a prétexté que l'affaire était devant les tribunaux pour s'en abstenir. M. Michaud n'a pas cru un mot de cette explication. Si le chef du PQ attend maintenant que l'affaire aille jusqu'en Cour suprême, les chances sont grandes qu'il ait alors quitté la politique depuis longtemps.
Certains semblent croire que cette affaire a coûté suffisamment cher au PQ pour s'estimer quittes. Comme si le passage du temps effaçait une injustice. C'est précisément ce que bien des gens au Canada anglais pensent des lamentations du Québec.
S'il en restait un qui était susceptible de se lever pour prendre la défense de M. Michaud, au moment où pratiquement tout le monde au Québec se désintéresse de son sort, c'était bien Jean-Pierre Charbonneau.
Le député de Borduas a les qualités de ses défauts. S'il est vrai que ses déclarations sont parfois embarrassantes pour son parti, personne ne peut l'accuser de fermer les yeux devant une injustice. Au reste, il est bien placé pour comprendre ce que peut ressentir M. Michaud. Les deux hommes font en quelque sorte partie de partie de l'amicale des francs-tireurs.
De tous les députés de l'Assemblée nationale, M. Charbonneau est également le seul qui puisse prétendre à une complète objectivité dans cette histoire. Quand la motion de blâme a été adoptée, il était assis dans le fauteuil présidentiel, d'où il a très bien vu dans quel climat de précipitation et d'émotivité les choses se sont déroulées.
Par la suite, il a fait de réels efforts pour convaincre les partis de permettre à M. Michaud de présenter sa version des faits et de modifier le règlement de l'Assemblée nationale, afin de prévenir un nouvel incident du genre, mais cela a été peine perdue.
M. Charbonneau espère maintenant convaincre ses collègues du caucus péquiste de reconnaître ses torts envers M. Michaud. On lui souhaite bonne chance. Après un automne entier passé à gratter de vieux bobos, l'idée de commencer la nouvelle année par un mea-culpa collectif n'emballera certainement personne. Pour un quidam, ce monsieur est décidément bien encombrant.
mdavid@ledevoir.com
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