Le point aveugle de la vision économique de Mr. Obama

Les républicains ont vu ça et ont immédiatement crié à la « lutte des classes »

«Les indignés» dans le monde


Paul Jorion propose sa lecture des contradictions qu’il décèle dans le discours économique d’Obama. Car si le président affirme sa volonté de restaurer le rôle de l’Etat, garant d’une cohésion sociale mise à mal par le caractère extrêmement inégalitaire de la société américaine, sa vision de l’économie continue d’ignorer la dimension politique, c’est à dire celle des conflits d’intérêts et de pouvoirs, estime Jorion, qui appelle à remettre en cause la prétention à la neutralité de la grille de lecture de l’économie néoclassique et à renouer avec l’économie politique.

Mr. Obama dit :

Les investissements prudents en matière d’éducation, d’énergie propre, de santé furent sacrifiés en faveur de diminutions d’impôt pour les riches et les gens qui ont des relations. Dans la perspective de ces choix, Washington a ignoré les pressions qui ont rendu la vie des familles des classes-moyennes très ardue. Il n’y a pas de mal à faire de l’argent mais quelque chose ne marche pas quand nous acceptons que la donne soit à ce point biaisée en faveur d’un si petit nombre.

Les républicains ont vu ça et ont immédiatement crié à la « lutte des classes ». Ça fait pourtant longtemps qu’ils la mènent avec de gros moyens mais comme les riches devenus pauvres dont parlait Jacques Attali, puisqu’ils ont moins l’habitude des revers, quand ils en subissent ça leur fait plus mal qu’aux autres.
Je lis le long document présentant les mesures qu’envisage le projet de budget et c’est un long réquisitoire contre les deux administrations Bush. Ce n’est pas piqué des vers et on se demande parfois à la lecture s’il est possible que l’indignation provoque une indigestion. Non pas que ce qui est dit ne soit pas pleinement mérité, et on est conduit en effet à la lecture à se poser quelques questions de fond à propos de la démocratie : qu’est-ce qui pousse les peuples à voter démocratiquement, au suffrage universel, pour des gens qui ne cachent nullement que leur objectif quand ils auront accédé au pouvoir sera de piller la nation à leur profit et à celui de leurs proches ?
Ça se fait bien entendu aussi dans les entreprises, mais c’est différent, parce que ceux qui ont le privilège d’entendre ce genre d’allocutions savent dans ce cas-là qu’ils feront partie des heureux bénéficiaires. Je vois deux explications possibles, qui se recoupent sans doute partiellement : le fait que certains électeurs sont rétribués d’une manière ou d’une autre pour voter comme ils le font, et la peur : peur des autres, peur de l’avenir, qui vous fait voter pour celui qui vous dit qu’avec lui, on n’aura plus peur. Ce genre d’assurances suffit amplement à certains.
Quel héritage en effet, mes amis, que celui de Mr. Obama ! La guimbarde US of A pourra-t-elle jamais reprendre la route ? Bonne question en effet. Aussi ce qu’il fait essentiellement dans ce discours présidentiel de présentation du nouveau budget, c’est prendre les Américains à témoin et leur dire : « Voyez de quoi je suis en train de prendre livraison : d’un pays vidé de sa substance par 25 années de reaganisme, d’impuissance clintonienne et de Bushisme ! On va essayer, mais on ne promet rien ! »
Ce sera dur en effet. Touchons du bois pour lui parce que quand je lis l’analyse contenue dans son allocution, j’ai un doute sérieux. Ce discours rebelle s’exprime en effet encore toujours dans l’idiome de l’ennemi. On y entend toujours les relents de l’individualisme méthodologique cher à l’école économique de Chicago : quand les banques ne prêtent pas à des clients qui ne pourraient pas les rembourser, on parle toujours de « confiance à rétablir » au lieu de parler d’insolvabilité généralisée, quand il est question de l’alliance des investisseurs (alias capitalistes) et des dirigeants d’entreprises (alias patrons) et de la manière dont « leurs intérêts furent alignés grâce aux stock options », on parle toujours d’« imprudence dans la gestion du risque », au lieu de collusion.
Mr. Obama, écoutez attentivement ce que vous disent vos ennemis républicains à la vue de votre projet de budget : ils s’indignent et s’écrient « lutte des classes ! » Avez-vous noté que quand ils parlent d’eux-mêmes, ils n’utilisent que le langage de la psychologie aseptisée qu’ils ont qualifiée abusivement de « science économique », mais que quand ils parlent de vous ils adoptent, par un soudain miracle, le vocabulaire de la sociologie et de la science politique ? Ceci veut dire une chose : qu’ils comprennent très bien comment les choses se passent - du moins quand ça leur convient.
Oui, ils s’expriment comme von Mises, von Hayek et Rothbard quand ils parlent d’eux-mêmes, c’est-à-dire en termes de « masses monétaires », mais quand ils parlent de vous, ce sont les mots de Marx qui leur viennent à la bouche, comme si c’étaient les seuls qu’ils connaissent ! Aussi, cessez d’adopter la grille de lecture que se sont appliqués vos ennemis, en termes de bons sentiments individuels : évaluez les rapports de force, analysez leurs intérêts et étudiez les structures qu’ils ont mises en place. Oui : ils ont cassé la machine mais leur capacité de nuire reste entière : ils étaient à terre mais l’argent du contribuable les a requinqués !
***
Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment La crise. Des subprimes au séisme financier planétaire. L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008) et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).
* Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.

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Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 ) et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).

Ce texte est un « article presslib' » Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre [soutien peut s’exprimer ici->http://www.pauljorion.com/blog/?page_id=647]





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