Camille Laurin (1922-1999)

Le père de la Loi 101 s'éteint

Hommage à Camille Laurin (1921-1999)




Camille Laurin, celui qu'on a surnommé «le père de la loi 101» et qui fut une figure marquante de la vie politique québécoise des 30 dernières années, est décédé hier à sa résidence d'Outremont d'un cancer des ganglions. Il était âgé de 76 ans.
Admiré des uns, détesté des autres, il aura piloté, à titre de responsable de la politique linguistique du premier gouvernement formé par le Parti québécois dans la deuxième moitié des années 1970, la longue quête d'un visage et d'une destinée françaises pour le Québec et, de ce fait même, incarné une controverse que la paix relative des années 1990 n'a pas encore complètement achevé d'éteindre.
Éminent psychiatre, M. Laurin n'a jamais caché avoir agi de manière thérapeutique pour redonner aux francophones du Québec la confiance qui, analysait-il, leur manquait et auquel seul un encadrement législatif pouvait remédier. Tant chez ses alliés que chez ses adversaires politiques, on a reconnu hier l'ampleur de l'héritage laissé par Camille Laurin.
À Québec, la ministre responsable de la Charte de la langue française, Louise Beaudoin, a souligné sa détermination et sa sérénité. Père spirituel des souverainistes, a-t-elle dit, il n'avait pas d'états d'âme, supportant avec patience les quolibets et les caricatures de ceux qui détestaient l'idée même de faire du français la langue officielle du Québec en 1977.
«Il a fait en sorte que la charte soit adoptée. Il a donné confiance aux Québécois francophones en eux-mêmes. Avec René Lévesque, il fait partie des gens qui ont fait l'histoire du Québec contemporain. Il y a le Québec d'avant la Charte de la langue française et le Québec d'après», a commenté Mme Beaudoin.
À Ottawa, le ministre des Affaires intergouvernementales Stéphane Dion a relevé que «la loi 101 avait des côtés très positifs [...]. Et j'ai même dit une fois que c'était une grande loi canadienne. Mais je ne suis pas sûr que le docteur Laurin appréciait ce genre de compliments». Selon M. Dion, la loi a permis aux francophones du Québec de se sentir plus à l'aise au Canada en leur garantissant la protection de leur langue, mais il a fallu qu'elle évolue. «Contrairement à ce qu'on dit, elle n'a pas été affaiblie par les tribunaux; elle a plutôt été mieux ciblée.»
Pour sa part, le président d'Alliance Québec, William Johnson, a dit, malgré les divergences, regretter la disparition de M. Laurin. «Sur le plan personnel, je suis attristé. C'était un homme d'une grande culture, à la personnalité séduisante.» Mais il l'a aussi décrit comme un «idéologue» qui partageait «les vues de Lionel Groulx».
M. Johnson a ajouté que la protection de la langue française était justifiée mais que la loi 101 visait à «faire disparaître le bilinguisme» au Québec, et «j'espère qu'on pourra un jour réviser cet héritage».
Né à Charlemagne le 6 mai 1922, quatrième d'une famille de 14 enfants, Camille Laurin est d'abord tenté par des études de théologie, auxquelles il renonce pour s'inscrire à la faculté de médecine de l'Université de Montréal. Il y voit, note le journaliste Graham Fraser dans son histoire du PQ publiée en 1984, «une autre carrière où je peux scruter le mystère de la jonction entre l'âme et le corps, entre l'esprit et la matière».
À l'université, il travaille au Quartier latin, le journal étudiant, où ses affinités nationalistes se font jour à partir de 1947. Dans ses écrits, il évoque notamment la nécessité de «la sauvegarde de notre caractère français et catholique».
Après des séjours d'études en Europe et aux États-Unis, Camille Laurin revient avec un diplôme en psychiatrie et, en 1957, se joint à l'Institut Albert-Prévost. Freudien convaincu, doté d'une forte personnalité, il y a maille à partir avec la direction, qui finit par le congédier. Il sera réintégré dans ses fonctions plus tard, au terme d'une commission d'enquête mise sur pied par le gouvernement de Jean Lesage.
Il s'éloigne ensuite graduellement de ses amis fédéralistes, dont Pierre Trudeau, Gérard Pelletier et Marc Lalonde. Influencé par les conclusions de la commission Laurendeau-Dunton sur le bilinguisme et le biculturalisme, en 1965, il entre carrément dans la mouvance indépendantiste.
En 1968, il participe à la fondation du Parti québécois. Il se fait élire premier président du Conseil exécutif national du parti, un poste qu'il occupera jusqu'à son élection comme député de Bourget (est de Montréal), en 1970. Le chef du PQ, René Lévesque, ayant alors été battu dans sa propre circonscription, il prend la tête du caucus de sept députés péquistes, dont il est le doyen, à l'Assemblée nationale.
Défait en 1973, Camille Laurin revient à la psychiatrie, puis est réélu lors de la vague péquiste de 1976. René Lévesque le nomme ministre d'État au Développement culturel, avec la mission d'élaborer la politique linguistique du nouveau gouvernement. Il s'adjoint des personnalités d'envergure telles Guy Rocher, Fernand Dumont et Henri Laberge afin de mener à bien ce qui restera l'uvre politique de sa vie.
De l'approche de M. Laurin en la matière, Graham Fraser a écrit: «Laurin croyait fermement à la valeur du modèle psychiatrique et thérapeutique pour la résolution du problème linguistique. Dans sa pratique, il en était venu à la conclusion que la plupart de ses patients francophones souffraient du "sentiment d'inachèvement et de carence de l'identité", sentiments qui, d'après lui, constituent "un héritage collectif que seule une psychothérapie collective peut résoudre".»
Après des débats plutôt houleux au sein du cabinet Lévesque qui en retardent l'accouchement - pas moins de quatorze versions différentes sont soumises à l'attention des ministres, et MM. Lévesque et Laurin divergent notamment d'opinion sur l'accès à l'école anglaise -, un Livre blanc intitulé La politique québécoise de la langue française est finalement rendu public au début d'avril 1977. Il établit quatre grands principes: 1- «Au Québec, la langue française n'est pas un simple mode d'expression mais un milieu de vie»; 2- «On doit respecter les minorités, leurs langues, leurs cultures»; 3- «Il est important d'apprendre d'autres langues que le français»; 4- «Le statut de la langue française au Québec est une question de justice sociale.»
Le français langue officielle
Le 27 avril, le gouvernement dépose le projet de loi 1, qui fait du français la langue officielle du Québec: langue de la justice, de l'administration, du travail, du commerce et des affaires, de l'enseignement. On établit le cadre de francisation des entreprises, les restrictions à l'éducation en anglais, les modalités de contrôle. La création d'un Conseil de la langue de française est proposée.
Fin août, au terme d'affrontements extrêmement vigoureux qui touchent autant les parlementaires que les médias et le grand public, la Charte de la langue française est adoptée, malgré l'opposition des libéraux et de l'Union nationale. Camille Laurin devient dès lors «le père de la loi 101», porté aux nues par les uns, diabolisé par les autres, à commencer bien sûr par la communauté anglo-québécoise. En clôture du débat, M. Laurin, qui avait à quelques reprises perdu sa sérénité et son flegme légendaires à l'occasion des échanges, désigne la loi 101 comme «rien d'autre que le geste d'un peuple déterminé à vivre sa vie».
Les années 1980 allaient voir de larges pans de la législation renversés par des jugements successifs de la Cour suprême du Canada. Ce fut notamment le cas des chapitres faisant du français la langue de l'État et de la justice, de même que de la clause Québec qui restreint l'accès à l'école anglaise aux enfants dont les parents ont étudié en anglais au Québec. À partir de 1988 ressurgira aussi la question de la langue d'affichage, redéfinie par la loi 178 et un recours à la clause dérogatoire (intérieur-extérieur), puis par la loi 86 (prédominance du français).
Pour sa part, Camille Laurin, devenu ministre de l'Éducation, est réélu aux élections de 1981. En 1984, il reçoit le portefeuille des Affaires sociales, mais en novembre de la même année, dans la foulée du «beau risque» évoqué par René Lévesque après l'arrivée au pouvoir des conservateurs de Brian Mulroney à Ottawa, il démissionne en compagnie de nombreux collègues, dont Jacques Parizeau.
Il retourne à sa profession de médecin psychiatre et devient quelques mois plus tard directeur du département de psychiatrie du centre Albert-Prévost de l'hôpital Sacré-Cur de Montréal.
Mais l'attrait de la politique ne s'éteint pas pour autant. En 1994, il revient aux affaires de l'État, étant élu député de Bourget pour la quatrième fois. Cette fois, cependant, ni Jacques Parizeau ni Lucien Bouchard, qui prend les rênes au début de 1996, ne l'appelleront au cabinet.
Une loi «essentielle»
Si M. Laurin avait vertement dénoncé le projet de loi 86 au moment de son dépôt en 1993, le qualifiant de «passoire» et d'«héritage empoisonné» des libéraux, s'il avait alors favorisé un nouveau recours à la clause dérogatoire, s'il s'était aussi dit d'avis que la loi 101, ou du moins ses restes, était «toujours essentielle», il a en revanche tenu des propos plus conciliants lorsque le gouvernement du PQ a proposé de nouvelles orientations en matière linguistique au printemps 1996.
Il s'est à ce moment montré d'accord pour que l'unilinguisme ne soit pas rétabli dans l'affichage commercial, soutenant que le français avait fait des «progrès remarquables» à Montréal et que l'état des choses ne requérait pas que l'on recourût «aux mêmes moyens, aux mêmes méthodes», rendus nécessaires par la situation «lamentable» qui prévalait en 1976.
Camille Laurin devait être à nouveau sur les rangs lors des élections du 30 novembre dernier - il avait même décroché l'investiture péquiste de Bourget -, mais des ennuis de santé (une décalcification à une hanche) l'avaient forcé à se retirer en cours de route. Ce n'est que plus tard qu'il a appris qu'il était plus gravement malade. L'actuelle ministre d'État au Travail et à l'Emploi, Diane Lemieux, lui a succédé.
M. Laurin laisse dans le deuil son épouse, Francine Castonguay, ses deux filles nées d'un premier mariage, Marie-Pascale et Marise, et les filles de sa conjointe, Dominique Castonguay et Catherine O'Reilly, de même que trois petits-enfants. Les renseignements sur ses funérailles seront connus ultérieurement.
***
Avec la collaboration de Mario Cloutier et PC


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->