Le non-dit de la campagne du Oui

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Lysiane Gagnon étrangement sereine dès lors qu'il ne s'agit pas du Québec

Le Québec vivant ces jours-ci à l'heure écossaise, nombre de commentateurs ont conclu un peu vite que contrairement aux souverainistes québécois, les indépendantistes écossais pratiquaient un «nationalisme civique», axé sur l'économie plutôt que sur la culture, sur les questions sociales plutôt qu'identitaires.
Vrai, les partisans du «Aye» parlent la même langue que les Anglais (avec toutefois d'importantes variantes). Vrai, ils rêvent de garder pour eux seuls les profits de leur richesse pétrolière. Vrai, le mouvement indépendantiste écossais attire une bonne partie des immigrants (mais encore faut-il savoir qu'il y en a très peu en Écosse: selon le dernier recensement, 96% des résidents sont «blancs», 84% s'identifient comme Écossais, et il n'y a pas de minorité linguistique).
Je n'ai jamais cru, pour ma part, qu'une société prospère vivant dans un pays démocratique pouvait être tentée par la sécession pour des raisons économiques. Il faut, à la base, un aiguillon, une motivation d'ordre émotionnel, bref un sentiment identitaire et aussi une certaine dose de ressentiment, le désir de prendre une revanche sur le passé. On a bien tort de croire que cette dimension fondamentale est absente de l'indépendantisme écossais.
En fait, les gens les plus «anti-Anglais» que j'ai rencontrés étaient des Écossais. Je pense à Robert McKenzie, un journaliste d'origine écossaise qui a couvert la politique québécoise pour le Toronto Star de 1964 à 2002. Un homme doux et charmant... sauf pour la haine féroce qu'il vouait aux Anglais.
Indépendantiste au Québec comme en Écosse, Bob mettait une barrière étanche entre ses passions politiques et son travail de reporter, mais en privé, que de fois ne l'avons-nous pas entendu ressasser les sévices infligés à l'Écosse par l'Angleterre! Il houspillait les souverainistes québécois pour leur modération, pour la «naïveté» qui les poussait à s'entendre avec les perfides fils d'Albion... Même Jacques Parizeau aurait été en désaccord, lui qui admirait la civilisation anglaise.
Je pense aussi aux interminables diatribes anti-anglaises que j'ai entendues dans la bouche d'un ami, universitaire écossais qui enseigne à Londres. À entendre ce cher Barry, ils sont tous, en bloc, arrogants, hypocrites, froids, hautains...
Au-delà des exagérations, il y a certes des différences culturelles: les Écossais sont en général plus chaleureux et plus conviviaux que les Anglais, mais cela n'a rien d'exceptionnel, les mêmes différences de tempérament existent entre Marseille et Paris, Palerme et Milan, Terre-Neuve et l'Ontario!
Dans le Globe and Mail de samedi, un reporter de lointaine origine écossaise, Mark MacKinnon, décrit l'émotion à la base du nationalisme écossais: «Les Écossais, dit-il, même ceux qui comptent voter Non, sont obsédés par l'idée que les Anglais les regardent de haut.» Ils craignent qu'un vote massif pour le Non ne soit vu comme une humiliante reddition...
Même si la sanglante bataille de Culloden date de 1746, le sentiment de victimisation reste fort, comme chez cet habitant de Glasgow qui soutient que les Écossais ont été traités comme les Indiens d'Amérique (bonjour les «nègres blancs» de Vallières...).
Tel est le non-dit, le puissant moteur émotionnel d'une campagne qui a banni toute référence officielle aux thèmes identitaires.
Et MacKinnon lui-même, comment voterait-il?
Sa raison lui dit que les arguments d'Alex Salmond ne tiennent pas la route; qu'il vaut mieux faire partie d'un royaume de 63 millions d'habitants que d'être un petit pays de cinq millions; que la rupture de l'une des unions politiques les plus réussies de l'histoire serait une folie. Et pourtant, conclut-il, une fois dans l'isoloir, il laisserait parler son coeur, «qui contient peut-être encore un filet de sang écossais». Et il voterait Oui.


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