Le privé en santé - Une mauvaise pilule

Commission Castonguay



On entend souvent dire que les maux de notre système de santé pourraient être réglés en faisant appel au secteur privé. L'hypothèse étant que le privé aurait la capacité de livrer les mêmes services à meilleur coût. Grâce à la concurrence, nous dit-on, la recherche de profits caractéristiques de l'économie de marché incite à l'efficacité et à la réduction des coûts, et devient une vertu publique que les gouvernements seraient bien mal avisés de ne pas mettre à contribution, sous peine de provoquer une crise des finances publiques.
Pourtant, les preuves scientifiques qui commencent à s'accumuler dangereusement vont dans le sens exactement contraire. Dans sa livraison du 7 février 2008, le New England Journal of Medecine (NEJM), la plus prestigieuse des revues médicales américaines, déplore les ratés et le coût exorbitant du système de santé américain. Une revue systématique des études des 20 dernières années comparant les hôpitaux privés aux réseaux publics des pays de l'OCDE confirme que la mise en place d'un système privé parallèle s'avère désavantageuse pour le système de santé. Le privé finit par coûter plus cher et la qualité des services diminue.
Contrairement à ce que l'on cherche souvent à nous faire croire, les dépenses privées de santé au Québec (plus de 30 %) sont déjà les plus élevées de l'OCDE, devant les États-Unis et la Suisse. La moyenne des dépenses privées d'autres pays industrialisés, comme l'Allemagne, la France, la Suède et le Royaume-Uni, est d'environ 20 %, bien que tous ces pays aient de multiples systèmes privés.
Aux États-Unis, contre-exemple s'il en est un, les dépenses de santé représentaient 16 % du PIB en 2006, et on prévoit qu'elles atteindront 20 % d'ici sept ans. Malgré cela, soixante millions d'Américains étaient à un moment ou l'autre de leur vie sans assurance aucune. S'il ne s'agit pas d'un constat vraiment nouveau, l'explication proposée par l'auteur de l'article récent du NEJM devrait attirer l'attention de nos décideurs: cet échec lamentable s'explique principalement par la «commercialisation galopante» qui caractérise le système américain.
Système coûteux et mesquin
Les partis politiques représentés à l'Assemblée nationale se querellent sur l'ampleur de la privatisation, les modalités de sa mise en oeuvre et les secteurs qui doivent être touchés (chirurgie d'un jour, soins prolongés, services accessoires, soins à domicile). Si certains parlent du système de santé américain comme d'un repoussoir, jamais on ne nous explique comment -- et à quel coût -- les mécanismes du marché qui en ont fait un «non-système» aussi coûteux que mesquin pourront, de ce côté-ci de la frontière, jouer en sens inverse et produire des résultats opposés.
La supériorité du marché sur le service public, comme la loi de la gravité, serait quelque chose qu'il est absurde de discuter et que seuls quelques dinosaures condamnés à l'extinction refusent encore de reconnaître.
La santé n'est pas une marchandise
Quelles que puissent être les vertus de la concurrence, les soins de santé ne peuvent être traités comme une simple marchandise. Il s'agit d'abord et avant tout d'une mission sociale dont les coûts sont rarement assumés par le «consommateur», mais par un tiers, qu'il s'agisse de l'État ou d'un assureur privé. À partir du moment où il est entendu qu'un service doit être accessible à tout le monde, il est évident qu'une assurance unique et universelle, financée à même l'impôt sur le revenu, constitue l'arrangement institutionnel le plus équitable et le moins coûteux: tout le monde est mis à contribution en fonction de ses moyens, de sorte que le risque est réparti sur une population la plus large possible.
L'accès universel est incompatible avec une multiplicité d'assureurs en situation de concurrence, car chacun s'efforce alors d'enrôler une clientèle payante, essentiellement les riches en bonne santé, et de se départir des moins nantis et des plus malades qui, au bout du compte, doivent être pris en charge par l'assureur de dernier recours, à savoir l'État. L'assurance médicaments représente au Québec le prototype de cette situation, où les assureurs engrangent les bénéfices alors que l'État doit supporter des coûts de plus en plus élevés.
Gestion de PME
Le même raisonnement vaut pour les cliniques privées qui, pour la plupart, sont considérées et gérées comme des PME. Tout entrepreneur digne de ce nom doit nécessairement rechercher une clientèle payante, en l'occurrence les gens qui sont en bonne santé, d'où la tendance à référer les cas jugés lourds vers les établissements publics, le plus souvent via l'urgence.
Il ne s'agit pas là d'un «effet pervers», selon une expression à la mode, mais d'un phénomène inhérent à l'esprit d'entreprise que l'on glorifie de toutes parts et qui ne peut qu'être accentué par les contraintes budgétaires auxquelles sont soumises les cliniques privées. En un mot, l'efficience de chaque entrepreneur se traduit, dans l'ensemble, par l'utilisation abusive des urgences et la multiplication des déplacements et des examens inutiles.
La seule raison qui fait que ce phénomène n'a pas encore provoqué l'implosion du système est que, jusqu'à présent, la taille des cliniques privées est demeurée plutôt modeste et que, le plus souvent, l'investisseur est le clinicien lui-même, dont la conscience professionnelle peut jusqu'à un certain point agir comme contrepoids aux impératifs de rentabilité.
On peut facilement imaginer ce qui risque de se produire si la clinique appartient à des investisseurs institutionnels, que les sommes investies sont considérables et que les cliniciens ou chirurgiens sont des tâcherons choisis en fonction de leur seule aptitude à rentabiliser l'entreprise, tout cela dans un contexte où les établissements publics sont là pour prendre en charge, non seulement les cas plus lourds, mais aussi les complications propres à l'exercice de la médecine.
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Amir Khadir, Médecin à l'hôpital Pierre-Le-Gardeur et porte-parole de Québec solidaire
Paul Lévesque, Médecin à l'hôpital Maisonneuve-Rosemont
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