Enquête interne sur des commissions cachées

Le numéro un de SNC-Lavalin démissionne

Pierre Duhaime a contrevenu aux règles en autorisant des paiements de 56 millions $US

L'affaire SNC-Lavalin


La Presse canadienne - En poste depuis moins de trois ans, le grand patron de SNC-Lavalin, Pierre Duhaime, a démissionné de ses fonctions hier dans la foulée d'une enquête interne concluant qu'il a contrevenu au code de déontologie de l'entreprise.
L'enquête, dont un sommaire a été rendu public hier, révèle que M. Duhaime a autorisé des commissions irrégulières totalisant pas moins de 56 millions $US à des agents commerciaux pour des projets non précisés. Les agents commerciaux sont des intermédiaires qui font le lien entre des fournisseurs comme SNC et des clients potentiels.
Le chef de la direction financière du géant québécois de l'ingénierie, Gilles Laramée, avait refusé d'approuver ces versements, mais Pierre Duhaime est intervenu pour les entériner, contournant ainsi les règles, a conclu l'enquête. Pour camoufler les commissions, on les avait associées à d'autres projets auxquels elles n'étaient pourtant pas reliées.
«L'autorisation de ces paiements par le chef de la direction ne respectait pas la politique sur les agents [commerciaux] et enfreignait par conséquent le code [de déontologie]», peut-on lire dans le sommaire de l'enquête. L'entreprise a toutefois refusé hier de publier sa politique sur les agents commerciaux, la qualifiant de document interne.
SNC-Lavalin n'a pas voulu dire non plus dans quels pays se trouvent les projets en cause. Même si elle ne possède pas de preuve directe à cet effet, l'entreprise a dit «ne pas croire» que les commissions se rapportent à la Libye, où elle était très présente avant l'insurrection de l'année dernière. Or, les enquêteurs ont été incapables de déterminer à qui les paiements ont été versés.
Une chose est sûre, toutefois: l'importance des sommes en cause était exceptionnelle. La moyenne des commissions accordées à des agents commerciaux par SNC au cours des trois dernières années s'élève à environ 700 000 $, a indiqué le président du conseil d'administration de l'entreprise, Gwyn Morgan, au cours d'une téléconférence.
SNC-Lavalin s'apprête à communiquer les conclusions de son enquête aux autorités, y compris à la police, a précisé M. Morgan. SNC partagera aussi avec les policiers ce qu'elle sait des activités de Cynthia Vanier, cette consultante retenue par l'entreprise pour faire rapport sur la situation en Libye et qui aurait voulu aider l'un des fils de l'ancien dictateur Mouammar Kadhafi à fuir le pays.
«Depuis le début de l'affaire SNC-Lavalin, on suit de près l'évolution du dossier et on continue d'être en échange d'informations avec la compagnie», a indiqué hier le porte-parole de l'Autorité des marchés financiers, Sylvain Théberge.
Même si M. Duhaime a enfreint le code de déontologie de SNC, le conseil d'administration n'envisage pas de lui imposer des sanctions pécuniaires. On ne sait pas encore s'il aura droit à une indemnité de départ.
«Nous remercions notre p.-d.g. pour ses 23 années de service [dans divers postes], a déclaré Gwyn Morgan. Il a réalisé des choses formidables pendant cette période. Il a commis certaines erreurs au cours des derniers mois, mais nous n'avons aucune raison de croire qu'il a ouvertement voulu contrevenir au code de déontologie.»
Selon M. Morgan, les paiements de 56 millions $US sont des «cas isolés».
«La société existe depuis 100 ans et nous n'avons jamais vraiment été placés dans une situation comme celle-ci auparavant, a noté Gwyn Morgan. Nous prenons des mesures pour faire en sorte que ça ne se reproduise plus jamais.» En fait, SNC promet de mettre en oeuvre toutes les recommandations formulées par son comité de vérification, notamment celle visant à rendre obligatoire le signalement de toute violation des politiques et procédures.
L'enquête interne avait été déclenchée le mois dernier après la découverte de mystérieux paiements de 35 millions (33,5 millions $US) effectués à la fin de 2011. L'exercice a ensuite été élargi pour inclure des versements de 22,5 millions $US faits en 2010 et en 2011 par le biais d'une filiale tunisienne de SNC-Lavalin, mais découverts seulement en février.
Toujours le mois dernier, SNC a annoncé le départ de son vice-président directeur Infrastructures, Construction et Entrepreneurs en défense, Riadh Ben Aïssa, et du contrôleur de la même division, Stéphane Roy. Selon l'enquête interne, c'est M. Aïssa qui a demandé à M. Duhaime d'autoriser les commissions suspectes. MM. Aïssa et Roy ont refusé de collaborer à l'enquête. Selon SNC-Lavalin, M. Ben Aïssa se trouverait actuellement en Tunisie.
C'est Ian A. Bourne qui remplacera Pierre Duhaime comme chef de la direction sur une base intérimaire. Ancien dirigeant de TransAlta, il siège au conseil d'administration de SNC-Lavalin depuis 2009. L'entreprise montréalaise entend lancer une recherche mondiale pour trouver son nouveau p.d.-g.
Le mandat de M. Duhaime à la tête de SNC aura été marqué par des déclarations controversées. Il y a un an, il estimait dans une entrevue que la Libye du régime Kadhafi respectait les droits de la personne. Puis l'été dernier, il avait critiqué le rapport Duchesneau sur la corruption et la collusion dans l'industrie de la construction au Québec.
Résultats
SNC-Lavalin a par ailleurs dévoilé hier ses résultats du quatrième trimestre. Au cours de la période qui a pris fin le 31 décembre, les profits nets ont atteint 76 millions (50 ¢ par action), en nette baisse par rapport aux 158,7 millions (1,04 $ par action) engrangés pendant le même trimestre de 2010.
Le recul est principalement attribuable à une perte de 35 millions $ liée aux commissions secrètes, à une révision financière des projets en Libye et à des dépassements de coûts dans les secteurs des infrastructures, de l'environnement, des hydrocarbures et des produits chimiques. Même si l'opposition a pris le pouvoir en Libye, l'entreprise espère encore pouvoir y relancer certains projets au cours des prochains mois.
Le chiffre d'affaires du trimestre s'est élevé à 2,2 milliards, en hausse de 16,1%.
Pour l'ensemble de l'année 2011, le bénéfice net s'est établi à 378,8 millions (2,49 $ par action), en baisse de 20,5 % par rapport aux 476,7 millions (3,13 $ par action) dégagés en 2010. Les revenus de l'exercice ont augmenté de 20,3 % pour se chiffrer à 7,2 milliards.
Malgré ces résultats mitigés, SNC a annoncé une hausse de 4,8 % de son dividende trimestriel. La hausse est tout de même inférieure à celles des dernières années.


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