Le projet de loi Marois serait inconstitutionnel

Citoyenneté québécoise - Conjoncture de crise en vue


Tommy Chouinard - Le projet de loi Marois sur l'identité québécoise est inconstitutionnel, estime une grande majorité d'experts interrogés par La Presse. Quatre constitutionnalistes contre un jugent qu'il ne passerait pas le test de la Charte canadienne des droits et libertés.


Selon eux, le projet de loi, déposé par la chef péquiste Pauline Marois la semaine dernière, viole l'article 3 de la Charte qui donne à tout citoyen canadien le droit de se présenter aux élections fédérales et provinciales.
Rappelons que ce projet de loi prévoit la création d'une citoyenneté québécoise. Pour l'obtenir, les nouveaux arrivants devraient avoir une connaissance «appropriée» de la langue française. Ceux qui ne respectent pas cette condition n'accéderaient pas à la citoyenneté et ne pourraient se présenter aux élections québécoises, municipales et scolaires.
«On ne parle pas d'une citoyenneté symbolique. On parle dans certains cas de retirer un droit démocratique fondamental que la Constitution garantit aux citoyens canadiens. Je vois mal comment ça pourrait survivre à une contestation constitutionnelle», a affirmé hier Jean-François Gaudreault-Desbiens, professeur de droit à l'Université de Montréal.
Henri Brun, de l'Université Laval, est le seul constitutionnaliste interrogé à dire que le projet de loi Marois respecte la Charte. Il reconnaît que le «principal point de conflit» se trouve à l'article 3. Or, souligne-t-il, l'article 1 prévoit qu'un droit peut être restreint «par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique».
La mesure proposée par Pauline Marois est justement «raisonnable», selon Henri Brun. L'objectif de protéger la langue française et d'en étendre l'usage justifierait à ses yeux une atteinte au droit d'éligibilité. «Obliger ceux qui veulent se présenter aux élections à avoir une connaissance de base de la langue française est une mesure qui aurait de bonnes chances d'être jugée raisonnable. Ça ne me paraît pas exagéré», a expliqué M. Brun, qui a été consulté par le PQ avant le dépôt du projet de loi.
Ses collègues constitutionnalistes ne sont pas du même avis. «Ce serait très difficile dans ce cas-ci de démontrer que l'atteinte au droit d'éligibilité est acceptable», a tranché Patrice Garant, de l'Université Laval. «Il me semble que les tribunaux diraient qu'il y a 50 autres mesures que le gouvernement du Québec peut adopter pour promouvoir le français au lieu d'en arriver à une atteinte à l'égalité des citoyens.»
Jean-François Gaudreault-Desbiens abonde dans son sens. Pénaliser les immigrants qui s'expriment mal en français, comme le souhaite le PQ, ne constitue pas une «atteinte minimale à un droit au sens des critères qu'a donnés la Cour suprême pour appliquer l'article 1 de la charte».
«Peut-être que l'objectif de répandre l'usage du français pourrait être considéré comme légitime, mais encore faut-il que l'atteinte au droit soit proportionnel à l'objectif. Et là, on parle carrément d'une privation d'un droit démocratique fondamental, à moins d'apprendre le français. Ça me semble assez disproportionné.»
Sébastien Lebel-Grenier, spécialiste du droit constitutionnel à l'Université de Sherbrooke, souligne que la Cour suprême a permis aux provinces d'adopter des mesures pour encadrer l'exercice du droit de se présenter aux élections. Ce fut toujours dans le but «d'assurer une meilleure représentation et un meilleur fonctionnement des institutions politiques», a-t-il précisé.
«Dans ce cas-ci, on veut exclure une catégorie de citoyens canadiens, créer une citoyenneté qui exclurait certains membres de la société québécoise. C'est difficile de voir comment ça permet une meilleure participation de tous les citoyens dans le processus politique. Partant de là, je ne vois pas comment la Cour suprême, qui a donné une interprétation assez protectrice du droit d'éligibilité dans sa jurisprudence, accepterait un écart énorme.»
Sébastien Grammond, professeur de droit à l'Université d'Ottawa, voit lui aussi «un sérieux problème» dans le projet de loi Marois. Même les citoyens canadiens provenant d'une autre province qui déménageraient au Québec seraient privés du droit de se présenter aux élections s'ils ne parlent que l'anglais. «Il serait très difficile de justifier une restriction de cette nature-là», a-t-il lancé.
Pour Jean-François Gaudreault-Desbiens, le projet de loi serait discriminatoire car il créerait deux classes de citoyens selon que l'on maîtrise ou non le français. L'une qui comprendrait les personnes ayant à la fois la citoyenneté canadienne et québécoise et jouissant de tous leurs droits. Et l'autre qui réunirait les citoyens canadiens n'ayant pas la citoyenneté québécoise et étant privés de certains droits.


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