Le néoféminisme

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« À quel titre une bourgeoise d’Outremont devrait-elle l’emporter sur un enfant des quartiers pauvres ? »

En voyant Denys Arcand, dimanche dernier, refuser de répondre à une question sur les quotas féminins, on pouvait se dire que la liberté de parole était bien mal en point. Tutoyé par tous sur le plateau de télévision, comme s’il n’était pas le plus grand cinéaste du Québec, il aura préféré botter en touche.


On a beau s’appeler Denys Arcand, personne ne rêve d’être crucifié sur Internet. Ainsi notre plus grand cinéaste se sera-t-il livré à un ironique éloge des quotas, auquel évidemment personne n’a cru. Voilà comment se porte la liberté de parole dans le merveilleux monde des médias.


Cette question méritait pourtant une discussion sérieuse. L’ennui, c’est qu’elle semble portée par un néoféminisme revanchard qui en a fait son nouveau dogme. Une nouvelle ligne de démarcation (encore une !) qui séparerait irrémédiablement les avant-gardes progressistes du bon peuple réactionnaire.


Dans la foulée de l’affaire Weinstein, la question a aussi été discutée en France. Interrogée, la ministre française de la Culture, Françoise Nyssen, s’est déclarée favorable à l’instauration de quotas de femmes dans le cinéma. Un discours aussitôt applaudi par quelques vedettes, comme Juliette Binoche, Agnès Jaoui et Charles Berling. La très médiatique secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, s’est même déclarée favorable à des quotas… « partout » ! De la confrérie des plombiers aux conseillers du pape, il faudrait donc exiger la parité parfaite dans tous les domaines de la vie. Vaste programme !


Pourtant, au-delà des formules politiciennes, le débat est vite retombé. Car, en France, cette idée heurte une certaine vision de l’égalité entre citoyens. « Nous vivons un étrange moment où les meilleures intentions ont dérapé vers le ridicule », écrivait le chroniqueur Charles Consigny, qui rappelait qu’en France une loi proclame que « la création artistique est libre ». Et l’auteur de se demander si demain on demandera aux écrivains de respecter la parité dans leurs romans. N’est-ce pas déjà le cas dans la « littérature » jeunesse ?


Cette politique de quotas semble d’autant plus inutile dans le domaine de la culture que les femmes y sont de plus en plus présentes. On pourrait dire la même chose en politique. Chacun est en mesure de le constater et les statistiques le prouvent hors de tout doute. Ainsi, depuis 2006, le nombre de films produits en France par des femmes a doublé. Si les choses vont dans le bon sens, pourquoi alors faudrait-il obliger la société à avancer à marche forcée, au risque même d’infantiliser les femmes qui n’ont pas besoin de cette béquille ?



Un professeur de violon me racontait qu’il avait assisté à Paris à des concours d’entrée au conservatoire où les violonistes s’installaient derrière un rideau afin de dissimuler leur identité. On demandait même aux femmes de ne pas porter de talons pour que le bruit ne permette pas au jury de deviner leur sexe. N’est-ce pas ainsi que l’on devrait toujours choisir les candidats à n’importe quel poste, peu importe le sexe, l’origine ethnique, la couleur ou l’orientation sexuelle ?


Loin d’aider les femmes, le régime dérogatoire que constituent les quotas ne peut avoir pour résultat à terme que de rompre le lien de confiance et d’égalité déjà fragile entre les citoyens. Peu importe puisqu’il s’agit de réparer une inégalité passée, objectera-t-on ! Mais qui n’a pas une injustice à réparer ? À quel titre une bourgeoise d’Outremont devrait-elle l’emporter sur un enfant des quartiers pauvres ? Cette mise en concurrence des misères est la recette de la guerre civile.


Selon la juriste Anne-Marie Pourhiet, on reconnaît bien là la rhétorique marxiste, reprise mot pour mot par certaines féministes, selon laquelle l’égalité en droit des citoyens n’est qu’un leurre destiné à opprimer un groupe ou une classe sociale. Elle est aujourd’hui brandie par un néoféminisme radical qui considère, hors de toute vérité historique, que l’histoire du monde se résume à l’exploitation des femmes. Ce néoféminisme a décidé de faire l’impasse sur tous les progrès que les femmes ont connus dans l’histoire : du culte de Marie à la Réforme catholique ; de l’amour courtois à l’irruption des femmes dans la vie littéraire ; du droit de vote aux lois sur l’équité salariale. Comme les léninistes du siècle dernier, qui méprisaient les gains des syndicats, ces nouveaux marxistes rêvent de « renverser » un mythique patriarcat. Exactement comme autrefois on voulait « renverser » le capitalisme. Dans leur esprit, les hommes ont simplement remplacé la bourgeoisie.


Cette obsession des quotas procède aussi de cette idée que les hommes et les femmes ne doivent plus seulement être égaux, mais interchangeables.


> La suite sur Le Devoir.



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